Photo du jour: Dernier jour

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Photo M.Christine Grimard

 

***

Le dernier jour pointe sur les monts,

Dernière aube, dernières heures de lumière,

Dernier bateau sur la rivière,

Dernier avion à l’horizon.

*

L’année file en catimini,

Habillée de brumes et de glaces.

Que laissera-t-elle comme traces

Dans nos souvenirs, dans nos vies ?

*

Quels chagrins dans nos cœurs de pierre ?

Quelles joies dans nos âmes légères ?

Quelles attentes déçues ?

Quelles surprises vécues ?

*

Peut importe … elle est finie !

***

Une image…une histoire: Conte de Noël (2/4)

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Photo by Jenn

 

A l’évocation du visage de maman, si flou dans ses souvenirs, deux grosses larmes perlèrent au coin de ses yeux, qu’elle chassa d’un revers de main. Une vieille femme qui passait s’arrêta près d’elle, la regardant fixement, et lui tendit son mouchoir en disant :

« Ma petite, Noël n’est pas fait pour remplir les yeux de larmes, mais plutôt les visages de sourires. Que vous arrive-t-il de si grave ? »

« Rien. Merci beaucoup pour votre mouchoir, mais j’ai seulement pris un courant d’air dans les yeux… »

« Oui, bien sûr, répondit la vieille femme, et moi, je vais aller passer le réveillon au Crillon. Ne vous a-t-on jamais dit que le jour de Noël, les mensonges étaient proscrits. »

« Je vous assure… » Commença-t-elle

« N’en rajoutez-pas, mon enfant. J’étais institutrice dans ma jeunesse, poursuivit la dame, j’ai appris à lire le mensonge dans les yeux de mes élèves, et ça m’a bien servi dans la vie. Pour votre peine, vous allez m’accompagner à Saint-Eustache. J’avais besoin d’un peu d’aide pour faire le trajet, avec ces trottoirs givrés glissants, et ma femme de ménage qui m’accompagne d’habitude, est rentrée dans sa famille ce soir. Ça vous fera beaucoup de bien de vous asseoir un peu au chaud dans cette église et de réfléchir sur la valeur de la franchise. Vous pouvez garder mon mouchoir ! Mon prénom est Camille.» Conclut-elle d’une voix autoritaire.

Il n’y avait pas à discuter, après tout, cet intermède l’amusait. Mary avait l’habitude des patients au caractère difficile, et cette vieille dame semblait attachante. Elle n’allait pas la décevoir, de toute manière, elle avait terminé ses achats et n’avait rien de mieux à faire avant le réveillon. Elle glissa son bras sous le sien, lui emboîta le pas, et répondit:

« Enchantée Camille, je suis Mary, je vous accompagne jusqu’à l’église, mais n’aurais pas le temps d’y entrer avec vous. je suis attendue pour le réveillon. »

Tout au long du trajet, la vieille dame lui décrivit chaque commerçant du boulevard en détail. Elle connaissait tout le monde, vivant dans le quartier depuis son enfance, saluant par leur prénom les passants qu’elle croisait. Ses anecdotes étaient autant de perles que Mary prenait grand plaisir à entendre. Elle lui suggéra d’écrire tous ses souvenirs avant de les oublier ce qui fit beaucoup rire la vielle dame, qui déclara :

« Vous savez, je tiens une sorte de journal depuis l’âge de treize ans où j’ai consigné un tas de détails inutiles, et nombres d’histoires relatives à ce quartier. Je pense que ça n’intéresserait pas grand monde, mais c’est assez bien écrit tout-de-même. J’étais très à-cheval sur l’orthographe quand j’étais institutrice, je ne tolérais aucune faute d’accord. Enfin, à notre époque, tout est permis… »

Elle semblait désabusée et resta perdue dans ses pensées quelques instants, jusqu’à ce qu’elles atteignent le parvis de Saint-Eustache. Elle commença à monter les marches en s’appuyant sur le bras de Mary en la regardant du coin de l’œil et demanda :

« Entrerez-vous avec moi ? »

Mary leva les yeux vers les statues qui encadraient le tympan de l’église. Elles semblaient surveiller les fidèles, mais ce qui l’impressionnait c’était la hauteur de l’édifice. Elle avait toujours trouvé de bâtiment écrasant, même si elle en aimait l’architecture ouvragée et le cadran solaire autour de sa rosace. La vieille dame semblait désirer qu’elle l’accompagne, elle la fixait, attendant qu’elle se décide avec son air d’institutrice attendant le silence pour commencer son cours.

« Voilà bien longtemps que je ne suis entrée dans une église, commença Mary en hésitant. Je ne sais pas trop ce que je pourrais y faire… »

« Vous ne saurez jamais si vous n’essayez pas, interrompit brutalement la vieille dame. Il n’est jamais trop tard, pour tenter des expériences intéressantes. Foi de Camille ! Suivez-moi, vous ne le regretterez pas. La veillée de Noël est chantée durant l’après-midi désormais et la messe de minuit est donnée à vingt heures, pour laisser aux gens le temps de réveillonner en famille après. Cela m’arrange, finalement, mes vieux os n’aimant pas les journées trop longues depuis quelques années…»

Elle attrapa Mary par le bras et monta les marches deux à deux, ayant soudain retrouvé sa souplesse.

Devant le regard incrédule de Mary, elle ajouta :

« Ne vous a-t-on jamais appris à ne pas vous fier aux apparences, mon petit ?, Allons-y, nous allons rater Douce nuit, et c’est mon cantique préféré ! »

—> A suivre <—

Une image…une histoire: Conte de Noël (1/4)

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Le dernier vrai Noël dont elle se souvenait, remontait à une dizaine d’années.

C’était juste avant que sa vie bascule dans ce néant épuisant qui remplissait son temps désormais. Depuis dix ans, elle prenait toutes les gardes des jours fériés, et surtout celle du soir de Noël, ses collègues s’étaient habituées à cette aubaine, et ne l’en remerciaient même plus. Elles avaient fini par trouver cela normal, après tout, elle n’avait pas d’enfants, pas de mari et sans doute pas de famille non plus. En fait, elle n’en parlait jamais, et peu à peu on avait cessé de l’interroger. Elle était là, voilà tout, et cela arrangeait tout le monde.

Elle préférait travailler, ce qui lui avait fourni un bon prétexte pour éviter la fête familiale. Depuis trois ans, sa belle-mère ne prenait plus la peine de l’inviter sachant qu’elle refuserait. Si maman était encore là, les choses auraient été bien différentes, sans doute. De toute manière, elle ne pourrait oublier qu’il avait choisi ce soir-là, pour leur annoncer son départ, lançant à la cantonade, à minuit pile, lorsque chacun levait sa coupe de champagne :

« Je lève mon verre à ma nouvelle nomination, demain je serai à Bamako. J’ai signé pour trois ans, félicitez-moi, ce poste n’a pas été facile à obtenir ! »

Lorsqu’ils avaient tous applaudi, elle était restée muette, son verre à la main, les yeux pleins de larmes. Il avait regardé son visage défait puis avait tourné la tête et trinqué avec son meilleur ami en éclatant d’un rire qui résonnait encore à ses oreilles. Son monde s’effondrait, emportant ses espoirs dans le fleuve de l’amertume. Elle avait cru que leurs vies étaient liées, mais ce n’était qu’illusion, elle était montée seule dans cette barque finalement…

Quelques jours plus tard, à l’aéroport où elle l’avait accompagné en espérant qu’il changerait d’avis au dernier moment, elle avait vraiment réalisé son erreur, lorsqu’il avait dit que l’Afrique lui offrirait cette liberté sans laquelle il ne pouvait pas vivre. Elle n’avait pas parlé de son secret, et elle avait bien fait puisque quelques jours de chagrin avaient suffi à le dissoudre dans le néant.

Elle avait tourné la page, depuis si longtemps, du moins le pensait-elle. Mais il suffisait que cette période des fêtes revienne pour que la plaie se remette à saigner. Ce qui aurait pu être, et qui n’était pas lui brisait le cœur. Elle avait beau se répéter que les regrets étaient stériles, elle ne parvenait pas à l’oublier. Pourtant, elle avait essayé, allant de déceptions en désillusions.

Cette année, elle avait renoncé à se faire du mal. Elle n’avait pas pris la garde de Noël, irait à la soirée donnée par sa belle-mère, elle affronterait ses vieux démons avec le sourire, et tournerait la page. Forte de ses bonnes résolutions, elle avait posé sa semaine de vacances, en essayant de ne pas remarquer l’air interrogatif de sa supérieure.

Elle allait se donner l’illusion d’un « vrai Noël », elle ferait tout ce qu’il fallait pour entrer dans le moule, à commencer par courir les magasins des grands boulevards à la recherche du cadeau idéal pour des gens qu’elle n’avait pas vu depuis des lustres et dont elle ne connaissait pas les goûts actuels. La foule qui se pressait sur les trottoirs lui donnait le vertige. Elle s’arrêta contre une vitrine pour reprendre son souffle, où tournait un train électrique. Son trajet circulaire parcourait une campagne enneigée où des animaux en peluche côtoyaient des poupées fabuleuses, et des automates sortis tout droit d’un conte de Dickens. Elle était fascinée par la scène, qui la replongeait trente ans en arrière lorsqu’elle était venue voir les vitrines de Noël pour la première fois. Son visage arrivant à peine à la hauteur de la vitrine, papa avait dû la prendre dans ses bras, tandis que maman lui détaillait le nom de chaque personnage.

A l’évocation du visage de maman, si flou dans ses souvenirs, deux grosses larmes perlèrent au coin de ses yeux, qu’elle chassa d’un revers de main. Une vieille femme qui passait s’arrêta près d’elle, la regardant fixement, et lui tendit son mouchoir en disant :

« Ma petite, Noël n’est pas fait pour remplir les yeux de larmes, mais plutôt les visages de sourires. Que vous arrive-t-il de si grave ? »

–> A suivre <–

Clichés 18 : Joyeux Noël

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Photo M. Christine Grimard

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Plaisirs scintillants

*

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Plaisirs gourmands

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Caprice
Honteux et
Onctueux qu’on
Croque à l’
Occasion avec
Légèreté
Amour et
Tendresse

= CHOCOLAT

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Photo M. Christine Grimard

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Jour de partages

Aux Santons  généreux

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Photo M. Christine Grimard

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Nuit d’espoir donnée

Par un enfant nouveau-né

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Photo M. Christine Grimard

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Photo M. Christine Grimard Santons Fouque (Aix)

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Nuit Rouge

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Photo M. Christine Grimard

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Nuit de Lumière et de Paix

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Photo M. Christine Grimard

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Que votre Nuit étincelle de joies échangées

Et que ce jour qui porte l’espoir d’un monde en paix

Vous laisse au fond du cœur un goût  d’Amour partagé

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 Celtic Woman: Silent Night

Confessions Intimes 6: Nikita

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Photo: Craloskhu

 

Elle m’a installé devant la fenêtre. J’ai eu de la chance. Katy la girafe, elle, a échoué sur la console de l’entrée, où l’air glacé vous transperce, dès que quelqu’un ouvre la porte. A mon âge, je n’aurais pas pu le supporter longtemps. Ma fourrure a disparu depuis longtemps, à force de se serrer contre moi, on me l’a usée jusqu’à la trame.

Je n’avais pas compris pourquoi elle nous a tous ressortis du carton où l’on dormait depuis quarante ans. J’ai cru qu’elle allait faire des travaux de rénovation dans le grenier, qui en aurait bien besoin, entre nous soit dit. Elle nous a répartis dans toute la maison, comme si elle avait besoin de compagnie. Ce que j’ai eu du mal à supporter, c’est le silence. J’étais habitué à des cris, des rires, des chansons hurlées joyeusement et faux, à tous les étages. Mais durant les années où je m’étais endormi dans ce carton, tout avait changé dans la maison. Il m’a fallu quelques jours pour réaliser que ce qui m’oppressait, c’était ce silence.

Parfois, elle allumait la télévision, et là c’était pire encore. Une avalanche de bruits, de phrases prononcées par des voix inconnues, de musiques tonitruantes, d’éclairs de lumière. Si j’avais pu, j’aurais collé mes pattes sur mes oreilles. Nicolas faisait toujours ça quand quelque chose l’effrayait, il commençait par me boucher les oreilles, ce qui le rassurait aussi. Il était tranquille, lorsque je l’étais aussi, joyeux ou triste à l’unisson de mes émotions. Lui et moi, on était en parfaite symbiose. Cet enfant a toujours eu un cœur d’or. Je crois que c’est lui qui me manque le plus.

Elle est souvent triste depuis leur départ, même si elle ne le dit jamais. Elle ne se plaint jamais de rien d’ailleurs. Elle a toujours été courageuse. Mais quand elle a appelé son amie, l’autre jour, j’ai bien entendu qu’elle était très heureuse de leur venue pour la période de Noël. Elle expliquait la manière dont elle voulait décorer la maison pour lui donner un air de fête, comme elle le faisait quand ils étaient petits. Elle souriait en expliquant qu’elle avait retrouvé leurs jouets préférés, qu’elle avait disposés dans la maison pour qu’ils aient le plaisir de les voir dès leur arrivée.

J’ai bien vu qu’elle avait les larmes aux yeux quand elle m’a regardé en parlant de Nicolas. Elle lui a expliqué de nouveau pourquoi il m’avait prénommé Nikita, l’année où ce président russe s’était fait remarquer avec sa chaussure. Il trouvait que ce prénom était drôle et doux, comme moi. Pour un peu j’en ai presque pleuré aussi, voilà si longtemps que je n’avais pas entendu cette histoire. J’ai eu l’impression de faire un bond vers le passé.

Les jours suivants, elle a retrouvé les « décorations de Noël », elle en a trois cartons entiers. Celles que je préfère, ce sont les boules en verre décorées de volutes dorées. Je les ai tout de suite reconnues lorsqu’elle les a libérées de leur protection de soie. Elles étaient toutes intactes et belles comme au premier jour. Elle a décoré son sapin en fredonnant des chants de Noël, comme au bon vieux temps. Lorsque le sapin fut entièrement pavoisé de rouge et d’or, elle a ajouté sa fameuse guirlande électrique, célèbre dans tout le quartier, parce que c’était la première capable de scintiller sur le rythme de « Jingle Bells », ayant un haut-parleur intégré dans son transformateur. Son mari l’avait rapportée de Boston lors d’un de ses voyages d’affaire, et tous les voisins avaient défilé pour l’entendre, cette année-là. Il ne restait plus qu’à ajouter la touche finale, et c’est avec un large sourire qu’elle disposa au pied du sapin, les paquets qu’elle avait soigneusement empaquetés pour chacun.

Ils allaient arriver ce soir, quelques heures avant le réveillon. Elle était de plus en plus nerveuse et je commençais à l’être autant qu’elle. Je scrutais le ciel derrière la baie vitrée, espérant que ces gros nuages gris n’apporteraient pas la neige. Les routes n’étaient pas très bonnes par ici et l’on avait déjà vu des tempêtes de neige venir gâcher les fêtes familiales plus d’une fois !

Dans l’après-midi, une odeur de cannelle est venue chatouiller mes narines. Elle avait pensé à tout. Les petits sablés de Noël occuperaient la desserte quand ils arriveraient, entourés des treize desserts qu’elle avait disposés, selon leur tradition familiale.

Elle se cala dans son fauteuil tourné en direction de la porte d’entrée. Il lui restait quelques minutes avant que ses invités n’arrivent. Je la vis arborer un magnifique sourire lorsqu’elle se tourna vers moi et me dit :

« Voilà tout était prêt. Ils peuvent arriver, réveille-moi lorsque tu verras leur voiture entrer dans la contre-allée, Nikita… »

Promenade d’automne

Alors que l’automne est parti définitivement, je reprends ce texte que j’ai eu la grande joie de partager avec Marlen Sauvage, auteur du blog « Les ateliers du déluge » dans le cadre des « Vases communicants » de décembre.

Ce fut un échange de plaisir et d’amitié, autour du thème de la nature, sous la forme de Haïku que nous affectionnons toutes les deux.

Je remercie Marlen très chaleureusement, d’avoir initié ce dialogue.

Et je reprends ce texte ici avant de l’oublier

 

haiku vases

Vole vent fripon !

Toute surprise, l’Automne

Perdit son jupon.

***

Plus aucune feuille

Sur les branches endormies,

Plus le moindre bruit.

***

Je marque le pas

Quand dans la forêt rouillée

Arrive le froid.

***

Pourtant elle est belle,

Nue, sous le ciel irisé

De nuées bleutées.

***

Sous son soleil pâle

La lumière a une mine

E-pou-van-ta-ble !

***

L’oiseau égaré

Chante sa dernière plainte

Triste mélopée

***

Figée sous les branches

Les yeux rivés sur sa voix

J’écoute en silence.

***

Il chante l’automne,

La saison d’abandonner

Pour ne pas mourir.

***

Un peu de patience,

Une nouvelle espérance

Reviendra demain.

***

Je repars avec

Mon sourire et son espoir

De voir le printemps

***

Une image…une histoire: Lierre (4/4)

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Lucia d’abord pétrifiée, se ravisa et se précipita dans l’escalier. Il fallait qu’elle sache ce qui se tramait dans cette maison, elle ne laisserait personne lui jouer ce genre de tour sans se défendre. Tremblante, elle reprit son souffle sur le palier du premier, puis ouvrit la porte de la chambre d’un seul coup pour ne pas laisser le temps à l’intrus de s’échapper. La seule chose qu’elle vit en entrant fut le couvercle du clavier qui se refermait avec un bruit sec. Personne ne jouait. Il n’y avait personne dans la pièce. Elle s’arrêta sur le seuil, tremblante et sursauta quand le jeune homme arriva derrière elle.

Il la contourna, et s’avança vers le piano, tenta de soulever le couvercle sans y parvenir. Ils se regardèrent, incrédules. Lucia  fit le tour de la pièce, regardant dans tous les coins sans savoir ce qu’elle cherchait. Puis elle s’approcha de la fenêtre qu’elle ouvrit, se penchant au-dessus du garde-corps, mais il n’y avait que le lierre qui frémissait sous le vent du matin. Elle se retourna vers son compagnon et dit:

« Personne n’a grimpé sur ce lierre depuis longtemps, il n’y a aucune trace humaine.. »

« Je m’en doutais bien, répondit le jeune homme, la fenêtre était close et vous venez d’en débloquer la poignée avec beaucoup de difficultés ! Il est évident qu’il n’y a aucun humain ici, ni dans cette pièce, ni à l’extérieur. Où alors dans ce placard hermétiquement clos, peut-être ? »

Il désignait le placard du doigt. Lucia suivit son regard, hésitante, puis se décidant brusquement elle traversa la pièce et posa la main sur la poignée qui refusa obstinément de tourner. Elle interrogea du regard le jeune homme, qui lui fit un geste d’impuissance. Tout deux gardèrent le silence, ne sachant plus que faire. Lucia se désola:

« Nous sommes dans une impasse, quelque chose ici ne veut pas de notre présence et refuse de nous dire pourquoi. Pourtant, j’avais envie de comprendre et d’aider cette maison, si je pouvais, à retrouver une peu de sérénité et de vie… »

Elle avait dit cela d’une voix douce en regardant autour d’elle, balayant la pièce du sol au plafond. Son compagnon la dévisageant d’un air dubitatif, répondit:

« Certains souvenirs sont probablement trop douloureux, et cette maison refuse de les oublier. Elle semble ne pas supporter que des gens heureux puissent vivre entre ses murs ! »

A peine eut-il prononcé ces paroles, que la fenêtre se referma brutalement, ébranlant les carreaux violemment. Lucia sursauta, cachant son visage dans ses mains, au même moment la porte du placard se débloqua et s’ouvrit sans qu’elle ne la touche. Quelques notes s’échappèrent du piano, couvercle obstinément fermé, puis un lourd silence retomba dans la pièce.

Lucia s’approcha du placard avec la sensation que la solution était là. Elle en détailla tous les rayons, ne voyant rien au premier regard, puis elle s’accroupit, examinant les lattes du parquet sans rien remarquer. Elle passa la main sur le sol, cherchant une aspérité, lorsqu’elle sentit un léger dénivelé entre deux lattes. Elle appuya sur l’une d’elle sans résultat, puis sur l’autre, ce qui eut pour effet d’élargir l’espace entre elles. En tâtonnant, elle finit par libérer les morceaux de bois l’un de l’autre, ce qui découvrit une cavité sombre sous le plancher. Elle reprit son souffle, n’osant pas glisser sa main dans ce trou, elle avait toujours eut peur des rats et dieu sait ce qu’il y avait là-dessous…

Le jeune homme s’accroupit à ses côtés lui demanda de se pousser. Il plongea la main dans le trou et en ressortit un carnet sombre recouvert de cuir. Il le tendit à Lucia tenant de contenir les tremblements de sa main. Il était couvert d’une écriture féminine, ronde, bien affirmée et élégante dans les premières phrases, puis de plus en plus tourmentée au fil des pages. Lucia commença à lire à voix haute pour son compagnon, d’une voix étranglée. Elle égrainait les mots, et peu à peu sa voix changea, s’affermissant, prenant un timbre plus grave que le sien. Elle désigna à son jeune compagnon le siège du piano, où ils s’installèrent côte à côte. Il tenta d’ouvrir le couvercle du clavier qui ne lui opposa plus aucune résistance, mais l’instrument resta silencieux. L’histoire de la jeune femme qui avait écrit ces lignes, des décennies plus tôt se déroulait devant leurs yeux, jusqu’à la tragédie qui avait brisé sa vie. La dernière page tournée, Lucia referma le carnet en laissant libre court à ses larmes, les yeux fermés sur l’horreur. Son compagnon entoura ses épaules de son bras et ils restèrent ainsi prostrés de longues minutes, jusqu’à ce que l’instrument interrompe leur chagrin en jouant une fois encore la même Gnossienne, pianissimo. Le son était à peine audible comme si la musique provenait d’ailleurs, et les touches du clavier demeuraient immobiles.

Lorsque la musique se tut, Lucia se sentit brusquement libérée de son angoisse, elle se leva et alla fermer la porte du placard qui ne résista pas. Son compagnon ressentit le même soulagement, et referma doucement le clavier, qui demeura silencieux.  Ils quittèrent la chambre et descendirent dans l’entrée où ils échangèrent un long regard, en silence.

Avant de sortir, le jeune homme dit à Lucia:

« Je crois que vous devriez écrire l’histoire de cette jeune femme, pour rendre hommage à sa souffrance et en témoigner devant les générations actuelles, qui n’ont aucune idée, de ce que pouvaient vivre ces jeunes filles soumises à l’autorité aveugle de leur famille. »

« Vous avez raison, répondit Lucia. Je crois que je lui dois bien cela. Je vais le faire, et je vous ferai lire mon texte lorsque je l’aurais achevé. Je vous remercie de votre aide, ce matin, sans vous je n’aurais jamais oser affronter cette succession d’évènements. »

Le jeune facteur prit congé, avec un geste de la main, et sortit. Lucia le regarda s’éloigner dans l’allée, puis  s’installa à son bureau pour écrire les grandes lignes de son histoire avant que les détails qu’elle venait de vivre ne lui échappent.

Le premiers mots coulèrent de sa plume comme s’ils attendaient ce moment depuis un siècle :

« S’il n’avait pas plu ce jour-là, si je n’avais pas glissé sur ce lierre,  si je n’avais pas crié, mon père n’aurait jamais su que je sortais par là pour rejoindre Pierre.  S’il avait fait beau, si les étoiles avaient brillé, si le chien n’avait pas aboyé, il n’aurait jamais rien su. Au lieu de cela, je me retrouve enfermée dans cette chambre, à jouer interminablement les mêmes morceaux, pour qu’il sache que je suis bien là, que je n’ai pas tenté de m’évader de cette prison. Il n’y a que sa musique qui compte, que sa musique ! Je ne peux plus supporter cette musique, je ne peux plus supporter ce piano. Tout à l’heure quand il en aura assez de m’entendre, il montera. Il me brûlera de son regard sauvage, refermera le couvercle sur mes doigts, et m’enfermera dans ce placard pour être bien sûr que je ne m’enfuirais pas dans la nuit. Jour après jour, je jouerai. Mais une nuit, je le promets, je m’envolerai par cette fenêtre, jusqu’aux nuages, et même le lierre ne me pourra me retenir… »

Lucia, les yeux baignés de larmes, posa son stylo sur le papier, et sortit dans le jardin. Elle leva les yeux vers la fenêtre du premier, le lierre frissonnait sous la brise. Le soleil sortit des nuages, éclairant le feuillage d’un halo doré. Une colombe blanche se posa sur le rebord de la fenêtre, gonflant son jabot dans la lumière. Elle baissa la tête et regarda fixement Lucia. Puis poussant un long cri aigu, s’envola à la verticale, dans un bruissement d’ailes dans le bleu du ciel.

–>  FIN <–