Nous offre avant de mourir
Un jour en cadeau
« Les oiseaux sont responsables de trois au moins des grandes malédictions qui pèsent sur l’homme.
Ils lui ont donné le désir de grimper aux arbres, celui de voler, celui de chanter… »
Boris Vian
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Bel oiseau, emporte-moi sur tes ailes, pour que je voie enfin le monde de plus haut, pour que je mesure le prix des jours qui passent et le goût du vent qui court.
Emporte-moi sous le vent, garde-moi contre ton cœur pour que sa chaleur me donne l’espoir de l’amour, que je comprenne que cette vie qui m’a été donnée est un cadeau sans prix et que je l’apprécie enfin avant que le sablier n’ait fini de se vider.
Apprends-moi le soleil et les nuages, apprends-moi le vertige et l’équilibre, apprends-moi la faim et la soif, apprends-moi la peur et le chagrin, pour que je comprenne le prix de ma vie, des jours de calme où la peur s’éloigne, des heures de rires où les larmes se tarissent, des minutes de plaisir où chaque seconde prend un goût de miel.
Un petit matin de février où le givre a déposé son empreinte sur mon paysage, le jour s’habille de douceur et de silence.
Il suffit d’un peu de poudre blanche pour souligner les détails de ce tableau; voilà que ces quelques arbres si familiers prennent l’allure de ballerines et que je mesure la beauté de ce décor comme si je le voyais pour la première fois.
Ici, il y a encore trente ans, on ne trouvait que des moutons et des champs plats uniformes. Ce tableau a été dessiné de la main de l’homme qui a creusé le petit lac là où il n’y avait qu’un mince filet d’eau, et disséminé quelques bosquets en sentinelle.
Les arbres du premier plan, ont été plantés d’une main de femme, déraisonnable semble-t-il lorsqu’elle est lâchée dans une jardinerie comme dans une librairie… ! (Mais eut égard aux gens plus raisonnables qui m’entourent, je dois reconnaître qu’au bout de trente années de pousse, ils ont pris une ampleur certaine. Cependant je me refuse à choisir entre eux pour « faire de la place », choisit-on entre ses enfants ?).
L’ensemble est enfin sublimé par le travail quotidien d’un orchestrateur naturel hors pair qui soigne ses effets de surprise, et ses entrées. Le spectacle est ainsi renouvelé chaque matin, et je dois dire qu’aujourd’hui il a fait fort !
Pour le remercier, je lui offre un peu de musique ainsi qu’à tous ceux qui viennent s’asseoir un instant devant ce paysage ce matin avec moi.
Un peu de douceur partagée, rester au chaud et écouter Miles, c’est bon. Non ?
Vidéo : Miles David, I fall in love too easily.
« Ce qui manque à ce monde, ce n’est pas l’argent.
Ce n’est même pas ce qu’on appelle « le sens ».
Ce qui manque à ce monde, c’est la rivière des yeux d’enfants, la gaité des écureuils et des anges. »
Christian Bobin
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Photo M. Christine Grimard
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Allez
Les enfants
Entrez dans la ronde
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Photo M. Christine Grimard
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Tendez les bras
Vers la lumière
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Photo M. Christine Grimard
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La lumière
Tu la vois, toi ?
Où ça ?
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Photo M. Christine Grimard
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Par ici
Ou par là
Elle est partout
Tu verras
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Plaisanterie mise à part, ce printemps prématuré annonce probablement des changements de climat plus rapides et des intempéries plus nombreuses.
Nous faudra-t-il plus de preuves encore avant de s’en préoccuper ?
Combien de morts nous faudra-t-il encore
Avant de se réveiller ?
Voici le texte que le dernier atelier d’écriture de François Bon sur le tiers-livre m’a inspiré.
Il s’agissait de franchir neufs portes en laissant son imagination vagabonder, selon la sensibilité de chacun, en un seul paragraphe dont les seules respirations étaient des points-virgules. Le choix de ce thème était inspiré par l’œuvre de Georges Perec. Il m’a semblé difficile d’être à la hauteur de la tâche et des autres contributeurs habituels, mais j’ai tenté ma chance avec ce petit texte, que François Bon a eu l’indulgence et la gentillesse d’accepter.
Je vous laisse découvrir les autres contributions avec le lien ci-dessus, mais j’ai aimé l’aventure que ce petit garçon m’a racontée et je vous la transmets…
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La porte du jardin s’ouvre devant un corridor sans fin, il est si petit que sa tête n’atteint même pas la poignée, tant pis, il la laissera ouverte ; la porte de sa chambre est tout en haut de l’escalier, mais ses jambes qui ont trop couru n’accepteront pas de le porter sur tant de marches ; la porte du salon est trop loin, derrière elle son père commente les nouvelles à mesure que le journal lui raconte les guerres du monde, sa voix tonitrue plus fort que les canons qui s’étalent à la une ; la porte de la salle de jeux est si loin, tout au bout du fleuve du corridor où dorment des alligators qui le happeront s’il s’approche de leur cachette ; la porte de la cave claque et son battement cadencé suit les soubresauts de son cœur affolé, la maison est pleine de courants d’air, courses de korrigans, marathons de trolls invisibles qui attendent qu’il se décide à passer pour le dévorer en guise de déjeuner ; la porte de la cuisine est restée entrouverte, laissant passer le fumet de ce que maman a laissé mijoter toute la nuit, aux arômes de cannelles ou de civet, il ne préfère pas choisir et continue sa route ; la porte de la chambre de sa mère ne se ferme jamais pour lui, tout près de la fenêtre elle rêve à l’oiseau qui passe et chantonne cet air si doux qui le berce ; la porte de la salle de bain s’ouvre sur sa sœur qui passe sans le voir, le nez dans un livre tout de noir jaquetté où des yeux de feu le regardent, il se cache dans le placard de l’entrée ; mais la porte du placard qui était la plus vorace sous ses airs de cabinet secret, se referme sur lui et il s’endort sans cannelle et sans civet…
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Photo M. Christine Grimard
“Voir, entendre, aimer.
La vie est un cadeau dont je défais les ficelles chaque matin au réveil.”
Christian Bobin
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Photo M. christine Grimard
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Pourquoi se réveiller
Songe le merisier
On est en février !
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Photo M. christine Grimard
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Mais tais-toi minus
Répond le Prunus
Garde plutôt ton tonus !
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Photo M. christine Grimard
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Tous les arbres fleurissent
Faut-il s’en réjouir
Ou bien s’en inquiéter ?
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Photo M. christine Grimard
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Tous les arbres fleurissent
Dites-vous ? oui tous :
Pétales de soie ou de silice !
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Photo M. christine Grimard
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Je n’en crois pas mes yeux
Dit le narcisse
Froissé
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« Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert,
exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière. »
René Char
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Photo M. Christine Grimard
Photo M. christine grimard
Une seule fleur
Ferait-elle le printemps
Si l’on croit en elle ?
Photo M. Christine Grimard
Encore un matin, beau et blond sous mes doigts.
J’aime ces petits matins où l’océan, mon père, se retire et me laisse un immense tableau vierge.
Tout m’est permis.
Mon père, Neptune m’a donné ce don. Mes sœurs disaient que j’étais sa préférée, et qu’il m’avait fait le plus beau des cadeaux, le don de l’Art. Elles disaient qu’elles n’avaient hérité que du mauvais côté des océans.
Elles ont la lourde tâche de préserver notre monde des bêtises des hommes. Je reconnais que leur travail est de plus en plus lourd. Moi, je n’ai rien d’autre à faire que d’exercer mon talent pour que le monde admire notre océan, pour que les hommes l’aiment. Secrètement, je me dis que si je réussis mon travail, les hommes apprécieront tant la mer, qu’ils n’auront plus envie de l’exploiter ou de la détruire. En fait, c’est moi qui sauverai le monde !
Que croient-elles mes harpies de sœurs ?
Que c’est facile peut-être !
A l’instant précis où la lumière pointe derrière l’horizon, je rassemble mon orchestre et je laisse libre cours à mon imagination.
Mes musiciens attendent que je sorte des vagues et que je me place en haut de la dune.
Ils retiennent leur souffle.
Ils sont prêts.
Musique Maestro !
Premier mouvement : Allegretto Accelerando. Les vagues glissent sur l’estran, se chargeant de sel et de sable. La musique monte, descend, glisse, s’insinue sous les algues, les soulève et se retire. D’abord les violons, puis les cuivres, puis les cymbales….
Second mouvement : Adagio Cantabile : Le sable devient mouvement, il danse avec le sel, s’étale et valse dans le ressac. Saturé d’eau, il dérape entre les galets, lèche les laisses de mer. Il serpente sous les courants, il coulisse sous les notes du vent.
Troisième mouvement : Espressivo Lento. Le sable se retire des vagues, avec une infinie douceur. Le vent se lève et le retient. Ils joutent, titubent et se traînent l’un l’autre par les cheveux.
Le silence retombe sur l’estran.
Les premiers promeneurs se montrent. Ils vont pouvoir admirer notre œuvre.
Chut ! tout le monde regagne ses pénates en silence…
Je m’élève légère au-dessus d’eux. Ils ne me verront pas de toute manière, je suis si transparente. Je veux voir la réaction de ce petit garçon. J’aime tant voir leur sourire devant mes œuvres…
Il court, les cheveux au vent. Il rit. Il aime le vent !
Il est beau cet enfant, si beau avec ses boucles brunes et ses fossettes.
Il s’arrête. Il lève les bras vers le ciel ;
« Maman ! Maman ! Viens voir, comme c’est beau ! »
Ça y est : il a vu mon œuvre. Oh comme j’aime son sourire. C’est ma plus grande récompense, le sourire des enfants.
Sa mère s’approche. Elle regarde les arbres que j’ai dessinés sur l’estran, elle regarde la lumière qui joue sur les ombres et habille mes baobabs d’étincelles. Elle sourit comme son fils et dit :
« Tu as raison c’est très beau ce que l’océan dessine sur le sable en se retirant, vraiment très beau ! Ne marche pas dessus, ça sera dommage de le faire disparaître… »
L’enfant lève les yeux vers le ciel et lui répond :
« Je ne vais pas l’abîmer maman, je ne voudrais pas faire du chagrin à la jolie fée qui l’a dessiné ! »
La mère rit et ébouriffe sa tignasse en passant.
« Mon fils, j’adore l’imagination que tu as ! »
Elle part en courant le long de l’estran en lui faisant signe de la suivre. Avant de lui obéir, l’enfant se tourne vers moi et me fait un clin d’œil en disant :
« Merci petite fée, ton dessin il est très joli ! »
Et il part, en me faisant un signe de la main.
Cette journée commence très bien. Encore un matin, beau et doux sous mes doigts. Tant qu’il y aura des enfants et des matins blonds, je ne me lasserai pas de dessiner pour eux…
Photo et texte M. Christine GRIMARD
Photo M. Christine Grimard
Février hésite
Balance entre pluie et neige
Mais l’hiver résiste