Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 13 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « L’invention d’un hasard ».
Pour cet échange, j’ai le grand plaisir de recevoir de nouveau sur cette page Dominique Hasselmann qui publiera mon texte sur Métronomiques.
Les autres échanges se déroulent entre :
Dominique Autrou sur la distance au personnage et Jérome Decoux sur carnet paresseux
Isabelle-Marie d’Angèle et Amélie Gressier sur Plume dans la main
Pour le Va-Et-Vient numéro 14, le thème sera : « L’absence imprévue »; à vos plumes.
Voici le texte de Dominique :
L’invention d’un hasard
Dans son genre, il représentait une sorte de tyran domestique, toujours prompt à vouloir être le plus fort, le plus intelligent, le mieux organisé, celui que l’on ne pouvait jamais prendre au dépourvu. Son égoïsme, sa suffisance, et l’inconscience qu’il avait de ses défauts, dessinaient de lui un portrait à la George Grosz. Son prénom, Karl, rappelait d’ailleurs son ascendance allemande.
Françoise, sa compagne, s’était accoutumée depuis longtemps à ce bloc de marbre sur deux jambes et à ses veines bleues. Comme il s’occupait de tout, il décida un jour de monter un scénario qui pourrait leur rapporter gros. Cela mettrait enfin du beurre dans les épinards et ils pourraient quitter la capitale qui devenait vraiment invivable. La France ne ressemblait plus à ce pays béni des dieux et la destination vers une île du Pacifique s’imposait de plus en plus à ses yeux.
Karl avait récemment poussé la mère de Françoise à prendre une assurance-vie afin de « garantir » ses vieux jours. Le montant du pactole était appréciable, il fallait seulement que l’occasion se présente sous d’heureux auspices.
– Je crois que j’ai trouvé ce qui pourrait concrétiser notre projet, dit Karl, un matin au petit-déjeuner.
– Ah bon ? Mais de quoi s’agit-il ? interrogea Françoise.
– Tu vois, on pourrait imaginer l’invention d’un hasard, une sorte d’événement inattendu, totalement imprévisible, qui tournerait à notre profit sans que l’on puisse déceler que nous en sommes les initiateurs…
– Mais, ce serait par rapport à qui, à quoi ?
– Écoute, tu sais bien que ta mère, en cas de décès, laisse un gros magot, avec son assurance-vie, et que je n’ai pas l’intention de voir filer cet argent chez Bruno Le Maire, cet écrivaillon gouvernemental…
– Oh, dis-donc, c’est grave, tout ce que tu me dis là : tu as bien réfléchi à la question ? Il faudrait faire extrêmement attention ! Es-tu bien sûr que l’on puisse accomplir et réussir une telle manœuvre ?
– Affirmatif ! J’ai déjà écrit tout ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour parvenir à nos fins : voilà, tout est consigné dans ce grand carnet noir…
Françoise se plongea aussitôt dans la lecture des vingt pages du Moleskine, un véritable programme d’action avec références à tout ce qui concernait le bénéficiaire désigné (elle-même, en l’occurrence) de l’assurance-vie en cas de décès, les implications fiscales, le montant de 150 000 euros qui avait été fixé, puis les circonstances de l’accélération de l’échéance finale.
Ce qui semblait plus compliqué relevait de l’accident lui-même qui devrait se produire au moment où Georgette, la mère, devrait rejoindre sa fille et son gendre devant le Grand Rex.
– Mais comment comptes-tu opérer, si je puis dire ? demanda Françoise.
– C’est simple : j’ai pris trois places pour le spectacle de Véronique Sanson, elle l’adore. D’ailleurs, c’est déjà complet. Une fois dans la salle, je lui offre un paquet de chocolats truffés d’arsenic, elle ne résistera pas.
– Mais cela va laisser des traces ?
– Bof, peu importe ! Quand j’ai eu cette idée, j’étais assez saoul pour accepter n’importe quoi. Alors que, maintenant, cela m’apparaît tout à fait crédible : comme elle est dépressive (souviens-toi qu’elle prend des tranquillisants !), on pensera évidemment qu’elle s’est suicidée en musique.
– Alors, là, chapeau ! C’est vraiment toi, le Tyrannosaure Rex !
Texte et photo : Dominique Hasselmann