La ronde de septembre : Accents (2)

Pour ceux qui n’auraient pas lu mon texte paru dans le cadre de « La ronde » sur les accents du 15 septembre, je le publie de nouveau ce jour. Profitez-en pour suivre le lien et relire les autres textes qui ont rendu hommage à tous les accents du monde…

 

photo M Ch Grimard

 

 

 

 

Accents

 

Parfois les rêves se réalisent, parfois ils restent inaccessibles.

Paul ne le sait que trop bien. Malgré les efforts consentis pour se départir de son accent, il lui revient toujours comme un boomerang lorsqu’il se laisse déborder par ses émotions. Son rêve d’intégrer le théâtre français est resté au point mort à cause de son accent albigeois, il ne compte plus les auditions où on lui a ri au nez à la fin de ses tirades…

Ce soir, c’est son dernier espoir de jouer Tartuffe. Le jury est composé de cinq hommes et une femme entourant le metteur en scène tchèque qui monte le Tartuffe pour le prochain festival de Rocamadour.

Il se lance :

 

« Ah ! pour être Dévot, je n’en suis pas moins homme

Et lorsqu’on vient à voir vos célestes appas,

Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.

Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange

Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange… »

 

Il a dérapé sur « étrrrrannnge » et sur « annnge », rattrapé par son émotion et son accent. Une fois encore !

Le metteur en scène lève le bras, les doigts écartés en signe de réprobation. Il a déjà vu tant de mains se lever ainsi pour interrompre ses tirades. Il craque, s’avance au bord de la scène et déclame :

« Accent circonflexe heureux d’être complexe

Accent grave aux airs de dilettante à la rondeur lascive et concave

Accent aigu flottant sur son e comme un pont suspendu

Accent québécois trempant ses syllabes dans le sirop d’érable

Accent tonique écrasant la rhétorique à s’en écorcher les oreilles

Accent du midi chantant et caressant les mots de sa nonchalance

Accent ch’ti mystérieusement nébuleux comme le brouillard du Nord

Accent lyonnais de Guignol et de Gnafron, à l’intonation éternellement étonnée

Accent marseillais épicé aux saveurs de Méditerranée

Accent toulousain roulant son torrent rouge brique

Accent méridional au parfum de cigales

Accent albigeois qui alourdit ma voix

Accent de n’importe-où, accents d’ailleurs et de partout

Avoir l’accent de son pays c’est transporter avec soi le souvenir de la terre qui vous a enfanté, c’est laisser l’émotion sortir de sa coquille, c’est reprendre sa liberté, c’est réveiller l’enfant qui dormait derrière la cascade. »

 

Le metteur en scène a baissé le bras, le jury est toute ouïe, figé dans un silence absolu. On n’entend que le grincement des planches sous ses pieds. Paul lève les yeux vers les cintres, met les mains en portevoix et crie aux limbes :

 « L’accent, c’est pas dans la gorge des uns, c’est dans l’oreille des autres ! » a dit Plume Latraverse

 

Silence dans la salle. Les yeux des membres du jury sont fixés sur lui. Pas un cil ne bouge.

Paul finit sa tirade, d’une voix pâle, monocorde, sans aucun accent.

 « Peu m’importe que vous refusiez ma différence, peu m’importe que vous n’entendiez pas la Garonne qui roule sur ma langue, peu m’importe que vous préfériez le mensonge d’une voix formatée à la vérité de mon accent. »

 

Silence.

Le metteur en scène se lève. Paul, du coin de l’œil, le voit faire le tour de la table.

Il tombe à genoux et reprend son accent pour hurler :

« Même si vous ne m’entendez pas, je crierai mes mots sur les toits, j’irai les cracher sur vos tombes. Malgré vous, je donnerai à ma vie des accents de joie ! »

 

Silence.

Un ange passe sous ses paupières closes.

On entendrait un accent circonflexe tomber de la cime dans l’abîme.

Paul se relève, les paupières baissées il attend le verdict négatif tant de fois entendu.

Deux mains saisissent les siennes, le metteur en scène lui tape sur l’épaule, tout sourire, et dit :

 

« J’aime l’originalité de votre approche !

Parfait, les répétitions commencent demain à 7 heure, je compte sur vous pour apporter un peu de sang frais à ce vieux Tartuffe ! ».

texte et photo Marie-Christine Grimard

 

Variations et vibrations : Un rien de Temps 

« Il est plus difficile d’accorder les philosophes que les pendules. » Sénèque

Citation tirée du livre « Perles de vie » 

de René de Obaldia 

p 57 

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Photo M.Christine Grimard


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Le Temps d’une vie humaine est si court.

Quel est notre place dans l’univers ?

Pourquoi avons-nous prospéré sur cette terre, perdue comme un vaisseau fantôme dans l’univers ?

Est-ce la réalité qui nous est donnée, sous forme d’une infime parcelle d’éternité ?

Est-ce une illusion, sommes-nous les personnages du rêve éveillé d’un Dieu à l’imagination débridée ?

La liberté de vivre nous est-elle donnée ou l’avons-nous attrapée au vol comme le pompon d’un manège qui tourne et jamais ne s’arrête ?

Pourquoi nous accorder juste le temps infime de goûter à une vie aussitôt achevée ?

Dans chacune de nos cellules, trouve-t-on la structure miniature de l’univers tout entier ?

Sommes-nous des entités indispensables à la marche du monde où sommes-nous des accidents de parcours ?

Que restera-t-il de nous lorsque nous rendrons à la terre, la poussière de l’étoile qui nous a enfantés ?

Messieurs les philosophes, vous qui avez une question pour chacune de vos réponses, auriez-vous l’amabilité d’apporter des réponses à chacune de mes questions ?

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Photo du jour : Silence du soir, espoir.

« Écrire, c’est donner une profondeur au silence. »

Joe Bousquet 

Photo m ch grimard

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Derniers instants 

Avant 

Que le jour

Ne se fonde 

Dans sa nuit 

……..

Heure où la lumière 

Exulte 

Flambant ses 

Dernières secondes

Avant 

De libérer  

Les ténèbres 

……..

Jeux de cache-cache 

Combat de gris

De roses et de bleus 

Ou chacun sait 

Que le noir 

Gagnera 

……..

Strates claires-obscures 

Rayures roses et or

Étincelles éphémères 

Déclinent 

A l’horizon 

……….

Heure où 

Le silence 

Est d’or

Habité

De l’espoir 

Secret 

Que le ciel 

Derrière son masque 

Obscur 

Ouvrira ses bras 

De velours noir

Aux étoiles 

La ronde de septembre : Accents (1)

Le 15  septembre 2017, la ronde autour des accents.

Participant depuis un an à la ronde à la demande de Dominique Autrou,  je remercie tous les participants de leur partages amicaux et vous rappelle le principe retranscris ici depuis le blog de Dominique: «La ronde est un échange périodique bimestriel de blog à blog sous forme de boucle, sur une idée d’Hélène Verdierle promeneurquotiriens et Dominique Autrou à l’automne 2012. Le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, et ainsi de suite. Pour chaque échange, un thème, un simple mot. Prétexte à un travail d’écriture pouvant prendre la forme d’un récit, une fiction, un poème, une page de carnet…»

J’ai le plaisir d’accueillir Marie-Noëlle  et mon texte est publié chez Franck (à l’envi) 

Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde de septembre, dont le thème est : «Accents».

La ronde tourne cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort (un clic sur le lien de son blog libère le nom de l’auteur) :

 
Bonne lecture à tous au fil de la ronde !
 
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Tempeste dans un verre d’eau

 

Quand Dominique m’a invitée à entrer dans cette ronde sur le thème des accents, je n’ai pensé qu’à celui de ma région d’origine, la Bourgogne, avec son r roulé, la seule de ses caractéristiques encore évoquée aujourd’hui. Puis, dans l’après-midi, une étincelle et le chapeau de la cime tombait dans l’abîme. Fidèle au rendez-vous du hasard objectif, je ne suis pas étonnée que RFI, le soir même, rediffuse « La danse des mots», la très belle émission d’Yvan Amar, consacrée à un entretien avec Michel Feltin-Palas sur le thème : L’accent, un enjeu de pouvoir et qu’ils évoquent ensemble les deux sens de ce mot.

 

Ce fameux r, la génération de mes grands-parents voir celle de mes parents le roulaient plus ou moins comme au fil des saisons les rivières le faisaient avec les graviers. Ce r roulé était aussi celui des immigrés venus de Pologne, parfois de leurs enfants, qui l’avaient plus ou moins ; j’ignore si cela dépendait de leur région d’origine ou de leur niveau d’assimilation.

 

Cet accent-là l’ai-je jamais eu, l’ai-je encore ou l’ai-je perdu ?

Je me souviens d’une douloureuse séance de lecture à haute voix en classe de CM2. Il y était question de chapeau pointu que je persévérais à prononcer \pwɛty\ bien que l’institutrice s’obstinât en vain à me répéter que je ne disais pas \fwɛ\ mais \fwɛ\ et à me faire rabâcher la phrase.

Je le retrouve, peut-être moins l’accent que le parler avec ses mots, ses expressions et sa syntaxe dont il est généralement indissociable. Ce vocabulaire imagé et affectif aiguillonne les inflexions de la pensée et de la phrase, mêlant des alluvions du Charolais et du Morvan d’où étaient originaires une partie de ma famille à un parler montcellien.

Quand, avec ma mère, nous parlions de son cousin, jamais nous ne le nommions Claude. C’était le Glaude, prononciation rendue célèbre par le film «  La Soupe aux choux  » qui se déroule dans le Bourbonnais, pas si lointain.

Aujourd’hui encore, il m’arrive souvent de dire « être en feuille » pour « être en arrêt maladie », expression d’abord employée par les mineurs mais dont l’usage s’était répandu. Alors, il ne me viendrai jamais sur la langue de dire \fœj\, c’est toujours \føj\ qui germe.

 

De mes études universitaires, je ne me rappelle pas les leçons qui décryptaient les nuances et les glissements de prononciation et de sens de ce parler par rapport au français dit standard. Mais, je me souviens que cet accent, celui qu’enfants nous appelions chapeau et qui justement n’en porte pas, était comme la cicatrice dans l’écriture d’un s qui s’était abîmé en chemin. Je n’aime pas que la réforme de l’orthographe roule la langue en la dépossédant de ses accents et des traces de son histoire. Mais cela n’est sans doute que tempeste dans un verre d’eau.

Il y a également l’accent sur la deuxième partie mon prénom, Noëlle, dont j’ai dû demander à la professeure de dactylo comment le réaliser afin de l’écrire sur la feuille de renseignements. C’était lors de la première leçon que j’aurai assurément oubliée sans cet embarras fondateur.

Je n’abandonnerai pas les accents, ils sont le sel de la langue, ils sont le sel sur ma langue !

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 Texte et Image : Marie-Noëlle Bertrand


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To Do List 43 : nuages sans trucage 

Photo M.Christine Grimard

  • Suivre les nuages jusqu’au pays où l’air est plus léger qu’un vol de mouette
  • Accepter les nuages sur son chemin et apprendre à les trouver beaux 
  • Comprendre qu’un soleil permanent serait source de désertification 
  • Garder la tête sur les épaules même en étant dans les nuages 
  • Compter les nuages plutôt que les moutons pour s’endormir en rêvant de pays où il ne pleut pas 
  • Ajouter un nuage de chantilly sur sa glace aux myrtilles 

Ateliers d’écritures de @fbon été 2017 : Les 18 secondes d’Artaud

Voici mon texte écrit pour le sixième atelier de François Bon pour l’été 2017 , intitulé « les dix-huit secondes d’Artaud, le roman collectif« . Vous trouverez sous le lien les autres contributions.

Photo m Christine grimard

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Seconde 1 : Tombée de la nuit.

Seconde 2 : Sur la route côtière le soleil descend sur l’océan. A l’horizon, la brume de chaleur se dissipe. Deux goélands volent de concert survolant les rochers, à la recherche de leur dîner.

Seconde 3 : Deux files continues de voitures se croisent à petite vitesse. Une moto arrive d’un chemin de terre sur la gauche et s’insère dans la circulation en frôlant le capot d’une petite Citroën blanche. La conductrice freine brutalement surprise et apeurée, laissant une distance respectueuse entre elle et la camionnette qui la précède pour faire place au motard imprudent. Il s’en est fallu d’une seconde pour qu’elle ne l’accroche. Le motard qui ne s’est aperçu de rien, chante à tue-tête sous son casque intégral où la radio lui délivre le dernier tube de métal à la mode.

Seconde 4 : La voiture qui suit la Citroën pile à quelques centimètres de son pare-chocs. Le conducteur était au téléphone avec son épouse qui lui annonçait son intention de le quitter. Il hésite entre reprendre tranquillement sa route et doubler cette voiture en s’écrasant sur la Peugeot qui arrive en face. Il se déporte légèrement vers la bande centrale continue, croise le regard triste de l’adolescent blond assis à la place du mort dans la voiture d’en face, et renonce à son projet malsain. Il réalise la raison du brusque ralentissement de la Citroën en voyant le motard qui la précède faire des embardées. Il la laisse repartir et la suit en roulant très à droite, le front moite et le cœur battant.

Seconde 5 : Le motard fait des embardées pour tenter de doubler la camionnette, mais il n’y a aucune possibilité tant la circulation est dense. Les gens reviennent de la plage tous à la même heure. Tous les soirs, lorsqu’il part pour prendre son service en cuisine, les mêmes embouteillages le retardent.

Seconde 6 : La file de voitures aborde la courbe longeant Le Bois St André, l’ombre des arbres gêne la visibilité, créant des reflets trompeurs dans les pare-brises. Il prend son élan, lance sa moto et passe entre deux voitures, in-extremis, soulagé d’avoir doublé la camionnette. Il se dit qu’il l’a échappé belle, n’ayant aucune visibilité derrière cet engin aux vitres arrière occultées. Il n’a pas de temps à perdre, le chef va encore l’incendier en arrivant pour quelques minutes de retard. Il en a marre de son caractère de chien. La saison prochaine, il se trouvera un autre restaurant.

Seconde 7 : la conductrice de la Citroën blanche est soulagée, au moins ce motard n’est plus devant elle. Elle ne supporte pas ce genre de conduite inconsciente. Ces écervelés, il vaut mieux les avoir loin devant…

Seconde 8 : La camionnette de chantier oblique vers l’entrée d’une propriété jouxtant le bord de mer, et la Citroën se retrouve derrière le motard. La conductrice pousse un soupir et ralentit, laissant une distance certaine entre elle et la moto.

Seconde 9 : Le motard recommence à zigzaguer pour tenter de doubler le monstrueux quatre-quatre BMW qui le précède maintenant. Il se demande ce qu’il a prévu au menu de la soirée. Il déteste ouvrir les huitres, mais son commis est si maladroit qu’il va encore devoir le remplacer pour cette tâche ingrate. Perdu dans ses pensées, il décide de doubler en oubliant que dans la courbe où il se trouve, il n’a aucune visibilité sur ce qui arrive en face.

Seconde 10 : Il se déporte brutalement sur la file de gauche, franchissant la bande continue.

Seconde 11 : Un Berlingot arrive en face, le conducteur surpris donne un coup de volant à droite et freine en bloquant ses roues. Son épouse qui était retournée pour parler aux deux enfants assis sur les sièges arrière, a le cou cisaillé par sa ceinture et s’évanouit de douleur.

Seconde 12 : Le motard, comprenant trop tard qu’il ne passera pas, tente de repasser la ligne médiane en se jetant sur son côté droit. Trop tard, l’impact est inévitable. La moto explose sur le capot de la Berlingot dans un bruit d’enfer, des morceaux de tôles brulants s’envolent sur les bas-côtés cisaillant les pneus des véhicules alentour. Le motard est projeté en avant par-dessus le toit de la Berlingot et retombe lourdement sur la chaussée derrière elle, la tête la première.

Seconde 13 : Le quatre-quatre BMW, malgré le bruit assourdissant de l’impact qui s’est produit à hauteur de sa portière gauche, continue sa route tranquillement. Il accélère et disparaît à la seconde suivante derrière la courbe de la départementale.

Seconde 14 : La conductrice de la Citroën s’arrête, sort de sa voiture les jambes flageolantes, et se précipite vers le jeune motard étendu sur la ligne blanche. Il est conscient, et tente de se relever. Elle arrive à le convaincre de rester tranquille.

Seconde 15 : Les conducteurs des voitures suivantes descendent de leurs véhicules et forment un cercle autour du blessé. Certains appellent les secours, d’autres donnent des conseils.

Seconde 16 : Les badauds commencent à se regrouper sur le bord de la route.

Seconde 17 : Le jeune motard arrache son casque. La conductrice de la Citroën est soulagée qu’il n’ait pas perdu connaissance, il arrive à bouger les bras, mais une de ses jambes est inerte et son pied a pris une position très anormale. Elle n’ose lui dire, mais lui demande s’il a mal. Il répond qu’il a mal au bras et ne sent plus son pied gauche. Elle hoche la tête et tente de le rassurer en lui assurant que les secours sont en route. Ce qui l’inquiète, c’est cette tache de sang qui teinte doucement la jambe de son jean, mais elle le garde pour elle …

Seconde 18 : Elle demande son prénom au jeune motard pour le détourner de sa douleur et l’obliger à rester conscient. Il s’appelle Nicolas et lui demande d’appeler son père. Elle trouve son portable dans la poche de son blouson, trouve « papa » dans le répertoire, compose le numéro et tend le portable au jeune homme. Il a les larmes aux yeux en entendant la voix de son père, elle se dit qu’il a l’âge de son fils. Il la regarde dans les yeux et dit à son père :
— Ne t’inquiète pas, j’ai eu un accident. Je vais bien mais la moto est foutue. Papa, pourquoi j’ai pris ma moto aujourd’hui ? Si tu savais, j’ai eu si peur…
Sa voix se brise et il lui tend le portable, n’ayant plus la force de poursuivre. Elle tente de rassurer l’homme au téléphone, lui indique le lieu de l’accident et raccroche. Elle s’assoit à côté du jeune homme et lui prend la main pour attendre les secours.
— C’était pourtant une belle journée, dit-il. C’est si bête la vie…

Ateliers d’écriture de @fbon de l’été 2017 : 5, fantôme de soi écrivain

 

Photo M Ch. grimard


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Voici mon texte écrit pour le cinquième volet proposé par François Bon pour ces ateliers d’écriture de l’été 2017, portant sur le thème des personnages, il s’agissait de décrire l’écrivain fictif que l’on porte en nous. Ayant cherché en vain celui que j’aurais dû porter en moi,  parti pour d’autres galaxies, j’en ai décrit deux autres qui se portaient l’un-l’autre…

***

Chère mère,

Je vous écris devant le vasistas de la mansarde qui me sert de chambre. Je n’ai que quelques minutes avant le coucher du soleil aussi je vais essayer d’être bref. Je n’ai pas beaucoup de temps libre pour vous expliquer la vie que je mène ici mais il faut que je vous décrive la personnalité de Monsieur P. Vous avez souhaité que j’entre à son service pour l’aider à parachever son œuvre et pour que la vie dans son intimité, complète mon éducation littéraire. Vous serez comblée au centuple par le résultat. Après que j’aie répertorié toute sa bibliothèque, il m’a demandé d’écrire son autobiographie à condition que cela reste entre nous. J’ai accepté de grand cœur l’honneur qu’il me fait d’apposer ainsi sa signature prestigieuse sur un mes écrits, ainsi je serai lu par les centaines de personnes qui l’adulent. Par la suite, il a souhaité que je corrige son dernier ouvrage. Au début je ne faisais qu’améliorer l’orthographe puis j’ai tenté de modifier le texte en raccourcissant certaines de ses phrases interminables. L’une d’entre elles comptait près de trente lignes ! Lorsqu’il a accepté, j’ai compris qu’il m’accordait sa confiance. Je retranscris ici pour vous, la quatrième de couverture que j’ai écrite pour son dernier ouvrage qui paraîtra cet automne, afin que vous me donniez, chère mère, votre sentiment sur mon style avant que je lui soumette.

 

Monsieur P. n’est pas devenu écrivain par hasard mais par vocation. Très jeune, d’une santé fragile, il fut obligé de garder la chambre ce qui lui donna l’occasion de parcourir toute la bibliothèque familiale que son père, professeur de médecine, avait patiemment constituée. Cette fragilité constitutionnelle, alliée aux privations de nourriture durant sa petite enfance durant la guerre où il perdit tous les hommes de sa famille, lui ont conféré une grande sensibilité, celle-là même dont son œuvre est empreinte. Sa mère qui lui était toute dévouée, devenue chef de famille à la disparition de son père, a acquis les Éditions du clair de lune qui ont alors édité ses premières parutions : « Le journal d’un muet en 1912 » dont il sera tiré une pièce de théâtre de mime deux ans plus tard, et « La valse des amputés », ode antimilitariste qui fut considérée par la suite comme un des premiers écrits anarchiques. Sa prédilection allant au théâtre, il écrivit de nombreuses pièces dont certaines furent créées par la grande Sarah Bellenhardt, la plus célèbre étant : Les derniers jours du corbeau blanc. Vous retrouverez la liste complète de ses cinquante parutions en dernière page de ce livre.

Sa réputation de conteur n’est plus à faire et dans l’ouvrage que vous tenez entre les mains, vous retrouverez sa manière inimitable de décrire les péripéties d’une famille de grands bourgeois, milieu qu’il a beaucoup fréquenté, et les méandres que peut prendre la férocité de la nature humaine pour parvenir à ses fins. Cette saga comprendra plusieurs ouvrages mais je ne dévoilerai rien ici qui puisse gâcher au lecteur le plaisir de la découverte des protagonistes de cette œuvre merveilleuse qui comptera, à n’en pas douter, parmi les grands classiques de la littérature de ce siècle.

 

Voici chère mère, ce que je lui proposerai. Il acceptera après l’avoir à peine parcouru, comme à son habitude et me demandera de porter le manuscrit à son éditeur dans la foulée. Il me considère désormais comme un fils spirituel. J’espère être digne de cette confiance, vous me connaissez et savez à quel point je peux être dévoué lorsqu’on me prend par les sentiments. Je crois que dans quelques semaines, j’aurai l’audace de lui montrer mes écrits de fiction, en commençant par ma « Recherche du passé retrouvé ». Qu’en dites-vous chère maman, ai-je raison ou se moquera-t-il de moi ? Répondez-moi sans ambages, vous savez à quel point ce texte me tient à cœur.

J’espère que ma missive vous trouvera dans une belle forme, chère mère. Je vous tiendrai informée des dernières nouvelles de ces parutions et de ma vie passionnante avec notre grand écrivain tant admiré.

Je vous embrasse ma chère mère autant que je pense à vous.

 

                                                                                                          Votre fils aimé, Swann

 

 

Texte Marie-Christine Grimard (https://mariechristinegrimard.wordpress.com)

Photo du jour : Pluie de rentrée 

« La cachette fut terminée aux premières heures de l’aube. C’était une aube mauvaise de septembre, mouillée de pluie : les pains flottaient dans le brouillard, le regard n’arrivait pas jusqu’au ciel. »Education europeenne – Romain Gary

Photo m.christine Grimard

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Il est Temps de rentrer 

Entre soirée et matinée 

L’air a chuté de vingt degrés 

Chacun dans sa case est rentré 

Des escargots aux araignées 

L’été brûlant est achevé  

Autant reprendre et s’adapter 

Au spleen, au frais et aux corvées 

Au sombre, au gris et au mouillé

En septembre on est entré 

Contre l’été on a troqué 

Un vrai Temps de rentrée