Messages (Partie 4)

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Les vacances allaient me faire du bien. Nous devions passer quelques jours en montagne pour rendre visite à une vieille tante célibataire, et lui réparer sa maison, comme chaque année. Puis ce serait l’océan, les embruns et l’air du large, ma préférence depuis toujours. De quoi, recharger les batteries, se ressourcer, passer quelques jours avec les gens que l’on aime.

Cette année tout particulièrement, j’attendais cette période avec impatience. Je bouclai les valises, et vérifiai si le téléphone blanc était toujours dans mon sac, quand mon fils entra dans la pièce. Il remarqua immédiatement l’appareil que je tentai de dissimuler dans mes affaires.

« Tu as un nouveau téléphone, c’est quelle marque ? Fais voir ! »

– Non, n’y touche pas ! Ce téléphone n’est pas à moi, c’est un ami qui me l’a confié… »

Mais, déjà, il avait pris l’appareil et l’examinait sous toutes les coutures.

« Oh, il a l’air super, il est d’enfer !! »

-Oui, on peut dire ça ! Répondis-je en souriant. C’est le mot approprié !!

-Je n’arrive même pas à l’allumer, il n’y a plus de batterie ? Il n’y a même pas de bouton pour l’éclairer. D’où il sort ce truc ?

Il était très étonné qu’une machine de ce genre puisse lui résister, et me regardait d’un air ébahi. Je répondis :

– Oh, tu sais, moi, je n’y connais rien. Il semble s’allumer tout seul quand il en a envie. Mais je n’ai jamais réussi à comprendre comment, mais comme tu sais, là-dessus, je ne suis pas une lumière !

– Oui, c’est sûr ! Et à quoi ça sert d’avoir un téléphone qui s’allume seulement quand il veut ? Et pourquoi on te l’a confié à toi ? Qui peut bien laisser son téléphone à quelqu’un d’autre comme ça ?

– Arrête avec toutes tes questions ! J’espérais que tu m’expliques comment le mettre en route, mais je vois que tu n’es pas plus malin que moi, finalement !

Vexé, il le tournait et le retournait devant la fenêtre, espérant trouver un bouton dissimulé dans un coin, en vain. Il renonça et lorsqu’il le reposa, le téléphone s’éclaira, le faisant sursauter ;

« Ah ! Il s’allume ! Tu as raison, il fait comme il veut ! Il y a un message, regarde.

Je sentis mon cœur se serrer, et l’angoisse monter doucement.

Il se pencha vers l’écran en même temps que moi, et je me demandais quelle explication j’allais trouver s’il voyait le genre de vidéo que ce téléphone diffusait généralement. Mais cette fois-ci, il n’y avait pas de film, ni le message habituel. L’écran d’accueil était bloqué sur la page «Calendrier annuel». Plusieurs dates étaient marquées par des étoiles argentées, et un rapide coup d’œil me permit de comprendre, que les trois premières dates correspondaient aux évènements que j’avais déjà vécus. Je notais qu’il y avait trois dates encore inscrites, dont une indiquée sur la semaine suivante, et deux autres dates plus lointaines, vers la fin de l’année.

« C’est quoi toutes ces étoiles, me demanda mon fils en me regardant fixement. Il avait l’air interloqué, ce qui était très inhabituel chez lui, qui était un éternel blasé.

-Je n’en sais rien du tout. Tu vois, comme ce téléphone est bizarre. Et voilà, il s’éteint de nouveau !

-C’est un truc de ouf ! Conclua-t-il en s’éloignant. Je me demande dans quoi tu t’es encore fourrée. »

Je n’insistai pas, en souhaitant qu’il oublie l’incident le plus vite possible. Mais les évènements allaient bientôt me donner tort.

Nous étions installés depuis quelques jours à la montagne quand ma tante nous demanda de l’emmener visiter un monastère perdu en haut d’un col. Nous roulions depuis quelques kilomètres, sur une route en lacets, creusée à flanc de montagne. Elle était si étroite que pour que les voitures se croisent, des refuges avaient été prévus régulièrement, en entaillant la montagne. Par chance, ce jour-là, nous n’avions encore croisé personne.

Ma tante bavardait sans relâche comme à son habitude, n’attendant aucune réponse, et j’étais seule à l’arrière, admirant ce paysage grandiose. Soudain, la cascade de clochettes retentit, me faisant sursauter. J’étais la seule à l’avoir entendue, et je sortis discrètement le téléphone de mon sac et l’ouvrai.

Après quelques secondes, une nouvelle vidéo démarra.

Je reconnus immédiatement la route de montagne sur laquelle nous roulions à l’instant même. Cependant, je n’avais pas vu encore cette partie du trajet où la route semblait redescendre légèrement. Un cycliste roulait, seul sur la route, il regardait en contre-bas et ne vit pas un nid-de-poule qui était devant sa roue. Surpris, il perdit déséquilibre et fut dévié de sa trajectoire, et bascula dans le fossé, puis tomba la tête la première, en passant au-dessus du guidon, et disparut dans le ravin, à l’endroit précis où un panneau indiquait : « Ne pas stationner. Attention chutes de pierres ».

Après un plan serré sur le panneau, la vidéo fut coupée brutalement. A sa place, l’écran d’accueil apparut avec les deux ailes déployées et les lignes suivantes :

– Première vie

– Deuxième vie

– Troisième vie

– En attente ….

Je savais bien ce que cela signifiait. Il n’y avait probablement pas une minute à perdre. Je scrutais la route pour essayer de repérer l’endroit de l’accident, après un virage serré à gauche, la chaussée redescendait légèrement. Une centaine de mètres plus loin, j’aperçus le panneau sur la droite de la route. Je m’écriai :

« Arrête la voiture, il faut que je descende tout de suite !

-Qu’est ce qui se passe, répondit mon mari, tu es malade ?

-Oui, arrête-toi là, vite !

-Je ne peux pas, il y a un panneau « Interdiction de stationner » attends un peu, répondit-il

-Non, hurlais-je, arrête toi je te dis !!

Inquiet de ma pâleur, il stoppa quelques mètres plus loin. Je descendis précipitamment et m’approchai du ravin. Je ne voyais rien et le vertige commençait à me saisir. Mon mari qui m’avait suivie me regardait avec inquiétude :

« Mais enfin, qu’est ce qui te prend ? Tu es malade ?

-Non, regarde en bas, il y a un cycliste qui est tombé dans ce ravin, je n’arrive pas à le voir !

-Un cycliste ? Mais je n’ai vu personne, il n’y avait aucun cycliste devant nous. Qu’est-ce que tu racontes ?

-Je te dis que je l’ai vu, je ne suis pas folle !

Il me regardait fixement et je compris qu’il n’en était plus très sûr. J’insistais :

-Crois-moi, je sais qu’il est là. Il faut qu’on le trouve.

En disant cela, j’aperçus un peu de rouge en contre-bas, que je lui montrai.

« Regarde, il y a quelque chose là !

Il se pencha et dit :

« Oui, c’est un bidon rouge ! Mais je ne vois pas le cycliste !

-Regarde mieux, il est forcément là.

-Mais enfin… dit-il en avançant un peu. Attends, oui je vois autre chose…

Le cycliste était là, couché sur le dos, inconscient, bloqué contre un buisson, son vélo un peu plus bas. Mon mari descendit avec précautions jusqu’à lui et cria :

-Il est en vie, appelle des secours !

 

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Quelques heures plus tard, une fois le blessé évacué et hospitalisé, nous étions de nouveau au calme chez ma tante. Je savais que je devrais répondre aux questions de mes proches, et j’hésitais entre dire la simple vérité ou éluder les questions gênantes. Jusqu’ici j’abhorrais le mensonge, et détestais la dissimulation, préférant affronter les problèmes plutôt que les repousser au lendemain. Mais, dans ces circonstances précises, je ne savais pas comment expliquer une vérité que je ne la comprenais pas moi-même.

Une fois que ma tante fut couchée, mon mari se tourna vers moi, avec un regard interrogateur. Je n’échapperai pas aux questions, même si les réponses m’échappaient toujours.

« Alors, m’expliqueras-tu enfin ce qui s’est passé cette après-midi ? »

Voilà une question simple, à laquelle il était facile de répondre, aussi je me lançais :

– Oui, je t’explique. J’avais vu un cycliste passer par-dessus la balustrade à l’endroit précis où était le panneau « Interdiction de stationner », et je t’ai demandé de t’arrêter pour qu’on puisse le secourir, sinon il y serait encore.

– Oui, évidemment. C’est tout simple, présenté comme ça. Alors, explique-moi comment tu as vu ce cycliste, qui, manifestement était tombé à cet endroit précis, au moins plusieurs minutes avant qu’on ne passe ! J’aimerais comprendre…

– Cette partie-là est plus difficile à expliquer. Mais je vais essayer, répondis-je en hésitant de plus en plus.

Je suis contente de t’en parler, tu vas peut-être m’aider à comprendre mieux ce qui arrive »

Je lui racontais toute l’histoire depuis le début. Il m’écouta attentivement, sans paraître le moins du monde surpris, ni incrédule. Il savait que j’évitais le mensonge comme la peste et il me croyait. Mais c’était un homme pragmatique et j’étais impatiente de savoir ce qu’il pensait de tout cela. Après un silence, il dit :

« Pourrais-tu me montrer ce téléphone ?

A cet instant précis, la clochette de la messagerie retentit. Je lui tendis l’appareil après l’avoir ouvert. Sur l’écran bleuté de la messagerie, orné des ailes ouvertes, on voyait les lignes suivantes :

-Première vie

-Deuxième vie

-Troisième vie

-Quatrième vie

J’étais soulagée de voir la confirmation que le cycliste allait bien, mais je regardais mon mari, anxieuse de sa réaction. Il me fixait et dit :

« En effet, voilà qui confirme bien que ce téléphone est d’un modèle très particulier. A vrai dire, je ne suis pas étonné qu’il t’ait choisie pour nouveau propriétaire, ou nouveau locataire, peut-être. Personne ne te connait mieux que moi et j’ai toujours su que tu étais quelqu’un de spécial.

Je crois que les choses vous arrivent quand on est prêt à les recevoir. Je crois aussi que l’on ne demande aux gens que ce qu’ils sont capables de réaliser. Je ne sais pas qui avait besoin de ton aide, mais ce que je sais c’est qu’il s’est adressé à la bonne personne. Et je sais aussi, que tu es ravie de le faire !

Il semble aussi que trois lignes sont encore vacantes, et j’espère simplement que tu auras assez d’énergie pour aider à les remplir. Si tu as besoin de mon aide, je serai là.

Quant aux explications rationnelles, je n’en ai aucune, mais quand tu auras compris, je serai heureux que tu m’expliques » finit-il avec un grand sourire.

Je riais avec lui, il savait toujours comment remettre les choses à leur juste place. Il avait raison, il n’y avait qu’à poursuivre le chemin, et les réponses viendraient en leur temps, si elles le souhaitaient.

Je rangeai le téléphone dans mon sac. Sur la coque les ailes argentées scintillèrent quelques secondes avant de s’éteindre. Je me sentis de nouveau étonnement calme, soulagée d’avoir pu partager cette histoire surréaliste et de reprendre pied dans ma réalité aussi facilement.

Jusqu’ici la providence m’avait été plutôt favorable, et j’espérai qu’elle continuerait jusqu’au bout de cette histoire.

A suivre…

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Messages (Partie 3)

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Mon souhait fut exaucé, le téléphone resta muet le lendemain et les jours suivants. J’en étais venue à oublier son existence. Je savais qu’il était là, mais il resta muet tellement longtemps, que je finis par croire qu’il le resterait.

J’avais accepté le fait, que quelqu’un, sorti de je ne sais où, m’avait demandé un peu d’aide, et que depuis, il avait mis de l’ordre dans ses petites affaires, sans moi. Les erreurs de programmations qu’avaient du faire un de ses stagiaires devaient être corrigées, et il m’avait oubliée. Je ressentais un certain soulagement, mais j’avais laissé le téléphone dans mon sac, au cas où !

L’été arrivait, et un peu de repos me ferait du bien. Je devais faire le plein au supermarché avant de partir, pour laisser de quoi survivre aux enfants qui restaient en ville. Ce matin-là, l’air était déjà chaud, bien que le soleil soit voilé par des nuages. La canicule allait arriver tôt cette année.

Je garai ma voiture dans le parking du supermarché, lorsque le téléphone blanc sonna. Je n’avais pas entendu cette sonnerie depuis si longtemps, que je ne la reconnus pas d’emblée. Je le cherchais fébrilement, en alerte, et l’ouvris d’une main tremblante.

L’écran d’accueil s’éclaira, et une nouvelle vidéo défila. Je reconnus immédiatement les abords du centre commercial où je me trouvais. Une jeune femme, la trentaine environ, sortait de sa voiture. S’adressant à quelqu’un qui était derrière et dont on ne voyait dépasser que les cheveux blonds, elle dit :

« Je reviens tout de suite, ne t’inquiète pas, j’en ai juste pour une minute. Sois sage ! »

Et elle claqua la portière s’éloignant rapidement vers l’entrée du centre commercial. Instinctivement, je levai les yeux à mon tour, croyant l’apercevoir vers la porte, mais je me rendis compte qu’il s’agissait de la seconde entrée, située plus au Nord.

Il y eu un arrêt, puis la vidéo reprit. Cette fois-ci, la caméra avait suivi la jeune femme à l’intérieur du centre. Elle était devant la vitrine du débitant de tabac et s’apprêtait à y entrer, quand elle se prit la tête à deux mains, en se tordant de douleur, puis fut brusquement terrassée par une crise d’épilepsie. Elle tomba lourdement et se fracassa le crâne en chutant sur un pot de fleurs. La vidéo s’arrêta, alors que le commerçant, appelait les secours.

Je regardais le téléphone, en me demandant, ce que je devais faire de ces informations. L’écran d’accueil afficha de nouveau la page de messagerie, avec les deux ailes déployées, où il était inscrit :

-Première vie

-Deuxième vie

-En attente …

Au même instant, j’entendis la sirène des pompiers, et le camion me dépassa à toute vitesse pour se rendre vers l’entrée Nord du magasin. Je partis en courant à sa suite. Il faisait déjà une chaleur accablante et j’avais du mal à courir.

Lorsque j’arrivais devant le débit de tabac, la jeune femme était installée sur un brancard, toujours inconsciente, et il régnait autour d’elle une grande effervescence. Je jouai des coudes au milieu des badauds, m’approchai d’un des pompiers et lui dit :

« Attendez, avant de l’emmener, s’il vous plaît. Je la connais. Savez-vous où est son enfant, je ne le vois pas ici ?

Il me regarda, un peu interdit, et répondit :

« Non, elle n’avait pas d’enfant avec elle. Elle était seule ici, et on l’emmène aux urgences. Ecartez-vous ! »

J’insistai :

– Son enfant doit bien être quelque part, il est toujours avec elle, elle l’élève seule. »

Je n’avais aucune idée la véracité de ce que j’affirmais, mais il fallait qu’il me croie. Il réfléchit une seconde puis demanda :

« Si cet enfant existe, alors il est où ?

– Je pense qu’elle a dû le laisser dans sa voiture, pour faire cette course…

– Seul, dans sa voiture ! Avec cette chaleur !

– Oui, sans doute ! Je sais que ça paraît complément fou, mais je crois qu’il faut chercher, et en vitesse, à cause de cette chaleur, justement ! Il faut m’aider, à plusieurs on y arrivera plus vite.

– Vous avez raison, il faut qu’on se dépêche. Vous connaissez la marque de sa voiture ?

– Non répondis-je, un peu penaude de ne pas avoir remarqué la marque de la voiture ! Mais je sais qu’elle est blanche et que c’est une berline.

– Une berline blanche ! Alors là ! Ca va nous faciliter la vie ! Venez les gars, dit-il en se tournant vers les autres pompiers, il n’y a pas une minute à perdre, si cet enfant est vraiment dans une voiture par cette chaleur, je ne donne pas cher de sa peau !

Je leur emboitai le pas, et courrai vers la voiture blanche la plus proche, qui était vide ! Puis une seconde, tout aussi vide ! Ce n’était pas la bonne méthode. Je réfléchis à l’angle de vue avec lequel j’avais vu la jeune femme de la vidéo, s’éloigner de la voiture pour rejoindre la porte d’entrée, et je suivis mentalement son trajet à l’envers.

Une berline blanche apparut soudain dans mon champ de vison. C’était la seule dans cette partie du Parking. Je me précipitai vers elle, et en l’approchant je vis une couronne de cheveux blonds qui dépassaient légèrement de la vitre arrière. Je fis de grands signes aux pompiers, qui accoururent vers moi. En une seconde, ils brisèrent la fenêtre avant du véhicule où il régnait déjà une chaleur intense, et récupérèrent l’enfant qui était endormie. L’air extérieur plus frais la réveilla, et elle dit d’une toute petite voix :

« Où elle est ma maman, elle a dit qu’on allait au manège … »

Entendre cette voix si frêle me brisa le cœur, et je ne pus empêcher les larmes de jaillir, en silence. Le pompier qui m’avait fait confiance, me regarda en hochant la tête.

« Oui, ça fait toujours ça la première fois ! Ne vous inquiétez plus pour elle, on va la réhydrater et l’emmener avec sa mère à l’hôpital. Elles ont eu beaucoup de chance que vous passiez par là aujourd’hui ! »

Puis devant ma pâleur, il ajouta :

-Voulez-vous qu’on vous emmène aussi ?

-Non, non, je vous remercie, je vais me remettre. Ça doit être à cause de la chaleur…

Je les regardais se diriger vers le camion, l’enfant dans leur bras, demandait :

-Tu m’emmènes où ? Elle est où ma maman ? Tu sais où il est le manège, toi ?

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Un attroupement s’était formé devant la porte du supermarché, les gens commentaient les évènements. Je n’avais pas la force de traverser leurs rangs pour aller faire mes courses, et décidais de rentrer chez moi. Au premier rang, je remarquai un homme qui me regardait fixement. Il me sembla étonnement familier, sans que je ne puisse lui donner un nom. Quittant le groupe, il s’approcha de moi, et je le reconnus à sa démarche. C’était l’homme qui m’avait raccompagnée à la sortie du métro, le jour de la première agression.

« Je vous reconnais, dit-il. C’est une habitude chez vous, décidément ! Deux fois, c’est un peu trop pour une coïncidence, il me semble. Rappelez-moi de vous appeler, le jour où j’aurai des ennuis !

Il tourna autour de moi en faisant mine de chercher quelque chose, et ajouta :

« Je ne sais pas comment vous faites pour qu’on ne voit pas vos ailes, mais le camouflage est réussi ! »

Devant ma mine déconfite et ma pâleur, il finit par s’excuser.

« Pardonnez-moi, je tourne toujours tout en dérision. C’est mon caractère. Mais sans blague, j’avais bien l’impression que vous étiez spéciale l’autre fois, et aujourd’hui ça se confirme. »

Je finis par en sourire, le rencontrer m’avait changé les idées et je le remerciais pour cela :

« Je vous remercie de me faire rire un peu, après cette heure de tension, c’est appréciable ! Il faut que je vous laisse, maintenant, on m’attend. Merci de votre aide aujourd’hui et l’autre fois aussi ! »

Je le laissai et me dirigeai vers ma voiture, où je me laissai tomber, épuisée. J’entendis alors, tinter la sonnette de la messagerie. Je jetai un coup d’œil à l’écran d’accueil, où s’inscrivaient trois lignes :

– Première vie.

– Deuxième vie.

– Troisième vie.

Cette nouvelle « mission » m’avait épuisée, et je ne pouvais m’empêcher de me demander quelle serait la suivante, quel en serait le lieu et le moment, et surtout si j’aurai encore la force de l’accomplir. L’enjeu m’apparaissait encore plus grand, en regard de ce qui s’était passé aujourd’hui, peut-être parce qu’il s’agissait de la vie d’un tout petit enfant. Je prenais conscience que tout ceci n’avait rien d’un jeu, et que la responsabilité que l’on me confiait était terrible. Je me demandais pourquoi, une telle charge m’incombait.

Après tout, si j’avais réussi déjà trois fois, je serai peut-être capable de continuer.

A ce stade de mes réflexions, il me revint en mémoire, le moment où le vieil homme m’avait demandé de choisir, mon futur téléphone, sur sa table. Je me souvins brusquement qu’à côté du téléphone blanc avec les ailes argentées, il y avait un autre appareil laqué noir décoré d’ailes gris foncées. Je ne pus m’empêcher de m’interroger, sur le type de « Mission » que cet appareil m’aurait confié.

Les paroles du vieil homme tournaient dans mon esprit : « La vie n’est faite que de choix : saisir les opportunités, suivre le bon chemin, savoir faire demi-tour, imposer autour de soi ce que l’on estime être juste, accepter ses erreurs, suivre ses intuitions, écouter les signes. »

Finalement, je me félicitais de mon choix. Au moins, il correspondait à ce qui me motivait depuis toujours, faire entrer la lumière dans la vie de ceux que j’aimais.

« Il faut que j’arrête, pensais-je dans un sursaut de réalisme. Cette chaleur me fait délirer, je vais rentrer, la réalité me rattrapera, et ça sera bien mieux comme ça ! »

Sur ces paroles de grande sagesse, je rentrai.

A suivre

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Messages (Partie 2)

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Le lendemain, ma vie familiale reprit le dessus, et je n’eus pas le temps de m’occuper de cette histoire de téléphone, dans la matinée. Je n’en avais dit mot à personne, et je comptais bien le rendre au vieil homme, et ne plus en entendre parler.

Je repris la même route que la veille, en maudissant les bouchons qui allaient me faire perdre l’après-midi entière pour me rendre à l’autre bout de la ville. En fait, je n’osais plus prendre le métro, en me maudissant également de ma propre lâcheté. J’avais vérifié que le téléphone soit bien dans mon sac avant de partir, un peu dépitée qu’il ne se soit pas volatilisé tout seul. Je commençais à penser que celle histoire allait de me rendre folle.

Après une heure de route, j’arrivais enfin au parking du centre commercial, et lorsque je me garai, la sonnerie du téléphone retentit. Je regardai mon sac en espérant que cette cascade de notes s’arrête de couler, mais elle semblait interminable, alors je me décidai à le prendre. J’ouvris la coque précautionneusement, l’écran était éteint. J’en fus soulagée, mais c’était une erreur. Une seconde plus tard, comme la veille, une vidéo apparut brusquement. J’étais tétanisée, attendant la catastrophe en oubliant de respirer.

La scène se déroulait, dans une grande avenue, à un carrefour. Une vieille dame s’engageait sur un passage pour piétons, en tenant son chien en laisse. Il s’agissait un roquet hargneux qui tirait sur la laisse sans ménagement. Voyant passer un caniche sur le trottoir d’en face, il tira violemment, déséquilibrant sa maîtresse, qui n’eut pas le temps d’anticiper et qui tomba la tête la première sur le bitume. La figure en sang, elle essayait de se relever péniblement, sans y parvenir, et c’est alors qu’une voiture puissante tourna au coin de la rue, en démarrant en trombe, le feu tricolore étant passé au vert. Le conducteur n’eut pas le temps de réaliser que la malheureuse était encore à terre, et il la percuta de plein fouet. Immédiatement, l’écran s’éteignit, me laissant une nouvelle fois, paralysée d’effroi.

Je restai sur place quelques minutes, essayant de respirer lentement, pour sortir de cette impression de fin du monde

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Puis je rassemblai mes idées, j’étais là pour rendre ce téléphone maudit, et j’allais le faire avant qu’il ne me tue aussi ! Je partis en courant vers la boutique de téléphonie, comme si le diable était à mes trousses. J’entrais en cherchant du regard, la table du vieil homme, mais il n’y avait plus rien. C’était bien ma chance, la promotion devait être terminée. Je m’adressai alors à une vendeuse, et lui expliquait ma requête. Elle me regarda sans comprendre et alla chercher le responsable du magasin. Il me reconnut immédiatement puisqu’il m’avait vendu le téléphone de mon fils la veille, mais m’assura qu’il n’y avait jamais eu de promotion particulière attachée à cette vente. Et surtout il ajouta qu’il n’y avait jamais eu de table installée dans le coin que je lui indiquais.

J’essayai d’intégrer toutes ces informations négatives, lorsqu’il me demanda de lui montrer ce « fameux téléphone ». Je le sortis de mon sac et lui tendis. Il le regarda sous toutes les coutures, et m’affirma qu’il ne connaissait pas cette marque et qu’il n’avait encore jamais vu un modèle pareil. En me le rendant ; il ajouta :

« Regardez, vous avez reçu un message ! »

Je regardai l’écran où le message de la veille au soir apparaissait. Il était un peu différent, cependant. En dessous des ailes déployées, il y avait désormais deux lignes :

  • Première vie
  • En attente ….

Je fixai, cette seconde ligne, incrédule. Je comprenais très bien de quelle attente il s’agissait, mais je n’étais pas sûre de savoir, ce qu’«ON » attendait de moi, justement.

Je saluai les vendeurs en m’excusant de les avoir dérangés avec mes histoires de fous, et sortis dans la rue. Je ne savais pas ou me diriger et je marchais au hasard pendant plusieurs minutes. J’avais la sensation d’être l’instrument d’une force inconnue, ce qui était très désagréable, mais puisqu’il n’y a avait rien d’autre à faire, autant aller jusqu’au bout.

Je ne fus donc pas étonnée d’arriver le long de la grande avenue que j’avais vue sur la vidéo. La scène se mettait en place, et je repérai très vite la dame au chien hargneux. Elle s’apprêtait à traverser, aussi je pressai le pas et arrivai vers elle au moment où elle s’engagea sur la chaussée.

Je me plantai devant elle, et lui dit :

« Excusez-moi, madame, mais il me semble que votre lacet est défait »

Elle s’immobilisa, retenant son chien, qui me regardait avec un air peu amène. Je n’en menai pas large. Je m’accroupis devant elle, évitant de regarder le chien dans les yeux, et joignant le geste à la parole, je fis mine de refaire son lacet.

« Vous êtes très aimable, mademoiselle, me dit-elle, sans vous j’allais tomber ! »

A cet instant, la voiture démarra en trombe et passa à quelques mètres de nous, sans nous voir. La vielle dame sursauta et me prit à témoin :

« Vous avez vu ce fou, à quelle vitesse il démarre ! Si j’avais traversé, moi qui avance à la vitesse d’un escargot maintenant, il m’aurait sûrement écrasée. Vous vous rendez compte ! Heureusement que vous m’avez parlé, ma petite.

-Je vais vous aider à traverser avec votre chien, je crains qu’il ne vous fasse tomber, regardez comme il tire sur cette laisse, lui répondis-je.

-Vous avez raison, ma petite, ce chien est trop vif pour moi. Un jour, il me fera tomber, c’est toujours ce que ma fille me dit. Je lui emporte justement, elle habite en face. Elle a dit qu’elle s’en occuperait maintenant, parce qu’il n’obéit jamais, et cela devient dangereux.

A cet instant, le caniche passa sur le trottoir d’en face, et le roquet s’élança vers lui, mais c’est moi qui tenais la laisse et il ne put aller bien loin. En mesurant la traction exercée sur cette laisse, je compris que la dame n’avait aucune chance d’éviter cette chute programmée. Je remerciais la providence de m’avoir mis sur sa route.

Quelle que soit la providence en question …

Je préférais ne pas me pencher plus avant sur cette question pour le moment.

Je l’accompagnais jusqu’à la porte de sa fille et sonnais. La fille me répondit qu’elle descendait. J’attendis quelques minutes et quand elle arriva, je lui expliquai en deux mots, ce qui s’était passé dans la rue. Elle se tourna vers sa mère, et lui dit :

« Tu vois, j’avais bien dit que ce chien ne t’apporterait que des ennuis. Enfin, maintenant, c’est moi qui m’en occuperai !

Sa mère me regarda en souriant, et en me gratifiant d’un sourire, elle ajouta :

« Oui, c’est bien mieux comme ça. Tu as raison, comme toujours. Mais tu vois, heureusement, la providence m’a bien aidée, ce matin. Finalement, j’ai bien fait de mettre mes chaussures à lacets ce matin. »

En disant cela, elle me fit un clin d’œil complice, en soulevant un pied, ostensiblement. En me rendant compte, qu’elle portait des bottes sans lacets, je me sentis rougir jusqu’aux oreilles.

Je les saluai toutes les deux, et m’éloignai rapidement, pour cacher mon trouble. Arrivée au coin de la rue, je me retournai, sentant le regard de la vieille dame dans mon dos. Elle me regardait en souriant et me salua d’un petit signe de la main, que je lui rendis.

Je me dépêchais de regagner ma voiture, quand j’entendis la clochette du téléphone ailé, m’indiquer qu’un nouveau message était arrivé. Je poussais un soupir, et rassemblais mon courage pour l’ouvrir.

Sur le fond d’écran bleu nuageux, sous les deux ailes déployées, s’étalaient deux lignes :

-Première vie

-Deuxième vie

Je refermais la coque d’un geste sec, préférant ne pas voir qu’il restait encore cinq autres tirets, au-dessous de ces deux lignes.

Je rentrai chez moi, ce soir-là, avec le sentiment d’avoir accepté ce que l’on attendait de moi, sans savoir exactement ce que c’était. Après tout, c’était facile, il n’y avait qu’à suivre le mode d’emploi, on me mâchait le travail. Le plus difficile serait de faire accepter ce qui se passait à mes proches. Pour cela, je ne savais vraiment pas comment m’y prendre.

Après tout, je n’avais qu’à attendre que l’occasion se présente, ou que l’ « On » me guide aussi pour cela. Il était urgent d’attendre.

Ce soir-là, en m’endormant, je remerciais la providence de m’avoir soufflé les bonnes répliques au moment opportun, et je lui demandais de me donner quelques jours de répit pour digérer toute cette histoire.

Je préférai ne pas réfléchir plus avant à ce qui m’attendait dans les jours à venir.
A suivre

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Messages (Partie 1)

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Courir les magasins quelques jours avant Noël était un exercice difficile, et année après année, je ne faisais aucun progrès. Je finissais toujours par me retrouver au milieu de la foule quelques jours avant la fête, en priant pour qu’il reste dans les rayons « Le » cadeau que l’on m’avait demandé.

Cette année, pourtant, j’avais presque tout déniché quelques semaines avant, sauf le téléphone portable dernier cri, que mon fils souhaitait trouver au pied du sapin. En maugréant, ce matin-là, je traversais la moitié de la ville pour me rendre dans la boutique de téléphonie la plus vaste de la cité, en espérant qu’il en resterait. Je pris le métro bondé à cette heure-ci, et après avoir fait la queue dans la boutique pendant près d’une heure, j’obtenais enfin le téléphone de ses rêves…

Je ressortais, soulagée, en louvoyant au milieu de ceux qui attendaient leur tour, jusqu’à la sortie, où je heurtai le coin d’une table que je n’avais pas remarquée en arrivant. Un homme était assis à cette table, où était étalée une dizaine de téléphones portables en promotion. Je le priai de m’excuser d’avoir bousculé son étalage, en ramassant une pancarte publicitaire que j’avais fait tomber. Il me regarda en souriant, avec un air énigmatique, sans me répondre. Intriguée par son silence, je le détaillai. Son allure m’amusait, on aurait dit le Père Noël, sans le costume ni le traineau. Il avait une barbe blanche qui semblait bien réelle, et une couronne de cheveux blancs, un visage jovial encadrant un regard espiègle. Il semblait avoir été particulièrement bien choisi pour son physique pour faire cette promotion de Noël.

Je lui rendis son sourire et m’apprêtait à sortir, quand il me dit :

« Il n’y a pas de mal, vous n’avez rien cassé ! Et vous tombez à pic, cette promotion vous est destinée !

Je le regardai, déjà agacée, par son habileté à retourner la situation en sa faveur. Je pensais qu’il voulait me vendre encore quelque appareil dont je n’avais aucun besoin. Ce genre de promotion m’agaçait prodigieusement. Je tentai de m’enfuir en lui jetant rapidement :

« Veuillez m’excuser de nouveau, mais j’ai trouvé tout ce qu’il me fallait. Au revoir Monsieur. »

Il m’interrompit d’autorité, et sa voix forte m’immobilisa.

« Vous ne m’avez pas bien compris, je pense. Je vous dis que cette promotion vous est spécialement destinée, dit-il en posant sa main sur mon bras. C’est gratuit, parce que vous venez d’acquérir le dernier téléphone sorti en cette fin d’année. Cela fait partie du marché, le vendeur ne vous en a pas informée ?

– Non répondis-je, en me demandant de quoi il me parlait.

– Vous pouvez donc choisir un des téléphones qui sont sur cette table, gratuitement, et vous en servir à votre guise, aussi longtemps que vous le souhaiterez. Si vous décidez de le garder, aucune contribution financière ne vous sera demandée.

– Je n’ai jamais entendu parler d’une telle promotion ! Il y a forcément un prix à payer, lui dis-je en le regardant droit dans les yeux. Dans notre monde, rien n’est gratuit. Quelle est la clause supplémentaire, dont vous omettez de me parler, celle qui est tout en bas du contrat, en lettres minuscules ?

– Il n’y en a aucune. Répondit-il en me regardant fixement. Parfois, les choses sont réellement gratuites, vous savez. Parfois, certaines personnes donnent leur aide gratuitement, vous sourient en passant et s’éloignent avant que vous ayez réalisé qu’elles vous ont fait cadeau de leur aide. Parfois, vous avez seulement quelques minutes pour choisir si vous répondez ou non à ce sourire, et le moment magique s’est envolé.

Je n’osais plus m’éloigner, ni ne le désirais d’ailleurs. Il m’intriguait de plus en plus, et je voulais comprendre comment cette conversation surréaliste était arrivée sur le tapis.

– De quoi me parlez-vous, dis-je en baissant la voix, comme s’il s’agissait d’une conversation secrète.

– Je parle de choix, répondit-il plus sèchement, en me désignant la table du doigt. Je vous propose un choix, lequel de ces téléphones vous plaît-il ?

Il marqua un temps d’arrêt puis ajouta :

-La vie n’est faite que de choix : saisir les opportunités, suivre le bon chemin, savoir faire demi-tour, imposer autour de soi ce que l’on estime être juste, accepter ses erreurs, suivre ses intuitions, écouter les signes.

En disant cela, il me fixait toujours, et je n’arrivais pas à détacher mon regard du sien. J’avais l’impression de flotter sur un nuage. Comme dans un rêve, je m’entendis dire :

-Je prends celui-là, en désignant un des appareils posés devant moi. J’avais choisi celui qui était blanc avec un logo à l’arrière, représentant deux ailes grises déployées.

-Très bien, dit-il, en me te tendant. Il est à vous. Vous n’aurez pas à regretter votre choix, et je pense que vous en serez pleinement satisfaite.

-Je vous remercie, dis-je. Au revoir, Monsieur.

-Au revoir, Madame, dit-il. Passez un bon Noël avec votre famille.

Je partis sans me retourner, avec l’impression de fuir, et arrivée au coin de la rue, je réalisai qu’il ne m’avait demandé aucune coordonnée, et que je n’avais aucune facture justifiant que ce téléphone m’appartenait. J’hésitai à faire demi-tour, mais finalement je poursuivis mon chemin, n’ayant aucune envie de me retrouver en face de ce drôle de bonhomme.

Je pressai le pas et sautai dans la dernière rame de métro, juste avant que la porte ne se referme. Il restait une place sur la banquette centrale, l’heure de pointe était passée. Perdre du temps, avec cette aventure m’avait au moins fait éviter l’heure de pointe.

Je réfléchissais à cette rencontre bizarre. Un type qui vous donnait un téléphone gratuitement, en insistant pour que vous le preniez, qui parlait comme un philosophe, et qui vous regardait s’éloigner tranquillement, comme si tout cela était normal ; il faut avouer que je n’avais jamais encore vécu une situation comme celle-ci. Je me demandais ce qu’en penseraient mes proches. Ils allaient encore se moquer de ma naïveté, pensais-je, en faisant la moue.

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J’en étais à ce stade de ma réflexion, quand le téléphone blanc sonna dans mon sac. Je n’avais jamais entendu une sonnerie pareille, on aurait dit une cascade qui tombait sur un xylophone. C’était très poétique, mais encore plus bizarre. Décidément, toute cette histoire sortait de l’ordinaire. Je fouillais un moment dans mon sac avant e le dénicher, mais il ne s’arrêta pas de sonner pour autant. J’ouvris la coque pour décrocher, mais la sonnerie s’arrêta aussitôt. Il n’y avait rien sur l’écran d’accueil noir. Je ne savais même pas le mettre en route. Je le regardais bêtement, quand l’écran s’éclaira, sans que je ne fasse rien pour cela. Immédiatement, une vidéo se mit à défiler devant mes yeux, sans aucun son. Je ne pouvais détacher mon regard de cet écran, et ce que j’y vis reste encore gravé dans ma mémoire aujourd’hui.

La scène se déroulait sur le quai d’une gare, où la foule se pressait. Une femme marchait, on la voyait de dos, son long manteau gris se déployant autour d’elle, une écharpe mauve pendant à son cou. Sur son épaule droite, la bandoulière d’un sac de cuir noir assorti à ses bottes, se balançait au rythme de ses pas. Elle avançait rapidement, au bord du quai pour tenter de doubler les gens qui flânaient devant elle. Soudain, un homme jeune, entièrement vêtu de noir, s’approcha d’elle, venant de sa droite. Il attrapa la bandoulière du sac et tira violemment vers lui. Mais la jeune femme tenta de résister. Ils se mesurèrent pendant quelques secondes, puis il tira d’un coup sec tout en sortant un cutter de sa poche et coupa la bride. Déséquilibrée, elle partit en arrière, et bascula du quai, tombant lourdement sur les rails, au moment précis où le train démarrait. La dernière image était celle du visage horrifié de certains des passants qui avaient suivi la scène et qui regardaient les rails, paralysés de terreur.

Je ne pus m’empêcher de crier : « Oh Non !! Ce n’est pas possible, quelle horreur !!! »

Je m’arrêtais brusquement, sentant tous les regards sur moi. Je retombai sur terre, et levai les yeux, pour voir dix paires d’yeux désapprobateurs qui me regardaient. Je rougis et baissai la tête, ne sachant plus où me cacher. Je rangeai le téléphone dans mon sac, et pris un air détaché, pour me fondre dans le décor. Quelques secondes plus tard, ils semblaient m’avoir oubliée, et je balayai l’espace du regard, pour le vérifier, quand je remarquai que la jeune femme assise en face de moi portait une écharpe mauve de la même nuance que celle du film, ainsi qu’un manteau gris, un sac et des bottes de cuir noir. Cette coïncidence m’étonna, et je me dis en souriant, que le monde était souvent surprenant.

La rame arrivait en gare, et tout le monde se leva. Je descendis quelques secondes après la jeune femme, qui commença à remonter le long du quai. En la voyant de dos, je compris soudain, que devant moi, se déroulait la scène que j’avais entrevue quelques minutes auparavant. Tout se déroula en une fraction de secondes. Comme dans un film au ralenti, je vis cet homme s’approcher d’elle et tendre le bras vers son sac. Alors, sans réfléchir, je hurlai :

« Non, Pas ça !!! Arrêtez ça tout de suite !!!! »

Surpris, il s’arrêta et me regarda fixement. Je me dirigeai vers lui, sans baisser les yeux, et sans trop savoir ce que je voulais faire. Et, par miracle, il n’insista pas. Il partit en courant vers la sortie, se faufilant au milieu des voyageurs.

La jeune femme se retourna vers moi, interdite, le regard hostile. Elle me toisa une seconde puis lâcha sèchement, avant de s’éloigner.

« Ma petite dame, je crois qu’il faudrait vous faire soigner ! »

Je restai là, clouée sur place, les jambes tremblantes, avec la peur rétrospective de ce qui aurait pu se passer. Je me demandais aussi, si le voleur m’attendrait à la sortie. Les gens passaient autour de moi, indifférents à ce qui venait de se produire. Je tentai de reprendre mon souffle, quand un homme posa sa main sur mon épaule, me faisant sursauter de nouveau.

« N’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal. Cette femme ne sait pas qu’elle vous doit une fière chandelle ! Mais vous tremblez, ça ne va pas ?

-Je ne sais pas ce qui m’arrive, lui dis-je en claquant des dents. C’est la première fois que je fais ce genre de chose et je ne peux plus m’arrêter de trembler.

-Respirez calmement, me dit-il. Ça va passer, je vous accompagne jusqu’à la sortie.

-Je vous remercie, lui dis-je avec un sourire pâlot, j’ai aussi peur qu’il m’attende, je crois.

-Non, ne vous inquiétez pas, ce genre de petit voleur à la tire, ne moisit jamais longtemps au même endroit. Il a dû déjà trouver une autre victime …

En effet, à la sortie du métro, il n’y avait personne. Je remerciai mon compagnon, de m’avoir aidée à retrouver mon courage, et m’apprêtai à rejoindre ma voiture, lorsqu’il ajouta :

« Il y a peu de gens comme vous, vous savez, prête à prendre un mauvais coup, pour empêcher qu’on vole une inconnue. Qu’est-ce qui vous a pris ?

– Je ne sais pas trop… Ce n’était pas pour le vol, je crois. J’ai cru qu’il allait plutôt la tuer…

J’avais l’air d’une parfaite idiote, mais je ne pouvais pas décemment lui expliquer, que je venais de voir qu’il allait « effectivement » la tuer.

Il me regarda fixement quelques secondes, puis dit :

-Vous êtes quelqu’un de surprenant, vous savez ! Je ne suis pas prêt d’oublier cette matinée, moi ! Enfin, prenez soin de vous quand même, vous n’aurez peut-être pas autant de chance à chaque fois. »

Il s’éloigna, en se retournant deux fois, pour me regarder comme si j’étais une extraterrestre, ou que j’allais disparaître subitement dans un nuage de fumée.

A chaque fois …

Comment ça, à chaque fois ?

Une seule fois m’avait bien suffit. J’avais besoin de réfléchir à tout cela, au calme. Je regagnais ma voiture et rentrai chez moi. Cependant, je ne parlai de cet incident à personne, ni de ce téléphone bizarre, ne sachant pas par quel bout commencer.

Je le laissai au fond de mon sac, avec la ferme intention d’aller le rendre demain, à ce drôle de bonhomme. Avant de me coucher, cependant, je ne pus m’empêcher d’aller jeter un coup d’œil sur lui. Il semblait éteint, mais quand j’ouvris la coque, il s’éclaira. Je n’osais pas regarder, craignant de revoir cette vidéo atroce, mais il n’y avait qu’une image fixe. Sur un fond bleu et blanc nuageux, le logo représentant deux ailes déployées s’étalait en haut de la page, et juste en dessous, on voyait sept tirets alignés verticalement. A côté du premier tiret était écrit :

– Première vie

Je regardais fixement cette inscription, quand il s’éteignit. Je ne pus rien faire pour le rallumer. Je le remis dans mon sac avec l’impression qu’il me brûlait les doigts.

J’en avais froid dans le dos.

Cela confirma ma première intention : j’irai le rendre demain.

A la première heure.

A suivre

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Journal interne (Partie 3/3)

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Jour 181

Ce jour-là, une autre voix, entra dans notre univers. Elle était plus grave, profonde, apaisante aussi, mais plus autoritaire. Je crois que c’était une voix d’homme.

La première fois que je l’entendis, il chantait. La mélodie me berça, et je me rendormis alors que c’était l’heure du repas. Mon compagnon me réveilla en posant sa main sur mon visage, pour que je mange. Il savait que j’étais de mauvaise humeur, lorsque j’avais faim.

Je l’en remerciais, tout en ayant un peu honte de lui imposer sans arrêt mon mauvais caractère et mes quatre volontés, alors que lui était si doux avec moi.

Je lui dis ce jour-là que l’on ressemblait de plus en plus à un vieux couple, et cela déclencha un fou-rire communicatif.

A partir de ce jour, nous fûmes de plus en plus proches.

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Jour 211

Ce matin-là, au réveil, il me sembla que le plafond était plus bas que d’habitude. Je voulus réveiller mon compagnon, et je n’eus qu’à étendre le bras. Il avait approché son lit du mien au cours de la nuit sans m’en parler. Mais lorsqu’il s’éveilla, il fut aussi surpris que moi de cette soudaine proximité. Il m’affirma qu’il n’avait rien fait et que la veille au soir, les choses étaient à leur place.

Nous fîmes ensemble le tour de la pièce, en suivant les murs, et nous finîmes par arriver à la même conclusion. Les murs avaient changé de place durant la nuit, la pièce semblait rétrécir !!

Cette fois-ci, j’étais aussi inquiet que lui, j’avais une sensation d’étouffement qui m’était très désagréable.

Je le regardais, et le trouvais changé également. Il me fallut un moment pour comprendre, puis la vérité m’apparut d’un seul coup. Il avait grandi et grossi aussi, ses bras et ses jambes étaient plus longs, son ventre plus rond. Je lui dis :

« C’est toi qui tient plus de place, regarde comme tu es gros, ce matin ! Il faudrait arrêter de manger autant ! Tu passes ta vie à manger et à rester couché dans ton lit. Tu vas devenir énorme et on aura plus assez d’air pour respirer ! »

Il me regarda, incrédule, puis me détailla comme je l’avais fait pour lui.

« Regarde toi, au lieu de me critiquer, tu es encore plus gros et plus grand que moi. Non c’est autre chose, et plus grave encore. Je crois qu’ils nous engraissent volontairement, et je me demande ce qu’ils vont faire de nous, quand ils estimeront que notre taille sera suffisante ! »

Je commençais à penser la même chose que lui, et ce jour-là, inaugura pour nous deux, une période d’inquiétude, où une sensation de menace peserait sur nous, quotidiennement.

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Jour 241

Les jours passaient tous pareils, nous avions de moins en moins de place pour tourner dans cette pièce. Même, en dormant, nous nous heurtions. Je n’avais même plus le cœur à protester quand il me mettait le doigt dans l’œil pendant son sommeil. En fait, j’étais tellement inquiet que je ne disais plus rien.

La seule chose que nous savions, c’est qu’une menace imminente pesait sur nous, sans pouvoir l’expliquer. Notre univers se rétrécissait et bientôt il nous écraserait.

Pourquoi nous avait-on envoyé dans ce lieu, et qu’allait-il advenir de nous ?

Le seul moyen de nous réconforter, était de nous serrer l’un contre l’autre, du matin au soir, et de dormir le plus longtemps possible, pour ne plus avoir le temps de se poser des questions.

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Jour 271

Ce matin-là, le ciel était noir. La lumière ne filtrait plus du tout, nous avions à peine la place de bouger une main. Je lui caressai la joue, pour le réconforter. Depuis son réveil, il pleurait doucement, en silence, croyant que je ne le remarquerais pas. J’étais inquiet comme lui, ou peut-être plus encore, mais je ne voulais pas augmenter son chagrin. Je ne pouvais parler, et cette main sur son visage était la seule réponse que je pouvais lui donner.

Soudain, le sol trembla. Un vent de tempête se leva. Les murs étaient secoués de spasmes.

Mon compagnon, ouvrit les yeux, pour la première fois depuis que nous nous connaissions, dans un mouvement de panique. Je le reconnus à cet immense regard gris, comme la personne qui attendait avec moi dans la salle d’attente, avant que toute cette histoire ne commence.

Avec un sourire penaud, je tentais de le réconforter en disant : « Nous aurions mieux fait de ne pas prendre cet ascenseur, n’est-ce pas ? »

Mais il n’avait pas envie de rire.

Les murs tremblaient si fort qu’on avait l’impression qu’ils ondulaient, et d’un seul coup ils se rapprochèrent de nous. Pour leur échapper, nous nous réfugiâmes au centre de la pièce, blottis l’un contre l’autre. Au dehors, nous entendions des cris, et ce qui m’effrayait le plus, c’est que la voix qui criait était celle que j’aimais tant, pour sa douceur réconfortante. La panique semblait l’avoir gagnée aussi. C’était la fin de notre monde.

Et puis, tout alla très vite.

Le sol trembla de nouveau et dans un bruit de tonnerre, un gouffre s’ouvrit brusquement devant nous. Je savais que c’était la fin. Mon compagnon sursauta, et me lâcha la main, alors que le sol se dérobait sous ses pieds. Je le vis glisser sur les parois lisses en me regardant et je n’eus pas le temps de saisir sa main. Il était littéralement aspiré vers le bas, par une force surnaturelle. En quelques secondes il avait disparu.

J’étais seul désormais, face à la fin de mon histoire. Le silence tomba sur cette scène d’apocalypse, les murs s’immobilisèrent, comme si le sacrifice de mon ami avait satisfait les monstres qui grouillaient au fond de ce gouffre. Je n’osais plus respirer, attendant mon tour.

Soudain, un cri déchira l’air, et je reconnus la voix de mon ami. Ce cri n’était pas une plainte, plutôt un cri de colère. Il était toujours vivant, et il semblait se rebeller !!

Je repris espoir…

Mais la rémission fut de courte durée. Les murs eurent un hoquet, puis se rapprochèrent de moi de nouveau, dans un mouvement lent mais continu qui me poussait tout doucement vers le gouffre. Alors, pour ne pas mourir écrasé, je décidai de sauter dans le vide.

J’eus d’abord la sensation de glisser sur un toboggan, mais le gouffre se rétrécissait progressivement et la crainte de rester bloqué définitivement, me submergea.

Et, d’un seul coup, le passage s’élargit et je tombai dans le vide.

Une lumière violente m’aveugla, et un froid intense s’abattit sur moi. Je me mis à trembler sans pouvoir m’arrêter, je fermai les yeux, serrant très fort les paupières pour ne pas affronter cette clarté insupportable. Ce faisant, je ne pouvais pas voir mes bourreaux, ils pouvaient me tailler en pièce s’ils le voulaient. Je serrais les dents, prêt à me battre, même si je ne donnais pas cher de ma peau à cet instant-là. Je reçu un coup sur les fesses, cinglant, qui me surpris, et je me mis à crier de surprise et de dépit. Ce cri libéra ma peur, et mes poumons se remplirent d’air glacé, ce qui me paniqua encore plus. Je criais de plus en plus fort, jusqu’à hurler. Tout était perdu pour moi, définitivement. Alors, je me tus, épuisé.

Je sentis que des bras puissants me soulevaient, et je compris qu’ils allaient m’achever. Je laissais faire, résigné. Il était inutile de se débattre, je n’en avais plus la force.

Puis, je fus au paradis, je devais être mort. Je flottais délicieusement dans un liquide chaud où l’on me berçait doucement. Pour compléter mon bonheur, mon compagnon était là aussi, et pour en être bien sûr, je passais mes bras autour de lui et le serrais contre moi. Il me reconnut, et essaya d’attraper mon nez. Je ne protestais pas. J’étais si heureux qu’il soit là, de nouveau près de moi.

Pour couronner le tout, la voix que j’aimais tant, résonnait autour de nous, dans un murmure d’une douceur incroyable, elle dit :

« Mes petits amours, mes petits chéris, vous êtes si beaux. Vous verrez, nous allons être si bien ensembles. Si vous saviez comme je vous aime… »

Ce texte m’a été inspiré par le film de ces merveilleux enfants, flottant, ensembles, quelques minutes après leur naissance.

Merci de l’avoir lue.

Décryptage du fil de l’histoire pour ceux qui le souhaitent :
Jour 1: plongée vers la vie
Jour 31: le cœur bat
Jour 61: la voix de sa mère
Jour 91: l’embryon devient fœtus
Jour 121: découverte des saveurs
Jour 151: Échographie de contrôle
Jour 181: la voix de son père
Jour 211: on grandit
Jour 241: plus de place
Jour 271 : naissance

Je vous laisse, maintenant, imaginer la suite de leur histoire….

Fin …

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Photo M. Christine GRIMARD

 

Journal interne (Partie 2/3)

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Jour 91 :

Aujourd’hui, était un grand jour. Celui où je quittais le statut précaire d’apprentis, pour revêtir celui de débutant confirmé. Aucun diplôme ne me fut décerné, mais je savais depuis toujours, que si je survivais jusqu’à ce jour, on m’autoriserait à rester, et à faire mes preuves.

A partir de ce jour, il y eut un changement important dans ma vie.

Ce matin-là, je réalisai que je n’étais pas seul dans cette cellule.  A l’autre extrémité de la pièce, quelqu’un dormait. Peut-être l’avait-on installé là pendant la nuit, sans me prévenir. Je trouvai ça, un peu cavalier, mais d’un autre côté, je fus soulagé de ne plus être seul. Les soirées seraient peut-être moins longues maintenant.

Pendant les deux jours suivants, il m’ignora, puis le troisième soir, il s’approcha de moi, et posa sa main sur la mienne. Ce fut bref, juste un contact, puis il retira brusquement sa main et repartit dans son coin, comme s’il avait peur de ma réaction.

J’essayais de le rassurer, en lui parlant, mais il sembla ne pas m’entendre. C’était bien ma chance, le compagnon qu’on m’avait choisi devait être sourd. Finalement les soirées risquaient d’être longues !

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Jour  121

Un mois de plus s’était écoulé depuis mon arrivée, et chaque jour me rendait plus fort. La nourriture était savoureuse, et petit à petit j’appris à apprécier les produits locaux. Dans ce pays, les mets étaient raffinés, et les goûts souvent exotiques. J’avais du mal à mettre des noms sur les plats que l’on me présentait, et que je ne voyais pas, puisqu’on vivait dans une pénombre continuelle.

Cependant, très vite, on ne me donna plus que les plats que je préférais. J’avais rapidement compris que lorsque je renvoyais un plat d’où il venait, on ne me le proposait plus. Petit à petit, mes menus furent parfaits, sans aucune fausse note.

Mon compagnon mangeait la même chose que moi, sans jamais rechigner. Heureusement, il avait bon caractère, et ne fit aucune remarque sur le fait que je lui imposais mes goûts culinaires.

Je commençais à me poser des questions, sur le fait que l’on me nourrisse ainsi magnifiquement, sans rien me demander en retour. J’en parlais à mon compagnon, qui m’expliqua que les choses étaient établies de cette manière, et qu’il valait mieux ne pas poser de question.

Je n’étais pas d’accord avec ce peureux, et je lui dis sans ménagement, qu’il valait mieux affronter les choses plutôt que d’attendre qu’on nous présente une note effrayante à la fin.

Ce fut notre première dispute. Ce soir-là, il ne mangea pas, et retourna dans son coin, pour dormir en me tournant le dos.

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Jour 151

Ce jour-là, dès le matin, on sentit une grande effervescence à l’extérieur du bâtiment.  Des voix fortes raisonnaient. La discussion semblait animée, mais je n’en comprenais pas une parole. Je m’approchais de mon compagnon, qui paraissait encore plus inquiet que d’habitude.

« Il semble qu’il se passe quelque-chose dehors, dit-il, on dirait qu’il y a une tempête. On va peut-être devoir déménager, qu’en pensez-vous ?

-Ne soyez pas toujours inquiet, chaque fois qu’il se passe quelque chose. C’est assez lassant ! Attendons de savoir ce qui se passe. Il sera toujours temps de se faire du souci après. »

Toute la journée, des bruits inhabituels se firent entendre. Je ne savais pas ce qui pouvait produire ces sons inconnus, mélange de sifflements et de grondements. Ils semblaient provenir du toit.

J’eus beaucoup de difficultés à calmer mon compagnon. Je le tenais contre moi, mon bras autour de ses épaules, mais rien ne semblait le consoler.

Enfin, quand vient le soir, les bruits cessèrent. L’atmosphère s’allégea brusquement.

Une voix de femme s’éleva provenant de l’étage du dessus. C’était de nouveau elle, la plus jolie voix que j’avais entendue jusque-là, d’une douceur incomparable. Le seul fait de l’entendre m’apaisa immédiatement, et mon compagnon me regarda, avec un air à la fois soulagé et émerveillé. Il ressentait le même bien-être que moi. On tendait l’oreille pour entendre ses mots. Elle disait :

« Tout va bien, finalement, les choses suivent leur cours normalement. Je suis plus tranquille. »

A suivre ….

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Journal interne ( Partie 1/3)

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Jour 1 :

Ce matin, l’air est plus léger. Ils m’ont dit que c’était le grand jour, mon tour est enfin arrivé.
Depuis le temps que je moisis ici, je vais pouvoir découvrir de nouveaux horizons. Ils m’ont dit de me rendre au bloc 27, une heure après le lever du soleil. Il ne faut pas que je rate le rendez-vous.

Finalement, je suis arrivé très en avance, et l’hôtesse à l’entrée, m’a indiqué où se trouvait la salle d’attente. Voilà plus d’une heure que je suis là, et rien ne se passe. Je commence à trouver le temps long.

Tiens ! Voilà une autre personne, qui s’assoit en face de moi. Elle me regarde, timidement, et ne bouge plus. Nous attendons, encore, et encore.

N’y tenant plus, je sors dans le couloir. Il est immense, tout blanc, tout en longueur et désespérément vide. Je n’ose aller plus loin de peur de me perdre, alors je retourne m’assoir. La personne me regarde, elle a d’immenses yeux gris. J’ai l’impression qu’elle voudrait me poser une question, puis elle baisse la tête et elle renonce.

Enfin, Il arrive.

Il nous regarde l’un et l’autre, nous dévisage, nous évalue. Puis il déclare :

« Matricules 20190 et 20191, je présume .. ?

Nous répondons avec un bel ensemble : « Présents »

-Très bien. Vous êtes ponctuels. Votre heure est venue, vous allez pouvoir prendre le vol du matin. On vous attend. Il faudra vous dépêcher, et avoir un peu de courage pour la descente. Mais par la suite, il n’y aura qu’à suivre le plan défini, faire confiance en votre nature, et tout ira bien.

Avez-vous des questions ?

-Non, répondîmes-nous d’une seule voix.

-Parfait, alors vous pouvez y aller. Vous suivez le couloir puis vous prenez la troisième porte à droite et vous trouverez l’ascenseur.

Il sortit, nous laissant seul de nouveau. La personne me regarda, semblant très inquiète, et dit :

« Heureusement que nous sommes ensemble. J’aurais eu peur de me perdre, seul !

-Restons ensemble, et tout ira bien ! N’ayez pas peur !

Il sembla rassuré, et m’emboita le pas. Les indications données étaient bonnes et une fois dans l’ascenseur, il n’était plus possible de se tromper.

La descente fut assez vertigineuse. J’en eus presque la nausée, et l’atterrissage encore plus sportif. J’eus la sensation de plonger brusquement dans une mer sans fond, et le choc fut si fort que je perdis connaissance. Au réveil, tout était sombre autour de moi. Je ne voyais plus l’autre personne. Peut-être avait-elle pris un autre chemin. Je m’en inquiéterai plus tard. Pour l’heure, il fallait que je trouve de quoi me nourrir.

Les évènements du jour m’avaient épuisé, et avant de trouver la moindre nourriture, je sombrais dans un sommeil sans rêve.

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Jour 31 :

Voilà déjà un mois que je suis là, la vie s’organise doucement. J’ai trouvé mes marques. La plupart du temps, la nourriture est abondante, et il ne fait pas froid. Certains jours, je m’ennuie un peu, et pour passer le temps, je dors. Mais, quand je réfléchis à ce qui s’est passé depuis que je suis là, il me semble que chaque jour a été l’occasion d’une nouvelle découverte.

La semaine dernière, par exemple, au réveil, il y avait de la musique. Je ne reconnus pas la mélodie, mais je n’ai aucune culture musicale. C’est le rythme qui m’a tout de suite accroché. Un rythme régulier lancinant, comme une cascade, qui me berçait délicieusement. Je ne comprenais pas d’où venait le son. Il semblait remplir tout l’espace. Je cherchais où était le percussionniste, en vain. A la tombée de la nuit, l’intensité diminua légèrement, et je perçus un second son, plus lointain, plus rapide, plus léger aussi, qui semblait essayer de suivre le premier, sans y parvenir.

Le lendemain, le bruit était encore là, mais je commençais à m’y habituer. Il me rassurait même. Peu à peu, la vie continua, rythmée par ces notes syncopées. Le rythme accélérait avec le jour et ralentissait la nuit, mais il était toujours là. Je compris qu’il devait nous être nécessaire. J’imaginais qu’un chef d’orchestre réglait le tempo, et qu’ainsi chacun de nous était obligé de le suivre.

Depuis lors, ma vie suivit son cours, en musique, nuit et jour.

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Jour 61 :

Je ne sais pas ce qui m’a conduit ici, et pourquoi je n’ai pas le droit de sortir de cette cellule. Mais je sens qu’il ne faut pas que je me révolte ou que je tente de fuir.

Une voix douce et amicale, me parle souvent dans la journée. Je sens qu’elle me protège et qu’elle ne me veut que du bien.

Quand je m’inquiète, elle chante pour me réconforter.

Quand je dors, elle se tait pour ne pas me déranger.

Dès que je me réveille, elle me parle, et cela m’apaise.

Je sens qu’elle m’aime, et que je pourrais l’aimer aussi, sans l’avoir jamais vue.

A suivre ….

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Elle et moi (Partie 12)

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En arrivant chez moi, je posai mon précieux cadeau sur le guéridon, n’osant pas l’ouvrir, comme on hésite à sortir marcher sous la pluie.

Etait-ce la crainte de refermer la porte derrière elle définitivement, ou était-ce pour garder le plus longtemps possible, le plaisir de l’attente de la revoir ?

Je ne pouvais détacher mes yeux de ce carton, mais je ne me décidais pas à y toucher. Finalement, je me persuadais qu’il était préférable d’attendre la nuit, lorsque la vie serait calmée, et que nous serons en tête à tête, Elle et moi, dans le silence de l’obscurité, pour échanger ces derniers instants de connivence.

Je n’avais pas envie de lui dire au revoir, j’avais envie de la porter en moi définitivement, comme un des trésors de ma vie.

Il fallait que je m’occupe en attendant que les déménageurs m’apportent le lit clos, pour éviter de penser à tous les évènements de la journée, pour éviter de m’effondrer. Je réalisais qu’il n’allait pas trouver sa place dans mon minuscule appartement dans son état actuel. Il fallait que je l’accueille à sa juste place, et à moins de pousser les murs…

Je tournais sur moi-même, inspectant tous les recoins de la pièce, lorsqu’un rayon de soleil entra par la fenêtre, et se posa contre le mur de ma chambre, sur le bureau. Cet éclairage doré me donna la solution, il serait si bon d’être couchée dans le cocon de ce lit et de laisser les rayons du couchant venir caresser mes jambes de leur douce chaleur. Je me voyais déjà éblouie par le contre-jour, savourant un peu de musique, avec un bon livre, ou un chocolat chaud.

Je déménageai mon bureau dans la chambre, fit place nette sur les murs, repoussai le canapé dans l’autre partie de la pièce, près de l’entrée. Je regardai la nouvelle configuration de ma pièce principale, lorsque les déménageurs arrivèrent. Ils n’avaient pas fait l’effort de démonter le corps principal du meuble, et eurent toutes les peines du monde à le faire entrer dans la pièce. Finalement, c’est par la porte-fenêtre qu’ils réussirent. Le bois craquait sous leurs efforts, semblant les réprimander de le traiter de la sorte. Je leur indiquai le mur que j’avais choisi pour l’adosser. Une fois en place, il était si monumental, qu’on avait l’impression qu’il y avait une pièce supplémentaire dans mon appartement. J’imaginais déjà les instants de plaisir passés à l’avenir, dans cette pièce secrète, comme on savoure un parfum d’enfance, comme on croise le souvenir d’un instant de douceur.

J’en étais encore à l’admirer, quand son fils arriva, avec l’air hostile qui le caractérisait. Il détailla mon appartement minuscule avec un mépris évident, mais je ne m’en formalisais pas, le monde matériel ne faisant pas partie de mes priorités. Seules les objets porteurs d’âme m’intéressaient, et je savais qu’il était incapable d’en distinguer autre chose que leur valeur marchande. Il détaillait les tableaux sur le mur, et détourna les yeux brusquement lorsqu’il vit qu’il s’agissait principalement de marines.

Il jeta sèchement : « Voilà, j’ai suivi la volonté de ma mère, elle m’aura contrarié jusqu’au bout ! Enfin si elle avait su que vous viviez dans un mouchoir de poche, elle aurait peut-être changé d’avis, et m’aurait laissé ce lit ! »

Je le regardais en souriant, navrée pour lui, et lui répondis simplement : « En fait, regardez, j’ai maintenant une petite pièce supplémentaire. Dans sa grande générosité, votre maman, a deviné ce qui me ferait plaisir, par exemple, me pelotonner dans ce lit magnifique, en sécurité derrière ses panneaux de chêne, et rêver aux fées qui dansent… »

Il me regarda en levant un sourcil, comme si je parlais une langue étrangère.

-Oui, je comprends maintenant pourquoi elle parlait autant de vous. Elle et vous, formiez une belle paire d’illuminées ! Et vous l’êtes probablement encore plus qu’elle ne l’était. »

A ces mots, je ne pus m’empêcher de rire. Les yeux brillants et le sourire éclatant, je le fixais sans oser répondre. Il ne savait pas qu’il venait de me faire le plus beau compliment dont je pouvais rêver. Je me tournais vers les déménageurs qui étaient en nage d’avoir transporté ce lit en bois massif d’un seul tenant.

« Messieurs, je vous offre un rafraîchissement avant que vous partiez. »

Il allait protester mais ces messieurs étaient ravis, et il fut bien obligé d’accepter le verre que je lui tendais. Je me tournai vers lui et le remerciai :

« Je vous remercie d’avoir accepté de suivre les volontés de votre maman, vous m’avez fait aujourd’hui un plaisir immense sans le savoir, de m’expliquer les derniers jours qu’elle a vécu, puis de me donner ce qu’elle avait préparé pour moi, alors que je ne m’y attendais pas du tout. Je vous en suis vraiment reconnaissante, c’est un geste que je n’oublierai pas… »

Il baissa les yeux, tiraillé entre ses émotions, puis il lâcha brusquement, avant de tourner les talons :

« Ma mère n’était pas si folle qu’elle voulait bien le faire croire. C’était une femme extraordinaire et je le savais, même si je ne lui ai jamais dit. Elle était si forte, sous son apparence frêle, tellement plus riche que moi, alors qu’elle ne vivait de rien. J’ai réussi dans ce monde, je suis bien placé dans la société, je suis arrivé, mais parfois je me revois avec elle, courant sur cette lande, les cheveux libres dans le vent, avec l’odeur des bruyères sous mes pieds, et le bruit des vagues qui se cassaient sur la falaise. Et je donnerai tout ce que j’ai pour être de nouveau là-bas avec elle. »

Sa voix se brisa, et je respectais son silence. Les ouvriers s’étaient éclipsés discrètement et il n’y avait plus que lui et moi. Je le regardais bien droit dans les yeux, ils étaient éclairés par le dernier rayon du couchant, et leur iris brillait d’étincelles, je crus voir un instant, l’expression que prenait mon amie quand elle parlait de son île. Je lui pris les deux mains, sans rien dire, et laissait les larmes perler dans mon regard. Il ajouta :

« Merci d’avoir adouci ses derniers mois, elle était si heureuse de vous avoir rencontrée. »

Je ne pus qu’ajouter : « Merci à vous de me le dire, c’est un grand plaisir que vous me faites. Mais vous savez, je crois que cette rencontre était programmée, et que les gens qui s’aiment finissent toujours par se rencontrer ou se retrouver. Votre maman savait que vous l’aimiez, elle m’en avait parlé souvent, elle pensait que le chagrin de la disparition de votre papa, vous avait éloigné de vos racines, mais qu’un jour, vous retrouveriez votre amour pour votre île. »

Il s’adoucit : « Je crois que je vais restaurer la maison de mes parents, qui tombe en ruine ; et je ne laisserai personne y toucher tant que je suis vivant. Un promoteur m’en avait offert un bon prix l’été dernier… Si vous le souhaitez, un jour, vous pourrez venir passer quelques temps là-bas, ajouta-t-il, avec un sourire.

Il dut voir s’éclairer le plaisir dans mon regard, et il accentua son sourire, et dit :

« Puis-je vous embrasser ?

-Bien sûr, avec plaisir, dis-je en le prenant dans mes bras.

-Je suis désolé de vous avoir traitée comme ça, ajouta-t-il un peu penaud, mais je crois que j’étais jaloux que ma mère se sente plus proche de vous que de moi à la fin de sa vie.

-Oh , je ne crois pas que ce soit le cas, répliquai-je, les instants que nous partagions étaient intenses, mais n’ont rien à voir avec l’amour qu’elle vous portait. Il s’agissait plutôt d’une amitié, comme nous aurions pu l’avoir en étant du même âge. Je regrette tellement, de ne pas avoir eu le temps de la connaître plus longtemps, mais je remercie les cieux de m’avoir permis de croiser son chemin.

Cette vie m’intéresse uniquement pour ce genre de rencontre, et là l’univers m’a comblé. Le souvenir de ce qu’elle était va éclairer ma route pour longtemps… »

-Tenez, dit-il je vous laisse ma carte, n’hésitez-pas à m’appeler si vous avez des ennuis quelconques, j’ai beaucoup d’influence dans toutes sortes de milieux. J’ai l’impression que vous auriez fait une sœur formidable, et j’aimerais que vous acceptiez de me pardonner mon attitude, et que nous puissions nous revoir souvent. »

-Ça sera avec plaisir, répondis-je, toute émue. Plus je le regardais désormais, plus je lui trouvais de ressemblance avec mon amie. Je l’embrassais de nouveau pour lui dire au revoir.

Il me fit un geste de la main avant de sortir, le même geste que sa maman faisait toujours lorsque elle me voyait passer devant sa fenêtre, et le même geste que j’avais vu faire à cette jeune femme, la nuit du 14 juillet.

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Une fois seule, je caressais du regard, ce nouvel univers qui était le mien. Le lit monumental changeait entièrement l’atmosphère de la pièce. L’odeur du bois flottait jusqu’à moi, embaumant le soir. En fermant les yeux, on aurait pu se croire dans la forêt après une coupe de bois. Je décidais de préparer mon lit pour y dormir le soir même.

Après le dîner, dans le silence, j’entendais craquer le bois dans la fraîcheur de la soirée, comme une respiration, un soupir. Ce lit, évoquait si fort, le souvenir de mon amie, que je croyais sentir réellement sa présence.

Le moment était venu d’ouvrir son présent. Les mains tremblantes d’émotion, je fis glisser le couvercle. Le parfum de mon amie s’envola jusqu’à moi, un instant, et les larmes me submergèrent. Il me suffisait de fermer les paupières pour croire qu’elle était de nouveau près de moi, dans cette pièce, son odeur imprégnait les objets qu’elle avait préparés pour moi, et je n’osais y toucher pour ne pas la faire disparaître.

Au premier regard, je sentis tout l’amour qui émanait de ces objets, messagers de son souvenir.

Le premier objet était une photographie ancienne ornée d’un cadre ovale, d’une jeune femme aux longs cheveux détachés, à l’exception d’une barrette en forme d’étoile filante sur la tempe droite. Ce regard m’était familier, empreint de la douceur et de l’intelligence que je lui connaissais. Un prénom, suivi d’une date, étaient inscrits dans le coin inférieur, confirmant l’identité de mon amie. J’en oubliais de respirer, elle était si belle à trente ans, irradiant d’une telle étincelle de vie, souriant à l’avenir. J’aurais tant aimé la rencontrer à ce moment-là et partager ses fous-rires. La photo était en noir et blanc, mais l’ombre bleue de son regard planait sur cette image, et j’avais l’impression d’en voir encore les reflets bleu marine briller devant mes yeux. C’était bien elle, qui m’avait salué une dernière fois, derrière sa fenêtre, la nuit du 14 juillet, celle où elle avait choisi de partir comme son fils me le confirma plus tôt. Je contemplais cette image à travers mes larmes, et dans ce semi-brouillard, j’eus l’impression que son sourire m’enveloppait toute entière pour me consoler, d’une caresse de velours.

Je ravalais mes larmes, posais le cadre sur le guéridon, et sortis le second objet du carton. Il s’agissait d’un livre ancien, relié de cuir, avec une loupe posée sur la couverture, le tout réuni par un ruban bleu. L’ouvrage s’intitulait : « Tradition celtique : le culte de la lune et du soleil ». Ayant détaché la loupe, je l’ouvrais et le feuilletais rapidement. C’était un récit romancé, s’appuyant sur des légendes celtes, où je reconnus certaines histoires que m’avais racontées mon amie lorsque nous cousions. J’allais le reposer pour le lire plus tard, quand je remarquais la gravure ancienne qui ornait la couverture. Elle représentait une cérémonie, où des femmes vêtues de tuniques blanches et coiffées de couronnes de fleurs tressées, dansaient sous la lune, formant une ronde autour d’une pierre levée. Cette scène, me semblait étonnement familière, il s’agissait du rêve récurent que je faisais depuis l’enfance et donc j’avais parlé à mon amie. J’avais la sensation d’être revenue chez moi.

Je pris la loupe, et détaillais l’image attentivement. Les deux femmes représentées de face, dans la ronde, souriaient, semblant chanter, les yeux levés vers la clarté lunaire. J’approchais la loupe d’elles, et je ne fus pas surprise de reconnaître le visage de mon amie dans la beauté de sa jeunesse, et le mien. A leur cou, brillait un pendentif en pierre de lune, identique à celui qu’elle m’avait donné.

Les morceaux du puzzle prenaient leur place, un à un.

Sous le livre, se trouvait une enveloppe à mon prénom, que je retirai du carton en tremblant. Elle cachait un dernier objet, que je reconnus immédiatement. C’était le jumeau de mon pendentif, d’un ton un peu plus soutenu, bleu presque marine, assorti au regard de mon amie. Je m’approchais de la fenêtre où la lune était pleine. Un pendentif dans chaque main, ouverte vers le ciel, j’admirais leur lumière irisée, qui projetait des milliers d’étincelles sur le plafond. Je les regardais danser comme des étoiles filantes dans un ciel d’été, fascinée par leur brillance. Le ballet s’acheva, lorsque la lune fut dissimulée derrière les nuages.

Je reposais les pendentifs côte à côte, près du portrait de mon amie, puis me décidai à ouvrir l’enveloppe. Plusieurs feuillets étaient couverts d’une écriture soignée, légèrement penchée, aux lettres bien ourlées, reflétant une intelligence vive au caractère fort.

Son denier cadeau. Le plus beau. Je m’installais sur son lit pour la lire, entourée de ses souvenirs, dans la douceur de son univers.

« Ma petite chérie,

Vous me manquez, beaucoup. Votre présence attentive m’était si précieuse, et votre sourire qui illuminait mes matins, a laissé la place à une grisaille permanente. Je suis devenue égoïste à mon âge, et même si je sais que ce stage est important pour vous, je ne peux m’empêcher de trouver votre absence très longue.

Alors, j’ai décidé de préparer une surprise pour vous. J’y place nos souvenirs communs, ceux que vous n’avez pas encore retrouvés, mais qui m’accompagnent déjà depuis longtemps. Lorsque vous accepterez leur existence, votre vie actuelle sera plus légère, vous retrouverez vos racines, ce qui vous donnera l’énergie nécessaire pour suivre ce nouveau parcours jusqu’au bout de vos attentes.

Il est inutile de nier ce que l’on est, surtout lorsque le but est d’utiliser son énergie originelle, pour faire avancer le monde. Vous êtes une fée incarnée dans ce monde, et il est temps que vous l’acceptiez. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas devenue encore plus folle depuis votre départ. Une fée, est un être de lumière, tournée vers l’accomplissement de la beauté. Elle paraît et le monde s’illumine. Son sourire éclaire le chemin et chacun se sent heureux en sa douce présence.

Je vous ai vue avec les enfants et j’ai vu la lumière de votre regard sur eux. Les enfants sentent ces choses- là. Vous avez remarqué leur attitude envers vous, et celle de notre jeune amie et de son lapin, n’est-ce pas ? Vous voyez bien que j’ai raison. Moi, je vous connais depuis toujours, mais j’ai toujours eu une bonne mémoire…

Vous me promettez d’accepter votre vraie nature, et de vous en servir pour répandre votre lumière autour de vous. Regardez votre pendentif, et sa brillance soudaine, lorsque certaines émotions vous submergent. Vous saviez très bien canaliser tout cela, auparavant. Mais je ne suis pas inquiète, vous saurez retrouver vos marques, bientôt. Vous lirez attentivement, le livre que je vous laisse, et tous vos souvenirs remonteront à la surface. Laissez-les faire, mon petit …

A mon âge, il n’y a plus rien à prouver, et ce vieux corps me trahit. Lorsque l’Ankou viendra me chercher, ce qui ne saurait tarder, j’essayerai de venir vous dire au revoir, pour emporter avec moi votre image comme un talisman pour le voyage.

Qui sait, nous nous retrouverons peut-être bientôt, et peut-être même dans votre vie actuelle. Ne soyez pas triste de mon départ. Moi, je suis enchantée d’avoir pu vous retrouver avant de partir, même pour si peu de temps.

Qui sait ? Peut-être que l’on se retrouvera, lorsque vous serez une vieille dame, comme moi aujourd’hui. Si vous rencontrez de nouveau mon regard, dans la peau d’une jeune écervelée, et que j’ai tout oublié de notre amitié, surtout montrez-moi mon pendentif pour que je vous reconnaisse.

Ce monde a grand besoin d’énergies positives, comme la vôtre.

Laissez la grandir, jour après jour, et quelle que soit la voie que vous choisirez cette fois-ci, vous lui serez utile.

Laissez votre sourire attirer les autres sourires.

Laissez votre cœur battre contre celui des autres.

Laissez votre âme s’envoler chaque nuit dans cette clairière où nous retrouverons pour danser.

Laissez votre vie danser dans les vagues de l’océan.

Laissez votre rire enchanter les matins, laissez vos chagrins s’envoler dans le vent.

Laissez cette vie palpiter dans vos yeux et remplir vos poumons, aimez la chaque seconde, jusqu’à la dernière, et encore après.

Mon petit, il est temps de nous dire au revoir, les forces de ce corps m’abandonnent, mais je resterai avec vous, aussi longtemps que vous penserez à moi, pour vous aider si vous en avez besoin, et pour vous aimer jusqu’au bout du chemin.

Il n’y a rien de triste, cette vie est un cadeau, et je l’ai dégustée jusqu’à la dernière goutte de soleil. Faites-le aussi, pour vous et pour moi.

Vous écrire, ce soir, est le dernier cadeau que cette vie m’aura fait, je crois. Je vous remercie pour chaque seconde que nous avons partagée. Je penserai à vous où que je sois.

Je vous serre une dernière fois dans mes bras, ma petite chérie, avec tout mon amour.

Votre amie …. »

Je reposais la lettre sur l’oreiller près de moi, laissais l’émotion envahir le silence de la pièce. Je la sentais monter comme une vague de tempête. Alors, je me tournai vers son portrait, elle me regardait en souriant. Ses yeux, à la foi si forts et si doux, fixaient les miens, et ce regard échangé, peu à peu m’apaisa. Demain, je découvrirai le livre qu’elle m’avait laissé, et j’essayerai de suivre ses traces vers la lumière.

Alors, dans la pénombre, je refermai les panneaux du lit clos et m’installai pour dormir, découvrant pour la première fois, la sensation de paix qui régnait à l’intérieur de ce cocon de chêne. De fines ouvertures étaient ménagées dans le bois dissimulées dans les dessins de fleurs stylisées, et quelques rayons de lumière pénétraient l’espace clos, parsemant le ciel de lit d’étoiles. Je m’allongeais pour l’admirer en m’endormant, et c’est alors que je les entendis.

De douces voix féminines chantaient en sourdine, accompagnées du murmure du vent sur la lande, et au loin, la valse des vagues leur répondit. Je sentis le parfum des bruyères flotter sur mon visage ou peut-être l’imaginai-je.

Et, dans un bruissement d’ailes, je m’envolai vers le rêve.

Fin

 

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Elle et moi (Partie 11)

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Le lendemain matin, je me réveillais avec une impression de pesanteur pénible, qui allait m’accompagner toute la journée.

Je devais me rendre dans le service des enfants, pour leur faire une lecture, en remplacement de mon amie. Elle avait prévu de leur lire « Le petit Prince » de Saint-Exupéry, qui était un de mes livres préférés, et je savais que cela me ferai du bien de marcher sur ses traces, en compagnie des enfants. J’oubliais mes angoisses pendant quelques heures, en voyant les yeux émerveillés des plus jeunes découvrant le périple de l’enfant blond.

Ils préférèrent la rencontre avec le renard, les premiers pas de cette amitié naissante, de deux êtres dissemblables qui apprennent à s’apprivoiser puis à s’aimer. Ils me demandèrent de reprendre ce passage où le renard, explique l’importance qu’il donne à son nouvel ami. La petite fille posa son lapin sur mes genoux pour qu’il regarde les illustrations de l’auteur et ferma les yeux lorsque je relus cette phrase :

« Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça c’est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d’Or. Alors, ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé… »

J’arrêtais la lecture, les laissant sur cette phrase. Silencieux, ils attendaient en me regardant, et je les laissais redescendre doucement sur terre. La petite serra son lapin contre son cœur et lui dit :

« Tu vois, nous on s’est apprivoisés, et comme ça on n’aurait plus jamais peur, même si on tombe dans le désert, un jour, comme lui. » Elle se tourna vers moi, et ajouta : «Toi, et Mamie-Doux, vous vous êtes apprivoisées, et comme ça vous n’aurez plus jamais peur ! »

– Tu as raison, ma chérie, quand on a un ami, il suffit de penser à lui pour ne plus sentir sa peur ! Et Mamie-Doux m’a appris à ne plus avoir peur, même dans le désert… »

Ce moment avec les enfants me rendit l’énergie que la nuit dernière m’avait dérobée. Il suffisait de quelques mots sortis de la bouche de cette enfant, pour que les émotions échevelées que je trainais depuis le réveil, se canalisent. Je sortis de cette rencontre de nouveau apaisée.

 

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En arrivant chez moi, je trouvais un message de mon cousin qui me demandait de repousser son séjour chez moi, au mois suivant. Ce nouveau contretemps me contrariait, me privant de l’usage de sa voiture. Puisque je ne pourrais pas aller lui rendre visite pendant deux semaines, je décidais de lui téléphoner le lendemain.

Dans cet établissement, avoir une réponse fut très difficile. J’appelais plusieurs jours de suite, parlant chaque fois à des interlocuteurs différents, et retrouver sa trace commençait à sembler impossible. Enfin, mon appel ayant été transféré d’étages en étages, je finis par avoir une personne qui me demanda de rappeler la semaine suivante, pour parler à la responsable du service qui était seule habilitée à donner des renseignements sur les patients. Je compris qu’il serait difficile de pouvoir obtenir de parler directement à mon amie. J’avais l’impression de la voir s’éloigner de moi, inexorablement.

Le lundi suivant, j’eus enfin la bonne personne, mais elle semblait avoir beaucoup de réticences à me répondre. Elle m’interrogea sur mes liens de parenté avec mon amie, et lorsque je lui expliquais notre relation, elle me répondit brutalement qu’elle ne donnait des nouvelles qu’aux membres de la famille proche. J’insistais longuement, et elle dû sentir mon inquiétude, et se laissa attendrir au bout d’une discussion qui me sembla interminable. Elle finit par lâcher :

« Votre amie n’est pas restée longtemps dans notre établissement, et je crois que le mieux est que vous appeliez son fils directement. Il vous renseignera mieux que moi. Je vous prie de m’excuser de ne pouvoir prolonger cette conversation, j’ai beaucoup de travail ! » Et elle raccrocha !

Je restais là, prostrée, à regarder bêtement mon téléphone, comme s’il m’avait trahi.

La tournure que prenaient les évènements, confirmait mes craintes. Il fallait que j’admette que les choses étaient différentes de ce que je voulais qu’elles soient, et que j’ouvre les yeux sur la réalité. Je regardais mon pendentif, en cherchant une aide qui ne venait pas.

J’essayais de rassembler mes idées. Je ne connaissais pas son fils, ne savait rien de lui, et j’étais sûre qu’il refuserait de me parler si je finissais par le retrouver. Peu à peu, en tournant dans ma mémoire, les évènements successifs des derniers jours, je cessais de me débattre, et j’admis que je ne reverrai sans doute pas mon amie. Curieusement, cela m’apaisa. Au bout de cette nuit de torture, je voyais enfin le but du tunnel. Il me semblait qu’elle était sereine et que sa sérénité serait la clé de la mienne.

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Je repris ma vie, d’où elle était absente, traversai la rue vide de son absence, pour passer devant sa fenêtre en espérant voir de nouveau son regard bleu derrière les vitres. Jour après jour, l’absence creusait son gouffre, et j’essayais de ne pas m‘y noyer.

Quinze jours plus tard, un camion de déménagement barrait la rue, lorsque je sortis de chez moi, juste devant son immeuble. Je m’approchais intriguée. Sa fenêtre et sa porte étaient ouvertes et plusieurs personnes s’affairaient dans son appartement. Un homme semblait régler le ballet des allées et venues. Il était plus grand que moi, et la forme de son visage me semblait familière, mais son regard dur et sombre mettait un mur entre nous. Sa bouche pincée, aux lèvres si fines qu’elles en étaient presque invisibles, trahissait son manque de générosité. J’étais mal à l’aise en sa présence, mais je sentais que je devais aller lui parler. Lorsque j’entrais dans la pièce principale, il leva le regard vers moi, me détaillant de la tête aux pieds, et je le trouvai immédiatement antipathique. J’essayais de me calmer, refusant de juger quelqu’un que je ne connaissais pas, sur une simple impression. Mais c’était plus fort que moi, je me sentais trembler et mes jambes me lâchaient. Il me toisa de toute sa hauteur et me jeta :

« Qui vous a autorisé à entrer ici ? Qui êtes-vous ? Vous vous croyez tout permis ? »

– Je … commençais-je en hésitant. Je connaissais la dame qui habite ici, et n’ayant pas de nouvelles d’elle depuis quelques semaines, je me demandais si …

– Si quoi ?

– Si elle va bien… Je le regardais au fond des yeux, redoutant la réponse, que je lisais déjà dans ses pupilles noires.

– Je ne vois pas en quoi cela vous regarde ! Aboya-t-il.

Son regard et tout son être respiraient l’hostilité. Il réfléchit quelques minutes, puis chaussa ses lunettes rondes, et me fixa, les yeux froncés. Je ne disais plus rien, ne sachant plus comment expliquer ma présence. Soudain, il se redressa et dit :

-Oui, je sais qui vous êtes ! Bien sûr ! Vous devez être cette fille dont ma mère s’était entichée ces derniers temps. Je me demandais comment j’allais vous trouver ! Mais bien sûr, il suffisait d’attendre que vous veniez de nouveau fourrer votre nez dans ses affaires !

J’étais de plus en plus gênée, mais il continua en vociférant :

« Je comprends maintenant que je vous vois, avec votre petit air d’ange aux yeux bleus, votre allure si douce, si fragile, elle n’a rien pu vous refuser. Elle avait toujours désiré avoir une fille, et vous avez dû bien en profiter ! Expliquez-moi comment vous avez fait pour qu’en quelques mois, vous ayez pris un tel ascendant sur elle, au point qu’elle vous cite sur son testament !

Il fulminait, et si la rage qui brûlait dans ses yeux, avait pu fondre sur moi, elle m’aurait consumée en un instant. Je n’osais plus bouger, la colère sourde ayant toujours été un repoussoir pour moi. Dans ce genre de situation, je faisais le dos rond, attendais que l’orage s’éloigne ou me cachais dans un trou de souris. Je le regardais sans rien dire, attendant que la tempête passe, ce qui décupla sa colère :

« Allez-vous enfin me dire ce que vous êtes venue faire ici ? Explosa-t-il.

– Je n’ai pas eu le temps de vous expliquer, vous ne me laissez pas parler, répondis-je d’une toute petite voix.

– Alors parlez !

– Je voulais prendre des nouvelles de votre maman, et j’ai appelé la maison de convalescence, mais ils n’ont rien voulu me dire. Alors, quand j’ai vu qu’il y avait quelqu’un chez elle ce matin, je suis venue …

Je réalisai d’un seul coup qu’il avait parlé de testament:

« Pourquoi parlez-vous de testament ?

Il me regarda, un peu surpris, et sa voix se radoucit :

« Parce que, le notaire me l’a lu hier, et votre nom est cité, enfin, je suppose que c’est le vôtre ! Imaginez ma surprise, que ma mère ait pu me faire ça, à moi !

Je ne voulais pas comprendre ce que ça impliquait, je ne voulais pas admettre que ma plus grande crainte était réalisée. Je sentais mes larmes couler, et mes jambes trembler. Je le voyais à travers un brouillard, et tout ce qu’il pouvait me faire maintenant, n’avait plus d’importance. Il remarqua ma pâleur, me poussa vers une chaise et dit :

« Asseyez-vous, vous êtes toute pâle ! Vous n’allez pas tomber dans les pommes, en plus !

Je le regardais, incrédule. Comment pouvait-il être aussi froid et brutal ? Mon regard dû l’énerver encore plus et il ajouta en hurlant :

« Vous voulez me faire croire que vous le ne saviez pas, avec votre petit air innocent !

Il était du genre à frapper une femme à terre. Une vraie brute ! Comment un tel homme pouvait-il être le fils de mon amie, qui était pétrie de douceur et d’humanité ? Il poursuivit :

« Je l’ai accompagnée quand on l’a transférée dans sa maison de convalescence, elle ne voulait pas y aller, sans vous dire au revoir. Elle m’a parlé de vous pendant tout le trajet. J’aurais dû me douter qu’elle m’avait préparé ce coup fourré, dit-il enfin, entre ses dents. »

Autant de noirceur dépassait l’entendement, ce qui me donna la force de me redresser. J’éprouvais un tel mépris pour cet être aussi égoïste, que je n’avais plus peur de lui, et lui dis :

« Je ne veux pas savoir de quel coup fourré vous parlez, je voudrais seulement que vous m’expliquiez ce qui lui est arrivé, en après je vous laisserai régler toutes vos affaires !

Il eut un moment de recul, et parût, enfin, un peu gêné. Il baissa les yeux et dit :

« Oh, ça aussi, elle avait dû le préparer. En arrivant là-bas, elle m’a dit qu’elle se débrouillerait pour ne pas rester trop longtemps, qu’elle était trop fatiguée pour cela. Sur le coup, je n’avais pas compris, mais la nuit suivante, elle était morte ! La nuit du 14 juillet en plus ! Je suis sûr qu’elle l’a fait exprès, on devait partir en vacances le lendemain, et on a dû annuler le voyage. »

Je n’en croyais pas mes oreilles, il ne semblait pas affecté par la disparition de sa mère, mais seulement par l’annulation de ses vacances. Il dû sentir le mépris que je ressentais pour lui, et me dit :

« Ne me regardez pas comme ça, vous ne savez rien de moi. Ma mère et moi, on n’était pas très proches, elle vivait dans un monde de chimères, racontait des histoires à dormir debout, et n’avait qu’une idée, celle de retourner dans son île perdue. Je déteste la mer, et elle ne voulait pas le savoir. Un jour, je lui ai dit qu’elle aurait dû détester aussi cet océan qui avait tué son mari. Elle a souri et m’a répondu qu’elle voulait justement le rejoindre là-bas. »

Il se tut, les yeux dans le vague, à ce souvenir. Je respectai son silence, et commençai à avoir pitié de lui. Il avait eu la chance de côtoyer une femme exceptionnelle, et ne l’avait même pas remarquée. Sans doute, est-ce plus fréquent que l’on ne croit. Ce n’est que quand les gens nous manquent qu’on s’aperçoit de la place qu’ils prenaient dans notre cœur, et de leur valeur.

Je le plaignais d’avance, pour le jour où il réaliserait cela.

Je me levais pour partir, je n’avais plus rien à faire ici, auprès de cet homme froid, qui n’avait rien en commun avec mon amie. Je voulais rentrer chez moi pour penser à elle et l’accompagner de mon souvenir. Mais il me rattrapa vers la porte :

« Ne partez pas si vite, elle a décidé de vous laisser deux choses. Je vais vous les donner, et après, je ne veux plus jamais entendre parler de vous ! »

Il me désigna un carton qui était sur la table où mon prénom était écrit au feutre bleu :

« Elle avait dû le préparer pour vous depuis longtemps, parce qu’on l’a trouvé sur cette table en entrant tout-à l’heure, vous n’avez qu’à l’emporter. En revanche, il faudra m’indiquer votre adresse, parce qu’elle vous lègue aussi son lit clos, et ça je dois dire que c’est ce qui me contrarie le plus ! »

Il s’arrêta en me regardant d’un air outré. J’étais de nouveau franchement gênée.

« Je ne veux pas vous déposséder de l’héritage breton de votre famille, commençais-je, je comprends que vous y teniez… »

Mais il m’interrompit de nouveau :

« Ne dites pas de bêtises, je ne tiens pas spécialement à ces vieilleries encombrantes. Je ne sais même pas si j’aurais pu le faire entrer chez moi. Non, ce n’est pas ça. Elle savait que je voulais le vendre à un antiquaire. Je comptais en tirer un bon prix ! Non seulement je vais perdre la vente, mais en plus elle a exigé que je paye le déménagement du lit jusqu’à votre appartement, c’est un comble !»

-Alors, je comprends pourquoi, elle a voulu me le donner, dis-je dans un souffle, en le regardant droit dans les yeux. Il me toisa un moment puis baissa les yeux.

-Donnez-moi votre adresse, on vous le portera ce soir, quand l’appartement sera vidé ; et maintenant disparaissez de ma vue ! »

Je ne demandais pas mieux. Je pris le carton marqué de mon prénom, et le regardai une dernière fois en me dirigeant vers la porte, cherchant, en vain, un trait ou une expression de son visage qui m’aurait rappelé celui de mon amie.

En traversant la rue, je me retournais vers la fenêtre, mais personne ne me regardait cette fois-ci, ni mon amie, ni la jeune femme que j’avais vue, la nuit du 14 juillet. J’avais hâte de découvrir ce qu’elle avait préparé pour moi dans ce carton. Je le portais serré contre mon cœur, comme le plus grand trésor qui m’ait été donné jusqu’ici.

A suivre.

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Photo M Ch grimard

Elle et moi (Partie 10)

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Photo M. Christine Grimard

Le lendemain, je dus me rendre à la faculté pour donner mon rapport de stage, et les choses s’éternisant, je ne pus aller lui rendre visite. Je me demandais dans quel état j’allais la trouver le jour suivant.

Lorsque j’arrivais dans le service, j’avais un mauvais pressentiment, ou était-ce juste la crainte liée au souvenir de ses derniers mots ?

Quand j’entrais dans sa chambre, mes peurs prirent corps devant l’image de son lit vide. Elle n’était plus là, et la chambre avait été nettoyée en prévision de l’entrée prochaine d’un autre malade. Les infirmières étant toutes occupées, j’attendais à l’entrée du service que mon cœur se calme, pour pouvoir demander de ses nouvelles. La réponse me terrifiait et je me sentais trembler de la tête aux pieds… Elle était tellement plus courageuse que moi, et n’aurait pas été fière de moi, en me voyant dans cet état. Je rassemblais mon courage, et demandais à l’infirmière en chef, de me renseigner sur mon amie. Elle me répondit, un peu étonnée :

« Vous n’êtes pas au courant, elle a été transférée à la demande de son fils dans une maison de retraite médicalisée, où elle finira sa convalescence plus tranquillement qu’à l’hôpital. Une place s’est libérée hier, et on l’a emmenée ce matin. »

Je pris l’adresse de cette nouvelle maison, avec l’intention de lui rendre visite le plus vite possible, mais en me renseignant sur le net, je compris qu’elle avait été envoyée dans un autre département. L’endroit semblait perdu, loin de toute gare, et il me fallait trouver une voiture pour m’y rendre. En tout cas, je ne pourrais plus être présente chaque jour pour l’aider dans ces repas. Le découragement qui m’envahit alors, m’empêchait de réfléchir, et je me couchais ce soir-là avec la sensation d’être prise dans un ouragan.

Le lendemain, une solution m’apparut au réveil, j’avais un cousin qui voulait venir passer une semaine de vacances en ville en juillet. Je l’appelais en lui proposant de l’héberger, en échange du prêt de sa voiture pendant quelques jours, pour que je rende visite à mon amie. Il accepta avec joie, et je me réjouissais que les choses se règlent aussi facilement. Il arriverait la semaine suivant la fête et resterait quelques jours, ce qui me permettrait d’utiliser sa voiture plusieurs fois.

Le 14 juillet, jour de liesse nationale, voyait la ville se vider de ses habitants, et se remplir de touristes. L’esprit habituel en était bouleversé, et j’aimais cette ambiance estivale, où on avait l’impression d’être un étranger dans son propre quartier. L’air était plus léger et les gens étaient moins pressés, un vent chaud soufflait sur la ville figeant les chats sur le rebord des fenêtres. On aurait dit qu’une fée espiègle avait endormi toute la ville d’un coup de baguette magique. En marchant sur le bitume, le silence permettait d’entendre le claquement de ses propres talons sur le sol, ce qui était très inhabituel. On entendait quelques chants d’oiseaux, bien qu’on ne puisse les voir dans le berceau de feuilles des platanes de l’avenue.

Il était convenu que je rejoigne mes amis sur la place de la Mairie, pour le feu d’artifice. Malgré mes soucis, cette promenade me changea les idées, et je remarquais de nombreux détails que la ville cachait en temps normal. La soirée fut agréable, et revoir les amis dont j’avais été séparée pendant le mois de stage, me fit beaucoup de bien. Les anecdotes que chacun racontait sur son propre stage, nous firent passer un moment de franche hilarité, et je rentrais chez moi, avec le sourire aux lèvres.

Je marchais d’un pas tranquille, et quand je passai devant son immeuble, je tournai machinalement la tête vers la fenêtre, faiblement éclairée par le réverbère voisin, même si je savais qu’elle n’était pas là. La force de l’habitude, sans doute.

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Quelque chose d’inhabituel attira mon regard, une ombre derrière la fenêtre se déplaçait. Je me figeai, me demandant si je rêvais, ou si c’était l’ombre des branches des platanes qui dansait sur ses vitres. Il fallait que je m’approche, malgré la peur qui commençait à monter le long de mes reins.

Je traversai la rue, sans regarder, ne détachant pas mon regard de la fenêtre, en fronçant les yeux, pour mieux distinguer l’image floue qui se dessinait sur les vitres. C’est alors que je la vis.

Son visage clair apparaissait derrière le reflet des carreaux, ses yeux d’un bleu intense me fixaient, et elle me fit un geste de la main gauche. Je restais figée, au milieu de la rue, sentant mon sang refluer de mon corps, oubliant de respirer. Il ne s’agissait pas de mon amie, mais d’une jeune femme d’une trentaine d’année environ, aux longs cheveux détachés, à l’exception d’une barrette en forme d’étoile filante qui retenait une mèche de ses cheveux sur la tempe droite.

Nos regards restèrent accrochés pendant de longues minutes, puis elle sourit avec une tendresse désarmante, et ma peur s’envola brutalement.

J’allais la rejoindre quand j’entendis le souffle du vent soulever les feuilles des platanes, et s’engouffrer le long de la rue, dans une rumeur de soie. Puis un tintement léger retentit dans le square, suivi d’un second plus fort, puis de toute une cascade de sons cristallins de plus en plus forts. Je tournais la tête vers la grille du square et j’aperçus le reflet de la cloche rouillée qui brillait sous la lune, et je la vis distinctement s’agiter à la cadence du tintement infernal.

Le souvenir des paroles de mon amie, à propos de la clochette de l’Ankou, le jour où nous avions été nous promener dans ce square, revint à ma mémoire, et me glaça le sang.

Je me retournai vers la fenêtre. Il n’y avait plus personne. Je m’approchai en hésitant et collai mon visage contre les carreaux pour distinguer l’intérieur de la pièce, malgré ma peur. Il n’y avait personne. J’avais rêvé cette présence, et le son de cette clochette.

Le silence était retombé sur la ville, personne n’avait bougé. J’étais seule sur ce trottoir, même la lune s’était cachée derrière les nuages. Aucun témoin n’avait partagé mon délire.

Je me décidai à rentrer, n’ayant pas le courage de réfléchir plus longtemps dans cette ruelle sombre. De deux choses l’une, ou je devenais folle, ou cette rencontre était réelle, et je devais découvrir qui elle était.

J’avais la sensation d’avoir trouvé la clé d’une porte que je ne voulais pas franchir, et qui me brûlerait les doigts, si je décidais de ne pas m’en servir.

Une chose était sûre, la peur que j’avais ressentie, dans cette rue, se dissipait, désormais je me sentais en paix, comme si plus rien ne pouvait m’atteindre, comme si je savais que je ne serai plus jamais seule à l’avenir. La pierre de mon pendentif brillait d’un éclat bleu marine, qui éclairait mon visage dans le miroir, je le reconnus difficilement, tant il paraissait clame et souriant. Le reflet de la pierre dans mon regard le coloriait de bleu marine, et au fond de mes pupilles j’aperçus l’image de deux fées qui dansaient dans une clairière sous la lune.

Je m’endormis avec le souvenir de cette image, et la nuit m’emporta dans cette clairière où j’entendais au loin, un cavalier masqué parcourait la lande, en faisant tinter sa clochette.

A suivre .

Jeroen Krab

Photo Jeroen Krab