Va-et-vient reprise : l’impossible solution

Voici mon texte pour ceux qui souhaiteraient le relire.

– Je n’aime pas quand tu as ce regard, ça ne présage rien de bon. La dernière fois ça a duré quarante jours…

– Je réfléchis fils ! Laisse-moi le faire en paix !

– Justement, c’est bien de paix que je me préoccupe lorsque tu cogites de cette manière. Tous ces cyclones et ces inondations ne me disent rien de bon. On a déjà donné dans le catastrophisme.

– Apparemment, ce n’était pas la bonne solution puisque personne ne s’en souvient, répond une voix derrière lui. Forcément, la plupart en sont morts et la tradition orale finit toujours par déformer les informations primitives. Les survivants ont la mémoire courte.

– Ne te mêle pas de notre conversation s’il te plaît. C’est un conseil de famille entre mon père et moi. Pas besoin de tiers.

– Un peu de respect mon fils, il a toujours été de bons conseils. Un Esprit tel que le sien nous est indispensable. C’est la sagesse personnifiée, le troisième angle du triangle.

– Dis plutôt que tu l’apprécies plus que moi parce qu’il se range toujours de ton côté. C’est ton clone, ma parole !

– Calmons-nous, sinon nous n’arriverons jamais à une solution acceptable. Disons que son regard de colombe m’apaise. Il voit toujours les choses de haut ce qui m’est très utile. Toi au contraire, tu ne vois toujours que ce qui t’intéresse. Tu es un grand naïf, croyant que les autres sont à ton image et que leur bon côté finira par triompher. Regarde où on en est avec tes idées de hippie. Le temps du « Peace and Love » c’est terminé. Il va falloir que tu redescendes sur terre !

– D’accord, d’accord. On réfléchit calmement. Je reconnais que depuis quelques années, les choses se dégradent. Avec le temps, au lieu de s’améliorer, elles vont de mal en pis. Ils n’apprennent jamais de leurs erreurs et les reproduisent inlassablement. Tu crois que je suis dans les nuages mais j’ai tout vu. Tout ! J’ai surtout compris où tu veux en venir. Tu penses qu’on s’est trompé et qu’il faut repartir de zéro. Tu veux jeter l’éponge. Je ne suis pas d’accord et tu le sais !

– Oui, tu veux toujours essayer de défendre l’indéfendable. C’est ton caractère, depuis ton enfance. Tu as toujours essayé de réparer les dégâts, relever les murs des lamentations, soigner les blessures, calmer les pleurs, ressusciter les morts, pourquoi pas. Parfois, il faut s’en tenir à la réalité. Il n’est pas possible de sauver le monde quand il est en flamme.

– J’étendrai l’incendie avec mes larmes s’il le faut.

– Oui des larmes de sang, je sais. Tu as déjà essayé malgré la souffrance qu’ils t’ont infligé, ces barbares. Pourtant, on en est toujours au même point, maintenant ils s’en prennent aux femmes, leurs mères, leurs filles, la chair de leur chair.

– Quelques-uns s’en souviennent pourtant. Tu sais que j’ai raison. S’il n’y en a qu’une poignée, je peux recommencer. Laisse-moi le faire.

– Il a de la constance ce petit ! Je me suis toujours demandé de qui il tenait ce caractère, dit la voix. Autant de douceur dans le regard que de volonté pour arriver à ses fins. Enfin, je vois très bien de qui il tient au contraire. Il vaut mieux que je me taise, je sais, inutile de me jeter ce regard incendiaire.

– Oui de la constance dans la bêtise ou dans la bonté, ce qui revient au même. Tu ne vois pas qu’ils profitent de ta bonté mon fils. Ils prennent et ne donnent jamais rien. Seul, leur profit immédiat les intéresse. Rien d’autre.

– Pas tous, non, pas tous. Il y a des justes parmi eux.

– Crois-tu ? Je me demande s’il y en a un seul qui soit vraiment désintéressé. Ils sont égoïstes et violents. Il ne se servent de leur intelligence que pour leur plaisir immédiat. La violence est leur seul moteur, ils finissent toujours détruire tout ce qu’on met à leur disposition. Il se sont même inventé des dieux qui justifient leurs destructions. L’envie, la convoitise, la jalousie guident la moindre de leurs actions. Je ne comprends pas où le plan initial a pu déraper.

– Il faut leur donner une autre chance, père. Je vais essayer de convaincre leurs chefs de changer les plans. On va reconstruire sur les ruines. Ils seront sûrement d’accord. Tu permets que j’essaye. Il y a si longtemps qu’on les a laissés livrés à eux-mêmes, c’est un peu notre faute aussi !

– C’est toi qui m’as convaincu à l’époque de leur laisser la liberté de leurs choix.

– Oui je sais, j’ai cru qu’ils étaient assez mûrs pour cela. Je me suis trompé. On aurait dû mieux les accompagner. Mais maintenant qu’ils sont au bout du gouffre, ils vont écouter les conseils et faire ce qu’il faut pour sauver leur peau, tous ensemble. Il faut au moins qu’on leur en parle !

–  …

– Laisse-lui le temps, ne le brusque pas.

– …

– Bon, j’accepte. Mais je te laisse une seule chance. La dernière.

– (Soupir) Je ferai de mon mieux pour sauver ce qui reste de bon à sauver. Compte sur moi.

Il s’éloigne. Le vent claque la porte derrière lui.

– Je crains qu’il ne soit déçu, une fois de plus.

– Oui, on ne peut leur faire confiance mais il faut qu’il le comprenne par lui-même ou alors il m’en voudra pour l’éternité.

– C’était son idée cette planète bleue au milieu du néant. Il la trouvait si belle.

– Il avait raison, c’était la plus belle. Mais il y en aura d’autre, regarde là-bas celle qui naît de cet amas de poussière. Elle sera encore plus belle. Et on ne fera pas l’erreur de laisser la vie aller jusqu’à l’humain cette fois-ci. On s’arrêtera aux singes. Eux au moins ne tuent jamais pour le plaisir.

– On attend son retour puis on envoie une météorite comme l’autre fois ?

– Non, cette fois-ci j’ai plus simple. Je vais faire sauter le bouchon de la marmite. Ça fera un beau feu d’artifice que l’on verra jusqu’à Pluton. Prépare-toi au spectacle.

– Ah oui, Yellowstone, vous le gardiez pour cela ? Bon, je vais aller entretenir le magma pendant qu’il essaye de ramener la paix dans ce monde de dingues. Qui sait ? il trouvera peut-être quelques justes pour l’aider. Moi, je souhaite qu’il réussisse ne vous en déplaise. Après tout, je l’aime bien cette boule bleue lancée au milieu de votre froid sidéral…

– Tu es un rêveur comme mon fils et tu en es fier en plus !

– Oui je suis Sain d’Esprit ne vous en déplaise, et je n’en pense pas moins même si je suis la troisième roue de la charrette. C’est vous qui avez inventé l’espoir, il me semble, alors secouez un peu vos ailes, il est tant d’avoir Foi en vous et en votre fils. Il est la plus belle de vos réalisations. Il les a déjà sauvés une fois. Ils ne pourront résister à la lumière de son regard, vous le savez.

– J’espère…

– Oui moi aussi. La solution c’est l’amour qu’il leur porte.

– Oui. Tu as raison. L’impossible et ultime solution, c’est l’Amour.

Photo Marie-Christine Grimard

Va-et-vient numéro 9 : « L’impossible solution » par Dominique Autrou

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 9 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « l’impossible solution ».

Pour cet échange, j’ai le très grand plaisir de recevoir de nouveau sur cette page Dominique Autrou qui publiera mon texte sur son blog  la distance au personnage.

Les autres échanges se déroulent entre :

Brigitte Célérier sur Paumée et Dominique Hasselmann sur Métronomiques

Marlen Sauvage sur Les ateliers du déluge et Jérôme Decoux sur Carnet Paresseux,

Jean-Yves Beaujean sur Désert occidental et Amélie Gressier sur Plume dans la main

Pour le Va-Et-Vient numéro 10, le thème sera « D’un redoublement l’autre ». A vos plumes.

Voici le texte de Dominique.

……….

(Ce court récit est une suite possible au billet initialement paru le 1er décembre 2023 sur le blog de Jérôme Decoux, dans le cadre du « Va-et-Vient 8 »)


Le lendemain matin, il fallut se débarrasser du cadavre. Et ce n’est pas rien comme affaire, me dis- je, il y a un minimum d’engagement. Mes maigres connaissances cinématographiques me proposaient des solutions brutales ; par exemple, avoir dans ses relations un entrepreneur véreux des Travaux Publics, ou encore, être en bonne intelligence avec un grossiste de produits chimiques industriels. De toute évidence, tel n’était pas le cas. D’ailleurs, en y réfléchissant, il était invraisemblable qu’une opération de ce genre se fasse gratuitement. Dans la plupart des cas, dans la littérature policière et sans doute dans le monde réel, celui qui engage un tel contrat doit s’attendre à une contrepartie à l’identique, en des termes rigoureux et définitifs. Impossible de revenir en arrière. Une question d’honnêteté, au fond ; c’était comme pénétrer le monde exigeant du crime. Non. Décidément, j’étais dépourvu de cette force d’âme. Il allait falloir trouver une solution rapide, improvisée et méticuleuse à la fois. Par conséquent j’étais parfaitement abattu, sans mauvais jeu de mots, avant même d’avoir mis un pied par terre au sortir du lit.


À cet instant précis, Alice me fit remarquer qu’il n’y avait pas de cadavre. En tout cas pas encore, du moins à sa connaissance, si ce n’étaient les deux ou trois bouteilles vides qui traînaient au bord de l’étang depuis hier soir. C’était un soulagement. Je ne me serais jamais fait à l’idée d’avoir revêtu contre mon gré l’étoffe de l’assassin, même si souvent d’autres moi-même, troubles et inconnus jusqu’alors, se frayaient un chemin jusqu’à frôler mes os. Il est vrai sans dommage apparent, la plupart du temps. Je n’avais réellement pas encore conjugué le verbe « buter » autrement que dans l’expression « buter sur tel ou tel mot », ce qui ne relève sûrement pas de la même difficulté. Aussi quelle bonne nouvelle, cette absence de nouvelles du taxi, j’avais dû faire un mauvais rêve. Compte tenu des circonstances, il n’était pas interdit de savoir jouir du seul bel horizon des évènements.


Il y eut ensuite des moments très tendres entre nous, et d’autres qui échappaient à la grammaire des sentiments. Traîner, rouler sur les petites routes de campagne, prendre son temps, quel luxe. Je ne m’en étais pas rendu compte tout de suite à Limoges, dans la confusion, mais la voiture d’Alice, une Volvo à la jolie couleur gris souris, était d’un modèle si ancien que son vitrage était à l’origine en verre trempé. L’assureur de cette antiquité suédoise avait même insisté, paraît-il, pour que le pare- brise fût remplacé par un exemplaire en verre feuilleté, histoire d’éviter une catastrophe et par conséquent une envolée du montant de la prime. La console du tableau de bord et l’intérieur des portières étaient habillés de boiseries laquées et les deux sièges, plutôt bas mais en cuir fin hors d’âge, étaient fixés sur des tapis de velours rouge. Il émanait de l’ensemble un mélange de sévérité technique et de confort raffiné qui donnait l’impression d’être assis dans le bar d’un grand hôtel des années trente ; à l’arrêt, assis devant tel ou tel paysage, ne manquaient presque qu’un cigare et un verre d’alcool. Je ne suis pas arrivé à déterminer si le style de cette auto s’accordait, ou au contraire contrastait avec un mode de vie qui, chez Alice, semblait d’une extrême discipline. Je m’en étais aperçu à la façon dont elle regardait le moindre objet du quotidien, à mes yeux banal, comme s’il s’agissait d’une découverte, d’une étrangeté à accueillir autrement. Et cette façon de ne pas tenir le monde à distance, mais d’être en intimité avec l’insolite à tout moment, ici et maintenant, là ou d’autres se sentent obligés de faire des milliers de kilomètres pour être dépaysés, cette puissance d’admiration toujours neuve et toute en retenue était, il faut le comprendre, infiniment séduisante.


On naviguait donc grosso modo sur une même longueur d’onde, à une fréquence indéterminée. Jusqu’au moment où, dans le cours d’une conversation, Alice me rappela qu’elle était directrice de recherche au CNRS. C’est un fait que j’avais zappé. Nous étions alors attablés au bord de la rivière Gartempe, l’œil de la friture regardait vers le haut et les bras m’en sont tombés sous la chaise, sans un mot plus haut que l’autre. L’équipe d’Alice travaillait sur des carottes de glace rapportées du pôle. Y étaient prisonnières une multitude de bulles d’air et chacune, pour peu qu’on l’auscultât minutieusement, révélait clairement l’atmosphère correspondant à son âge. Dans les kilomètres en tranches d’épaisseur antarctique conservés quelque part sur le campus de Saclay à Gif-sur-Yvette elle pouvait ainsi lire, sur des dizaines de milliers d’années, l’évolution du climat. À propos de celui-ci, puisqu’il était difficile d’éluder la question, sa réponse fut catégorique :

‒ Non, on ne pourra pas revenir en arrière, ni même ralentir l’emballement. Ou si peu. De toute façon tout le monde s’en fout. Le Giec m’a envoyé paître, littéralement. Le mieux que je peux faire est d’accompagner les jeunes. Venus d’eux-mêmes, par goût du travail, par conviction. Investis dans la recherche. À ce stade il n’y a plus de solution, et la question elle-même serait presque devenue caduque. Les lobbies complotistes n’ont d’autre but que de nous retourner, on finirait par croire que défendre son job, affirmer sa thèse, revient à remettre en cause les grands principes de physique classique et contemporaine (elle s’animait, sonore, et se déployait en gestes expressifs). Comme d’autres qui en sont à se demander ce qui a précédé le Big Bang. Ce n’est pas qu’il y ait, oui ou non, une réponse, c’est que la question n’a pas de sens. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas chercher s’il y a quelque chose au nord du pôle Nord, hein ? Ah mince, j’avais oublié que la Terre est plate ! Bande de prophètes. Question climat, comme en politique, c’est pareil, la contre-révolution est en marche. Il faudrait se dépasser au centuple pour balayer ces conneries. Je n’y arrive plus. Mais tu connais mieux que moi Arthur Gordon Pym ; dans mon souvenir baudelairien Déplorable désastre, n’est-il pas ? (quelques clients des tables voisines manifestaient déjà, discrètement, des signes de).

De fait, dans mon propre souvenir A. G. Pym était loin, et question prophète je ne connaissais guère que celui d’Audiard, pour lequel j’avais éprouvé de la sympathie. Je finissais par me rendre compte qu’en bonne universitaire, Alice était capable aussi bien d’expliquer, de développer, à l’infini, que de résumer à l’extrême. Elle avait par ailleurs la faculté de disparaître sans un mot et de revenir de l’autre côté quelques heures plus tard, loquace et les bras encombrés de découvertes étranges. Cet incomparable métamorphisme s’associait bien avec ma faculté de faire parler le silence. Ainsi nous vécûmes la suite de notre rencontre dans l’espace de cette dilatation, le flux malléable du temps, sans nous soucier autrement ni de l’impossible ni de la solution. Discipline et volupté, pour mémoire et pour règle. Jusqu’au matin où, en ouvrant les volets, j’entrevis dans la pénombre, au bout de l’allée qui remontait vers le chemin d’accès à la maison, planquée sous un arbre un peu plus loin que le portail, une voiture en veilleuse dont le moteur tournait au ralenti. Alice, penchée sur la portière avant gauche, semblait parler au conducteur. En regardant mieux, pas de doute, c’était un taxi.

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Texte et Lino Dominique Autrou