« Il y a une étoile mise dans le ciel pour chacun de nous, assez éloignée pour que nos erreurs ne viennent jamais la ternir. »
Christian Bobin

Ce fut à cet instant précis qu’il entendit le grognement sourd de son rêve monter dans la nuit…
Il était paralysé sur son banc. La soirée n’était pas froide, pourtant il avait la sensation que son cœur était pris dans les glaces.
Sans tourner la tête, il essaya de voir d’où venait ce grondement. Il avait l’impression que le monstre à qui appartenait ce cri n’attendait que de croiser son regard pour fondre sur lui. Tant qu’il ne bougerait pas, il ne pourrait rien lui arriver. Les minutes s’égrainaient lentement, longues comme des heures. Il ne pourrait pas rester des heures immobile, la nuit commençait à être oppressante. Soudain, n’y tenant plus, il se leva brusquement et se retourna. Mieux valait affronter sa mort en face !
L’animal le fixait de ses yeux couleur fauve. Il lui sembla énorme. Monstrueux. Son pelage uniformément noir ondulait sous les rayons de la lune, suivant sa respiration. Il ne grognait plus et se contentait de retrousser les babines, exhibant ses crocs d’ivoire dans un monstrueux sourire. Il était à quelques mètres de lui qu’il franchit en deux pas. Même si Christian avait voulu lui échapper, il n’aurait eu aucune chance. L’animal continuait à le fixer mais avait cessé de gronder. Était-ce un signe d’apaisement ? Christian hésitait entre partir en courant et rester immobile.
Par instinct, il leva lentement la main droite devant lui comme pour se protéger de la mâchoire immense de l’animal. Celui-ci sembla accentuer son sourire, dévoilant des molaires grosses comme des dés d’ivoire. Christian savait qu’il ne fallait pas fixer le regard d’un chien, pour ne pas qu’il se sente agressé et qu’il attaque sans sommation, mais il ne pouvait détacher son regard de ses prunelles fauves qui semblait avoir pris possession de sa volonté. Était-ce vraiment un chien d’ailleurs ? L’animal approcha sa truffe de la paume de sa main et la flaira avec une application qui lui coupa la respiration. Christian se demandait s’il devait retirer sa main lorsqu’il sentit une langue râpeuse le lécher soigneusement en n’oubliant aucun interstice. Il en conclut que ses doigts avaient gardé l’odeur de son sandwich et il espérait que le molosse n’allait pas s’en servir d’en-cas.
Il n’osait plus bouger, lorsqu’il entendit un pas léger dans la nuit. Le chien redressa les oreilles et émit un petit cri de contentement, puis se coucha devant Christian, haletant, se tournant vers le nouvel arrivant. Christian se dit qu’il avait quelques secondes pour s’enfuir avant que le chien ne s’intéresse de nouveau à lui, et jeta un coup d’œil pour évaluer la distance qui le séparait de la grille du parc. Avant qu’il n’ait pu faire le moindre mouvement, une voix pleine d’autorité s’éleva dans l’obscurité :
– N’y songez pas ! Il vous immobiliserait en une seconde …
Christian essaya de distinguer d’où provenait cette voix qu’il lui semblait connaître, mais ne vit qu’une silhouette sombre onduler sur le fond sombre des arbres. La personne s’approcha lentement d’une démarche féline et parvenue à quelques pas émis un sifflement étouffé auquel le chien répondit par le même sifflement. Cette connivence rassura un peu Christian, sans qu’il sache pourquoi. Ces deux-là, s’ils étaient complices et malveillants ne feraient qu’une bouchée de lui…
Le visage de l’inconnu apparu brusquement dans la lumière du réverbère du kiosque voisin. Christian fut fasciné par l’éclat de son regard. Il n’avait plus envie de fuir, même la mort donnée à l’ombre de ces cils, ne pouvait qu’être un délice …
La bouche sèche, il n’avait plus la force de lui parler ni même de respirer. Il ne voulait que rester là et regarder ces yeux verts parsemés de paillettes dorées, étincelants, fixés sur les siens.
Lui revinrent en boucle les phrases de son rêve:
Je suis plongé dans ce rêve,
Encore une fois.
Toujours le même.
Et je te vois
Je sais que c’est toi et pourtant je ne sais pas qui tu es.
–> A suivre <–
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