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Deux tuiles s’écrasent juste devant leurs pieds, suivies de débris de la gouttière. La jeune femme pousse un cri et part en courant dans l’allée. Elle remonte dans sa voiture en criant qu’elle refuse de rester une minute de plus pour visiter cette dangereuse ruine. Son époux lui emboîte le pas et démarre en trombe, disparaissant au bout de la rue avant que l’agent immobilier ne les rattrape.
Dépité, il jette son plan à terre d’un geste rageur et explose :
« Encore une fois ! Chaque fois, c’est pareil. J’en ai vraiment marre de cette maison de fous ! »
Il a totalement oublié Pierre. Furibond, il remonte dans sa grosse berline sans même retirer la clé de la porte ni cadenasser le portail, à la poursuite de ses clients.
Pierre reste seul dans l’allée, le sourire aux lèvres. Il peut visiter un peu le jardin. Il a tout son temps désormais. Il se sent si bien dans ce parfum de lilas.
Au moment où il se retourne vers la maison, il entend le même petit ricanement. En fait, il semble provenir de la porte d’entrée. Les plantes sauvages qui ont envahi la facade, dessinent une ombre sur le chambranle. Il sent qu’un regard ironique le toise.
Il s’approche. L’image disparaît lorsqu’un nuage passe devant le soleil. Il a dû rêver. Il se dirige vers la porte, prudent, en jetant un coup d’œil vers le toit. De ce côté-là plus rien ne bouge.
Il remarque alors que les moulures de bois qui encadrent le heurtoir dessinent un visage grimaçant, moustachu, lèvres serrées, yeux clos. Il suit du doigt les contours de ce masque fabuleux, le bois est encore chaud du soleil de l’après-midi. Il pense à l’artiste qui a sculpté ce visage. Quel talent il avait pour donner une expression pareille à quelques planches de bois
Lorsqu’il caresse le contour de la bouche, il lui semble la voir sourire.
Il retire sa main, un peu effrayé, redescend le perron en marche arrière sans quitter des yeux le masque de bois. Plus rien ne bouge, mais il entend distinctement un soupir. Cette fois, ce n’est pas une illusion. Le soupir vient de l’intérieur de la maison. Sans réfléchir, Pierre saute sur le perron et pose la main sur la poignée ouvragée. Il ne rencontre aucune résistance. Elle tourne presque seule sans grincer, libérant le loquet.
La porte pivote doucement sur son axe, dans un bruit de bois sec, le masque semble s’effacer devant Pierre pour lui laisser le passage, comme un serviteur zélé l’aurait fait pour un visiteur de marque.
Pierre l’interroge du regard comme s’il pouvait lui expliquer ce qu’il attend de lui.
Après tout, il a toujours été curieux et il n’a rien à perdre. Il prend une grande inspiration, en souriant il s’incline pour le remercier et entre dans la maison.
FIN