Photo du jour (d’un autre jour) : Regarder la mer

« Regarder la mer

Rester la journée entière ici

Sur le mur de pierre

Devant la baie des fourmis

Regarder la mer

Ne pas avoir d’autre envie que

Regarder la mer … »

Alain Souchon et Laurent Voulzy

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Photo Marie-Christine Grimard

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Derrière les mots

Les souvenirs

Derrière le vent

Les goélands

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Derrière les nuages

Les bonheurs en cage

Derrière ta vie

Le temps béni

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Derrière les vagues

Le chant des sirènes

Derrière les dunes

L’oiseau envolé

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Derrière les envies

Le goût de la vie

Derrière les regrets

L’espoir en demain.

Une image…une histoire : campanules 4/4

Photo Marie-Christine Grimard

…,

Je siffle le chien resté en arrêt sur les marches qui gronde en regardant le soupirail.

« Viens mon chien, on rentre ! Il n’y a plus personne ici.  La nuit va bientôt tomber.»

Il descend lentement, traverse la cour puis se retourne et se précipite vers la porte de l’étable en aboyant joyeusement.

Je cherche des yeux cet ami invisible auquel il semble « faire la fête » et ne vois que les campanules ployant sous la brise du soir comme si quelqu’un descendait les marches en les caressant de la main au passage.

Le chien saute sur place en jappant de plus belle fouettant l’air de sa queue. Il gambade jusqu’au pied de l’escalier puis revint vers moi semblant suivre une trace invisible.

Je ne l’ai jamais vu se conduire de la sorte.

Il pousse un gémissement à l’instant où je sens distinctement le vent qui tournoie dans la cour, venir s’enrouler autour de moi. J’ai la sensation qu’il me serre dans ses bras et me caresse la joue. Je regarde le chien qui aboie joyeusement en sautant autour de moi.  

Cela ne dure qu’une fraction de seconde, puis le vent s’envole vers le sommet du chêne secouant les branches de la cime.

Tout est calme de nouveau. Le chien me regarde du coin de l’œil soudain impressionné par le silence qui s’installe. Il me suit la tête basse lorsque je sors de la cour. Je referme la barrière grinçante en murmurant : 

«  Oui, Marie, tu peux être fière de toi, elles sont magnifiques tes campanules ! »

Derrière moi un bruit d’ailes me fait sursauter; une tourterelle s’envole dans la lumière du couchant. Elle se pose sur le pignon de la maison. Je reprends le chemin qui passe sous le chêne. Le ciel flamboie. Dans la cour, résonnant entre les murs aux pierres dorées, je crois entendre un rire tinter. Il flotte un léger parfum de mûres, en fermant les yeux je crois sentir un peu de gelée mauve couler sur ma langue…

Mais on m’a toujours dit que j’avais trop d’imagination…

–>> FIN

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Extrait de 

D’ici et d’ailleurs, 13 nouvelles

Marie-Christine Grimard

Une image… une histoire : campanules 3/4

Photo Marie-Christine Grimard

Un soir, arrivant à la ferme en avance, je trouvais la fermière en plein travail. Elle plantait des campanules murales de chaque côté de l’escalier. Aimant leur couleur pervenche, elle espérait les voir fleurir à la Pentecôte où chaque année, elle réunissait toute sa famille :  

« Ce qui fait une occasion de se voir, en dehors des mariages et des enterrements » disait-elle.

Je la revois installer ces petits plans minuscules, le sourire aux lèvres, en imaginant le résultat dans quelques années. Son sourire édenté si lumineux faisait étinceler jusqu’à la prunelle de ses yeux.

« Tu verras ma petite, ces petites campanules formeront une cascade de fleurs bleues jusqu’en bas de marche à chaque Pentecôte. C’est moi qui te le dis ! »

J’éclatais de rire avec elle, tant sa joie était communicative.

….

….

Ce soir, en reprenant le chemin de la ferme avec mon chien sur les talons, je me souviens de ses belles mains qui savaient faire naître la vie et nourrir les hommes.

Le ciel est léger, j’ai bien grandi et je n’ai plus peur de l’épervier. Je le vois arriver de très loin, majestueux, les ailes déployées dans la lumière. Quand il aperçoit le chien, il change de direction et se perche sur le grand chêne.

Il n’y a plus de blé pour me masquer l’horizon, les champs sont des jachères où les coquelicots et les fleurs sauvages se disputent le terrain avec les quelques plants de luzernes ayant échappé à la sécheresse de l’année.

En arrivant à la ferme, ni Tom Sawyer ni Philippe, le pirate fourchu, ne viennent me saluer. Les persiennes sont obstinément fermées. Leur bois se gonfle doucement, effaçant peu à peu les derniers résidus de cette peinture couleur pervenche qui plaisait tant à Marie. Philippe est parti vivre en ville et ses parents font désormais leurs moissons de nuages.

Voilà bien longtemps que la ferme est vide.

J’appelle le chien qui court vers l’escalier suivant une piste imaginaire de belette ou de musaraigne.

Au coin de la maison, la surprise me cloue sur place. Masquant le soupirail au croquemitaine, une cascade de fleurs violettes dégringole les marches, tapis parfumé de lapis-lazuli. Marie aurait été très fière de ce résultat magnifique. 

Je souris à son souvenir en levant les yeux vers le sommet des marches.

Un court instant il me semble qu’elle va arriver sur la première marche avec un petit fromage blanc pour mon dessert. Mais il n’y a plus que le silence. Je siffle le chien, resté en arrêt au milieu des marches, qui gronde en regardant le soupirail.

« Viens mon chien, on rentre ! Il n’y a plus personne ici. La nuit va bientôt tomber.»

 

–>> à suivre

(Extrait de 

D’ici et d’ailleurs, 13 nouvelles

Marie-Christine Grimard)

Une image… une histoire : campanules 2/4

Photo Marie-Christine Grimard

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Marie, la fermière m’aimait beaucoup parce qu’elle n’avait eu que des garçons, et que j’étais la seule fille dans les environs. Elle me racontait des histoires de fées des bois et de princesses oubliées.

Souvent au moment où j’arrivais, elle finissait de traire ses vaches à la robe rousse tachetée de blanc. J’aimais leur regard doux encadré de longs cils qu’elles agitaient comme des éventails quand les mouches les agaçaient. Le plumeau qui ornait le bout de leur queue tentait de disperser l’armée de volatiles et plus d’une fois j’en pris un coup derrière les oreilles ayant oublié de me baisser à temps.

Une fois, la fermière me fit goûter ce lait crémeux tout frais produit, en pressant le pis de « La Brunette » elle envoya un jet directement sur ma langue. Je n’ai pas oublié ce goût de crème chaude et épaisse, douce et écœurante, à mi-chemin entre la pâte à crêpe crue et le lait de poule… 

Elle remplissait mon cruchon qu’elle nommait une « Berthe à lait » jusqu’à ras bord, fermait le couvercle dans un bruit de timbale de fer blanc en me recommandant de ne pas le renverser sur le chemin. Elle ajoutait six œufs dans mon panier et un petit fromage blanc frais du jour pour mon dessert, en précisant chaque soir :

« Voilà pour que tes os soient solides ! »

Un jour, elle avait glissé en plus un petit pot de gelée de mûres sauvages, aux reflets de violette, en clignant de l’œil avec un :

« Tu m’en dira des nouvelles … »

Son sourire était aussi doux que sa confiture. L’ombre de son regard est à jamais associé au goût des mûres dans ma mémoire.

C’est sans doute pour cela que chaque année en septembre, je continue à récolter des mûres sauvages sur tous les ronciers environnants, sans me préoccuper des griffures, pour retrouver ce goût de miel mauve en suçant un à un les petits fruits confits de sucre comme autant de bonbons enrobés de miel.

—>> à suivre

Une image, une histoire : Campanules 1/4

Photo Marie-Christine Grimard

Quand j’étais enfant, j’avais la grande responsabilité d’aller chercher le lait à la ferme le soir après la traite.

Il fallait suivre le chemin de gravillons qui serpentait au milieu des champs. En juillet les blés étaient si hauts et j’étais si petite que je ne voyais que le ciel au-dessus des épis. D’aventure il arrivait qu’un oiseau énorme plane au-dessus moi. Je baissais la tête de peur qu’il ne m’emporte. Avec le recul je pense que c’était un épervier, mais à cette époque-là, je croyais que c’était un aigle royal. La légende disait qu’ils étaient assez forts pour enlever un agneau pour nourrir leurs petits dans les montagnes d’estive. J’en tremblais. Quand l’oiseau s’éloignait, je me relevais pour le voir planer dans l’immensité du ciel, il était si majestueux que je regrettais qu’il ne m’ait pas emportée avec lui finalement.

J’avais lu toutes les histoires de Mark Twain, et certains soirs le chemin de graviers devenait le Mississipi. J’en descendais le cours, pilotant mon bateau à roue. En fermant un peu les yeux, je voyais Tom Sawyer qui me faisait signe sur la berge. Après le virage, on entendait les pirates vociférer. Chaque soir, ils me rattrapaient juste avant que j’arrive à la ferme. Le bateau pirate, c’était le tracteur du fermier qui rentrait des moissons avec son fils Philippe juché sur le garde-boue de la roue arrière, en guise de vigie. Ce qui m’impressionnait, c’était la fourche aux dents griffues qu’il portait sur l’épaule. Elle paraissait cent fois plus dangereuse que tous les mousquets des pirates des Caraïbes et d’ailleurs. Une fois, il m’avait laissé la manipuler, mais elle était beaucoup plus grosse que moi et je pouvais à peine la soulever. L’année suivante, sans rien me dire, il m’en avait fabriqué une réplique miniature juste à ma taille et j’avais eu la permission d’aller aider à faire les moissons. Je sens encore l’odeur de ce foin coupé et j’entends crisser sous mes pieds les fétus de paille grillés par la chaleur de juin.

Pour grimper jusqu’à la ferme, on empruntait un escalier de pierres du pays. Elles prenaient une teinte de lingots d’or que les derniers rayons de soleil illuminaient. Je m’imaginais que ces petites incrustations de quartz dorées étaient de véritables pépites. A la troisième marche, on passait devant le soupirail de la cave où une odeur âcre de terre moisie prenait à la gorge. Il fallait passer vite et ne pas regarder, sinon le croquemitaine des caves risquait de vous happer pour que vous lui serviez de repas du soir. Je ne croyais pas à cette histoire, mais par prudence, je préférais tourner la tête de l’autre côté en passant devant cette ouverture obscure. On ne sait jamais…

A suivre

(Extrait de 

D’ici et d’ailleurs, 13 nouvelles

Marie-Christine Grimard)