Va-et-vient numéro 8 : Un parfum de sapin.

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 8 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « Un parfum de sapin ».

Les échanges se déroulent entre Dominique Autrou sur la distance au personnage et Jérôme Decoux sur Carnet Paresseux, Amélie Gressier Plume dans la main et Brigitte Célérier sur Paumée, et enfin Dominique Hasselmann sur Métronomiques. et Marlen Sauvage sur Les ateliers du déluge.

N’ayant pas de partenaire pour cet échange, je publie ici mon texte en guise de conte de Noël.

Merci pour vos lectures amicales.

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Photo Marie-Christine Grimard

Un parfum de sapin

Les fêtes. De nouveau. La période la plus difficile.

Des passants qui se pressent sur les trottoirs brillants de pluie. Des bousculades, des cris d’enfants. Des galops de bottes sur les pavés luisants. Il les regardera passer comme chaque année, assis sur ce banc de pierre sur la place de l’église. Il les imaginera réunis, joyeux autour d’une table bien garnie. Il n’y a pas si longtemps qu’il avait sa place à cette table, c’était avant. Avant que son monde ne s’évanouisse…

Elle adorait Noël, les lumières, la flamme fragile des bougies se reflétant dans les verres, les parfums de cannelle et d’orange des biscuits maison. Le parfum du sapin qu’elle installait début décembre pour profiter le plus longtemps possible de lui, disait-elle, des paillettes au fond des yeux. Il adorait son regard brillant devant les guirlandes et les lampions. Il adorait son sourire d’enfant.

Tous les Noëls du monde ne pourront briller autant que ses prunelles, tous les carillons des églises ne pourront imiter son rire de sitelle. Il l’avait accompagnée jusqu’au bout de son douloureux chemin, tout le monde avait admiré son dévouement. Ils n’avaient pas compris qu’il voulait profiter de sa présence jusqu’à la dernière seconde, avec son départ sa vie avait sombré dans les ténèbres. Cette année-là, elle était trop faible pour voir le sapin décoré alors il avait installé une bougie au « parfum de sapin » sur sa table de chevet. Elle s’était endormie en souriant, apaisée par ce parfum qu’elle aimait tant, en lui tenant la main.

Depuis, il exècre Noël. Ses lumières, ses vitrines décorées, ses chants, ses sapins et ses rires d’enfant lui soulèvent le cœur. Pourtant il est assis là, devant ce porche d’église à regarder la foule des grands jours se presser devant les chalets du marché de Noël. On y trouve tout, des cadeaux enrubannés, des marrons et du vin chaud, des ballons dorés, des crèches garnies, des décorations surannées, et même une chorale démodée massacrant « Mon beau sapin » avec ferveur.

Il soupire, se prenant la tête dans les mains, il ferme les yeux pour ne plus les entendre.

  • Il ne faut pas être triste à Noël, dit une petite voix à côté de lui. Tiens si tu veux, je te donne mon sablé.

Il relève la tête en sursautant. Un jeune garçon portant un bonnet démesuré sur la tête, le regarde fixement en lui tendant un gâteau vert en forme de sapin décoré de pépites de sucre rouge. A ses côtés, un jeune chien renifle ses bottes en tirant sur sa laisse. Cet équipage insolite lui arrache un sourire :

  • C’est très gentil à toi, mais je ne vais pas manger ton beau sablé de Noël. Je ne suis pas triste, seulement un peu fatigué, répond-t-il à l’enfant. Il est bien joli ton chien, on dirait qu’il sourit de toutes ses dents. Comment il s’appelle ?
  • Noël, il s’appelle Noël parce que ma mamie l’a trouvé à Noël. Il était tout seul dans la forêt quand elle a été chercher des branches de sapins pour faire ses décorations, et il l’a suivie. Le vétérinaire a dit qu’il n’avait pas de maison, alors il est resté avec nous et maintenant c’est mon ami. C’est moi qui le garde quand Mamie s’occupe de l’église.
  • Ta mamie s’occupe de l’église et toi tu t’occupes de Noël ? J’espère qu’il est sage !
  • Oh non, il ne m’écoute pas. Là tu vois, il tire sur la laisse pour aller voir Mamie qui décore les bancs avec ses branches de sapin pour la fête de Noël. Moi, je tire de l’autre côté pour l’empêcher d’entrer dans l’église, alors c’est difficile.
  • Je peux t’aider si tu veux, répond l’homme, je suis plus costaud que toi pour tirer sur la laisse.

Il n’a pas fini de prononcer cette phrase que le jeune chien fait un bon en avant, traverse l’esplanade et saute en haut des marches du parvis de l’église. Il se retourne, les regarde avec un air triomphant et se précipite dans l’église.

  • Oh Non, Mamie va encore rouspéter, soupire le jeune enfant. Il fait tout le temps ça !
  • Allons vite le récupérer dit l’homme, avant que ta Mamie ne le voie.
  • Mamie, elle voit toujours tout et même si elle ne voit pas, elle sait toujours tout alors. C’est trop tard, répond l’enfant d’un ton désabusé.

A l’intérieur de l’édifice, un parfum de sapin lui chatouille les narines, qui l’apaise. Sur chaque rangée de bancs est disposée une branche de sapin retenue par un ruban rouge. Il s’attendait à être mal à l’aise, n’étant pas entré dans une église depuis son enterrement, mais c’est le contraire qui se produit. L’organiste répète « les anges dans nos campagne », ce qui le ramène instantanément à l’époque où il chantait à la chorale de la paroisse. Il sourit en levant les yeux vers les voutes décorées d’étoiles dorées sur fond bleu céleste. « La vie passe mais les pierres défient le temps » disait son grand-père. Maintenant il comprend pourquoi.

L’enfant se précipite vers sa grand-mère courant derrière le petit chien qui aboie joyeusement en la rejoignant.

  • Noël ! dit-elle en fronçant les sourcils, tu t’es encore échappé ! Que va-t-on faire de toi ?
  • Un chien nommé Noël a toute sa place dans un église pour la veillée de Noël, dit le curé qui l’aidait à attacher le dernier branchage sur un pilier de la nef. Il fera un excellent chien de berger pour les moutons de la crèche vivante, conclue-t-il en s’éclaffant en se dirigeant vers la sacristie. Il adore cette église apparemment. Toutes les créatures de Dieu sont les bienvenues dans la maison du Père.
  • Il manquait plus que ça répond la grand-mère. Faire tenir ce chien tranquille pendant toute la Veillée de Noël ne sera pas une sinécure. J’espère que vous plaisantez, mon père.
  • Oh mamie, dis oui ! s’exclame l’enfant en regardant son chien remuer sa queue en souriant. Regarde comme il est content. Je le tiendrai puisque je fais l’Ange. C’est facile.
  • Oui et il va t’obéir aussi bien qu’il vient de le faire dans la rue tout à l’heure. Il faudrait plutôt qu’un adulte le tienne et on n’en a plus puisque le berger a la grippe, dit-elle en regardant l’homme qui accompagne son petit-fils. Vous cherchez quelqu’un Monsieur .. ?
  • J’ai rencontré votre petit fils et son chien sur le parvis et je n’ai pas réussi à l’empêcher d’entrer dans l’église, répond l’homme tout penaud.
  • Oui, si tu avais vu sa tête Mamie, dit l’enfant hilare, il ne pensait pas que Noël courait aussi vite.   Il nous bien eu, c’était drôle. Mais c’est bien parce que comme ça, il s’est arrêté de pleurer tout seul sur son banc !
  • Oh j’en suis désolée dit la vieille dame, vous avez des ennuis peut-être ?
  • Non, non, ne vous inquiétez pas. Votre petit-fils exagère un peu. Je ne pleurais pas vraiment …
  • Ah si vraiment, vraiment ! réplique l’enfant.
  • Partager ses ennuis les rend moins lourds, vous devriez nous en parler, suggère la dame d’une voix douce.
  • Je… je suis seul depuis 5 ans maintenant et pendant les fêtes le manque devient de plus en plus lourd. Mais, je n’ai pas à me plaindre, j’ai un toit sur la tête et il y a tellement plus malheureux que moi sur terre, répond l’homme en rougissant.
  • Alors si tu n’as rien à faire, tu feras le berger, décrète l’enfant avec un grand sourire. Et après tu viendras au réveillon avec nous, il y a de la bûche à la vanille. Regarde, Noël t’aime bien, il veut que tu viennes aussi, conclue-t-il en désignant du doigt le chien installé en boule sur les bottes de l’homme.
  • En effet, renchérit la vieille dame, si Noël est d’accord, vous ne pouvez plus refuser.
  • Alors c’est d’accord, accepte l’homme, c’est si gentiment demandé. Ça me rappellera mon enfance, lorsque je chantais à la chorale. Une année, j’ai joué Saint-Joseph et j’ai eu la honte de ma vie. J’espère que cette fois-ci, il n’y aura pas de catastrophe…
  • Ah, mais oui, s’exclame la grand-mère, maintenant je te reconnais. Tu es Yann, Le Saint-Joseph qui est tombé à la renverse sur les bottes de foin. Il me semblait bien connaître ton regard.
  • Je vois que ma réputation à traversé le siècle, répond l’homme en rougissant.
  • Moi, j’étais pas au courant dit l’enfant. Et on me dit toujours que c’est moi qui fais les bêtises. Ça a dû être marrant, c’était une super grosse bêtise ça. T’es un champion !
  • Si on peut dire, j’avais presque oublié cette histoire mais finalement c’est un bon souvenir. On avait bien rigolé et ça avait réveillé tous ceux qui somnolaient dans leur coin.
  • C’est sûr, ce fut une belle pagaille et l’organiste a enchainé avec le « Minuit Chrétien » alors qu’il était onze heures. Tout le monde en a parlé jusqu’à Pâques. Moi j’étais un des anges et on ne pouvait plus s’arrêter de rire. Monsieur le Curé a dit : « Quand les anges voudront bien se calmer, on pourra lire l’épître ! »
  • Oui, je m’en souviens. Après la messe, il est venu me parler. Je pensais qu’il allait me gronder. En fait, il m’a dit qu’il n’avait jamais vu une crèche vivante aussi vivante que celle-là, et que les paroissiens avaient bien apprécié ma « performance ».
  • Ça alors, le monde est petit. Je suis bien contente de te revoir dit la grand-mère en l’entraînant vers la Sacristie. Viens, on va essayer le costume et tu me raconteras ce que tu deviens. Si tu as une minute, tu pourras m’aider à distribuer les paquets aux enfants de l’orphelinat. J’ai besoin de bras pour le transport. Et demain…

L’enfant les regarde s’éloigner en discutant. Il se tourne vers son chien qui s’est installé sur la paille de la crèche.

  • Et voilà ! Je trouve un copain et Mamie le connaît déjà. Je te dis qu’elle sait toujours tout. Si tu fais pipi sur cette paille, elle le saura aussi, alors tiens-toi à carreau. On va aller chercher un autre cookie, je sais où elle cache la boîte. On va bien s’amuser tout à l’heure, je vais te trouver des guirlandes et une étoile pour décorer ton collier. Tu seras le premier chien de crèche, et tu vas les éblouir !
  • Ouaf , approuve Noël. Ouaf, Ouaf. En galopant vers la Sacristie.
  • C’est nous les anges de Noël, on y va, chantonne l’enfant en se précipitant derrière lui !

Deux paroissiennes froncent les sourcils devant cet équipage bruyant. Le curé sortant du confessionnal remarque leur désapprobation, il s’approche et leur murmure :

« Noël, c’est la fête de la Joie.

Qui mieux que les enfants peuvent nous le montrer ?

Notre Seigneur n’a -t-il pas dit : « Au royaume de Dieu, les enfants sont rois »

J’ajoute : et les chiens aussi !

Joyeux Noël à vous, mesdames. »

……….