Fenêtre sur branches
Fenêtre sur ciel
Fenêtre sur givre
Fenêtre sur mousse
Fenêtres sur fêtes
Il aimait les teintes d’automne, changeantes et chaudes; celles du printemps aussi, éclatantes d’énergie, particulièrement ce vert irisé de jaune que l’on ne voit que dans les premiers jours de lumière et qui disparaît dès que le soleil d’été vient réchauffer les matins.
Il aurait aimé être peintre, mais il fallait bien qu’il gagne sa vie. Alors il avait trouvé un emploi de bureau, où il avait monté les échelons peu à peu. Une vie entière passée sur un siège, à regarder défiler des circulaires et des chiffres. Il ne se plaignait pas, cela lui avait permis de nourrir sa famille et d’élever ses enfants sans difficulté. Mais, quand il avait un moment, il dessinait les portraits des gens rencontrés dans la journée, ou écrivait des phrases sans suite dans un petit carnet gainé de cuir qu’il gardait toujours sur lui. La famille se moquait de ses « petits carnets ». Il en avait toute une collection et personne ne savait ce qu’il y écrivait.
Il avait lu une phrase un jour, il ne savait plus où, disant que si l’on avait le courage de suivre ses rêves, ils finissaient par se réaliser. Son rêve, il le gardait pour lui. Mais il savait qu’un jour, il lui ouvrirait les portes de sa vie.
Ce matin-là, la lumière était particulière. En sortant de chez lui, il resta en arrêt sous l’érable de sa cour. Le reflet jaune des feuilles dansait devant ses yeux, se détachant sur le bleu sans tache du ciel. On était en novembre, et pourtant le soleil était éclatant. Il fallait qu’il aille au bureau, mais il faisait si beau, qu’il décida de s’y rendre à pied pour profiter de cette lumière inhabituelle pour la saison. Il prit le temps d’aller chercher son appareil-photo pour ne pas oublier ce magnifique instant. Tout au long du boulevard, il aligna les clichés. Arrivé à son bureau, il passa un bon moment à les admirer comme un enfant fasciné par les couleurs de ses agates, les fait rouler entre ses doigts, à contre-jour dans le soleil. Son collègue ne l’avait jamais vu comme ça. Il était si sérieux d’habitude…
Sa surprise fut totale, lorsqu’il lui dit qu’il avait une course à faire en face, et qu’il revenait dans une minute. Il le suivit des yeux, et fut très intrigué lorsqu’il le vit entrer chez le marchand de couleurs. Il en ressortit les bras chargés, et revint s’installer à son bureau sans un mot. Il sortit une toile, la regarda en silence, le regard éclairé, fixant une image qu’il était le seul à voir, un sourire aux lèvres. Son collègue était de plus en plus inquiet. Il n’osait plus poser de questions et fit mine de reprendre son travail. Appelé par le service de la comptabilité, il se leva et sortit de la pièce au moment où son collègue sortait une boite d’aquarelles de son sac de papier. Il leva les yeux au ciel, et sortit sans un mot. La réunion mensuelle avait lieu dans l’après-midi et il lui restait deux heures pour achever sa présentation. Il n’avait plus de temps à perdre avec des balivernes !
Lorsqu’il revint dans son bureau en fin d’après-midi, son collègue avait disparu. Son bureau était impeccablement rangé, ses étagères vides, plus une trace de toile vierge, de pinceau ou d’appareil-photo. Aucune trace de lui. Intrigué, il fit le tour du bureau pour ouvrir ses tiroirs. Ils étaient intégralement vides. Pensif, il se dirigea vers sa place, ne sachant que penser, quand son regard fut attiré par un objet adossé au pied de sa lampe. C’était la toile vierge qu’il avait vue dans les mains de son collègue, le matin-même. Elle n’était plus blanche, mais couverte de couleurs magnifiques. Il resta sans voix devant le tableau, lui qui n’aimait pas l’Art, il était hypnotisé par cette image.
Le dessin était très simple, mais extraordinairement lumineux. Il représentait un bouquet de feuilles d’érables, blondes gainées de sang. Elles paraissaient vivantes, transparentes, flottant dans le vent d’automne. Elles se détachaient sur un fond mordoré où l’on devinait le ciel, en taches bleutées, s’insinuant entre les branchages. Les feuilles semblaient si fines que la lumière les traversait littéralement, ou plutôt la lumière émanait d’elles. Il n’avait jamais vu un tableau aussi réaliste auparavant. On aurait dit une photographie. Devant le tableau, une note avait été posée où il reconnut l’écriture de son collègue. Il relut les quelques phrases manuscrites plusieurs fois, ayant du mal à réaliser ce qu’il lisait.
« Mon ami, voici un peu de mon rêve que je te confie.
Puisses-tu trouver le tien et le faire briller dans ta lumière, comme je vais le faire désormais.
Je souhaite que nos chemins se croisent de nouveau lorsque nous aurons accompli ce pourquoi nous étions faits.
A te revoir, mon ami. »
Ce soir-là, il quitta le bureau le dernier, serrant contre lui sa serviette, où il avait dissimulé la toile de son ami, avec l’impression de dérober la Joconde. Une fois dans la rue, il se sentit libre comme un oiseau. L’air était léger pour un mois de novembre, et même le petit vent n’arrivait pas à le faire frissonner. La légèreté de cette feuille sur la toile semblait contagieuse, il avait l’impression qu’elle l’attirait vers le ciel. Il avait toujours voulu voler, depuis qu’il avait été voir son cousin s’élancer sur son deltaplane. Il aurait aimé être aussi léger que cette feuille d’érable…
Il suivit le boulevard en sifflotant. Il lui restait quelques jours de vacances, et maintenant que le dossier était bouclé, on ne pourrait pas lui refuser. Après tout, voilà bien longtemps qu’il n’avait pas rendu visite à son cousin. On verrait ça demain, pensa-t-il, en suivant le bord du trottoir à la manière d’un funambule, comme il le faisait étant enfant. Quelques mètres devant lui, une feuille d’érable gisait sur le trottoir, il tendit la main pour la ramasser quand une rafale plus forte que les autres la souleva brusquement. Elle s’envola en tournoyant, comme si elle avait déployé ses ailes.
Il resta là et la suivit des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans l’obscurité.
En souriant, il lui fit un signe de la main, puis reprit sa route en sifflotant.
Il y a ce petit coin de vie sous mes pieds nourri de terre et de lumière.
Il y a ce morceau de poussière aux couleurs du temps.
Il y a ce bras de mer qui flotte sur mon âme, ondulant sous le vent.
Il y a mes joies et mes peines, mes errances et mes mots.
Il y a la brise des soirs, la brume des matins.
Il y a des morceaux de douceur, des lambeaux de chagrin.
Il y a un voyage si court où je compte mes jours.
Il y a la douceur de la vie sur ma peau.
Il y a le temps perdu qui m’échappe et s’enfuit.
Il y a un peu ce souffle qui s’envole dans la nuit.
Il y a trop peu de ce temps pour aimer, trop peu de ce temps pour rêver.
Il y a trop peu de vie dans ce corps.
Donnez-moi encore une seconde.
Donnez-moi encore un peu de vie, avant que tout finisse….
Écrire chaque jour pour canaliser sa démesure.
Poser le cadre, puis le garnir comme un chausson de sa purée de pommes, ne pas oublier la cannelle.
Laisser les couleurs du temps dessiner une ébauche sur la toile.
Choisir un mot comme on grimpe sur une planche de salut.
Partir sur les vagues avec l’imagination au gouvernail.
Laisser le fil glisser sous la coque, dans le sillage argenté.
Rester bien accroché à la poupe.
Ne pas craindre la houle.
S’émerveiller de la beauté de ce qui ondule sous l’écume.
Tirer tout doucement, ne pas casser le fil, laisser les mots remonter un à un, aussi légers que des poissons-volants.
Sourire quand ils se posent sur le papier, sans bruit.
Attendre qu’ils s’endorment.
Puis les relire, et se délecter de leur danse sous le vent.
Ils m’ont construite à la saison où les marais passent du gris souris au jaune safran.Il leur restait quelques planches quand ils eurent fini de construire le bateau familial. J’ai eu peur qu’ils me peignent de la même couleur, non pas que je n’aime pas le bleu et le blanc, mais je préférais rester «nature». Heureusement, la peinture coûte cher et ils avaient fini le dernier pot sur la barrière de la maison.
Ils avaient besoin d’un abri pour se reposer quand ils rentraient de la pêche. Souvent ils étaient si épuisés, les soirs de tempête, qu’ils n’avaient pas la force de rentrer au village et ils restaient passer la nuit entre mes planches. Plus tard, quand ils construisirent l’étier au bord de mon chemin, je devins « cabane d’ostréiculteur ». C’était un titre ronflant qui ne m’allait pas très bien. Je n’étais qu’une maisonnette toute simple, qu’un abri côtier, comme ils disaient. Le petit Claude m’avait même baptisé en plantant sur mon pignon une jolie pancarte qu’il avait sculptée dans le cadavre du vieux pin, où il avait écrit «Oceane» en oubliant l’accent. C’était le prénom de sa petite amie de l’époque. Plus tard, il oublia cette fille, et ma pancarte fut arrachée par le vent un soir de tempête. Claude est parti vivre dans la grande ville et tout le monde a oublié mon nom depuis que sa mère a été rejoindre son père sous les cyprès de l’église.
Ici la vie est douce, au bord des marais, dans le silence secret des canaux, à l’ombre de la forêt.
J’ai vu défiler des générations de gamins, rêveurs ou casseurs, joyeux ou mélancoliques, hurlants ou chantants. J’ai vu la vie des hommes de ce pays, burinée par le vent salé, brisée par les tempêtes, bronzée par le temps. Je les aime ces hommes et ces femmes courageux, sensibles, attachés à leur terre de sel et de vent. J’aime leurs émois, je ressens leurs chagrins, j’accompagne leurs espoirs.
Ils pensent que je suis un amas de bois et de tôles. Ils pensent que je suis insensible. Je leur pardonne… Ils ne savent pas…
Pourtant une fois, une fillette a compris qui j’étais. Je la revois avec ses yeux immenses du bleu de l’océan. Je la revois me regarder, assise là-bas de l’autre côté de l’étier. Elle suivait des yeux la grue blanche qui habite à l’est. Elle était venue pour cueillir des salicornes, sa mère lui avait demandé de rentrer seulement quand son panier serait plein. Pourtant, elle s’était assise au bord de l’étier, sa ningle* posée sur le sol, le menton reposant sur ses paumes, silencieuse. Elle scrutait chaque détail, chaque son, comme si elle voulait en remplir son cœur. Je la regardais derrière mes rideaux de dentelles et j’ai dû sourire. Ma porte a grincé. Un tout petit grincement pourtant !
Cela a suffi pour qu’elle se retourne vers moi au moment où je tentais de reprendre mon sérieux. Il ne fallait pas qu’elle entende mes planches crisser, il fallait que je bloque ce fou rire que je sentais monter devant son air incrédule. Elle se leva et me fixa quelques instants. Le soleil choisit ce moment-là pour sortir des nuages et se refléter dans mes carreaux, ce qui l’éblouit un peu. Elle leva sa main devant ses yeux en pare-soleil, les plissa et hocha la tête, comme si elle venait de comprendre…
Elle s’approcha de moi, fit le tour de mes planches, colla son visage contre ma fenêtre, les deux mains autour de son visage, puis se décida à entrer. Ma porte était toujours ouverte. Je ne l’empêchais pas d’entrer. Elle fit le tour de ma petite pièce, me chatouilla un peu les entrailles, en glissant sur mon plancher, caressa mes rideaux désuets et jaunis, puis ressortit en fermant soigneusement la porte derrière elle. Elle alla passer son doigt sur les lettres usées de ma pancarte et prononça deux fois : O-ce-an-ne, d’une voix douce.
Elle retourna sur son promontoire, me regarda de nouveau mais cette fois, avec un sourire complice. Ses yeux pétillaient de malice. Elle redressa la tête et murmura:
« Je sais bien que tu me vois, et tu sais que je te vois aussi. Tu ne me diras pas ce que tu penses, là, juste derrière tes rideaux, mais moi, un jour j’écrirai ce jour où j’ai vu briller ton regard dans le soleil du matin. Souviens-toi de moi comme je me souviendrai de toi. Seul le vent pourrait nous trahir, mais il est déjà parti…»
Sur cette phrase, elle se leva et repartit en chantonnant, le long des sentiers du marais son panier presque vide à la main, valsant dans les rayons de miel du soleil matinal.
Et moi, je n’ai jamais oublié son sourire…
Texte et Photo : Marie-Christine Grimard
Notes :
Cette petite cabane d’ostréiculteur a été démolie un an après cette photo. J’aimais beaucoup voir sa silhouette en parcourant en vélo, les marais qui bordent la pinède au bord de ce littoral vendéen que j’aime tant. Les planches ont été récupérées pour d’autres usages, et je me demande si elles ont gardé un peu de l’âme de cette maisonnette dans leurs souvenirs.
*ningle : Longue perche de bois utilisée autrefois par les maraîchins pour sauter les étiers (les ponts étant rares).
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Quelques gouttes de soleil
Quelques feuilles vermeilles
Un peu de rouge sur la treille
Un peu de vert éclatant
Dans le vent
D’un début de printemps
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Fleurs
Abondance et chaleur
Soleil et torpeur
Langueur
Éclatants cerisiers
D’un Généreux et bel été
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Quelques feuilles rougissent inexorablement,
Survivant sur les branches, résistant,
Frémissant, s’accrochent malgré le vent,
Puis épuisées, elles abandonnent
Leur vie rouillée à l’Automne.
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Froid mordant
Brouillard givrant
Paysage Frissonnant
Lumière blanche survivant
Au givre d’un hiver paralysant
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Une année de plus écoulée
Une année de moins à vivre
Bilan de la page tournée
Espoir de celle qui viendra et reste à écrire.
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Le Théâtre de l’Atrium, donnait cette semaine, la pièce « Quatorze » qui relate les évènements historiques survenus durant les 38 jours entre l’attentat de Sarajevo qui a coûté la vie à l’Archiduc François-Ferdinand et la déclaration de la première guerre mondiale, qui coûtera la vie à 20 millions de personnes.
Cette pièce, écrite par Vincent Fouquet, est une comédie, mise en scène par Sébastien Valignat, nous aide à comprendre pourquoi nos aïeux ont participé à cet enchaînement infernal vers l’horreur, n’ont rien vu venir prisonniers de leurs logiques respectives.
« Comment en est-on arrivé là? »
C’est la question posée par la pièce, qui interroge avec humour les causes de la grande guerre, se repasse le film des évènements selon les différents points de vue des acteurs de tous les pays d’Europe qui ont mis le doigt dans l’engrenage, précipitant leurs populations dans l’horreur des quatre ans qui ont suivis.
« Le souvenir est un poète, n’en fais pas un historien. » disait Paul Géraldy.
Ici le souvenir est relaté sous la forme de dialogues entres monarques, ambassadeurs, ministres, pacifistes, journalistes, héros et humains de tous les pays.
On comprend mieux en quelques scènes, comment, comme disait Céline:
« Cette foutue énorme rage qui pousse la moitié des humains, aimants ou non, à envoyer l’autre moitié vers l’abattoir. »
La mise en scène est remarquable ainsi que les acteurs qui endossent en quelques minutes, le costume et la peau de centaines d’humains qui ont tous souffert de cette barbarie.
De nombreux lycéens étaient dans la salle, et l’on se prend à rêver que ce genre de témoignages fasse germer dans leurs esprits, l’idée de ne jamais reproduire ce genre de tragédie, à l’heure où les nationalismes rejaillissent en Europe et dans le monde.
Pour ce travail de mémoire : Hommage à la Compagnie Cassandre
Texte: Vincent Fouquet
Mise en scène: Sébastien Valignat
Avec: Vincent Fouquet, Tommy Luminet, Guillaume Motte, Céline Porteneuve, Charlotte Ramond, Alice Robert.
Scénographie: Amandine Fonfrède
Créatin lumière: Lucas Delachaux
Création son: Joseph Bilek
Costumes: Clara Ognibène
Assistanat Mise en scène: Marijke Bedleem
Administratrice de production: Sophie Présumey.
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