La Porte (Partie 9)

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Photo M. Christine Grimard

Quelques centaines de mètres séparaient le Chaix, du parc du Château, que nous rejoignîmes à pied, dans la fraîcheur du soleil de cette fin d’automne. Quelques pigeons tentaient de réchauffer leurs ailes, tous alignés sur les toits vermoulus, du côté Sud.

Nous nous rendions dans la salle à manger voûtée, pour le déjeuner, les gens échangeant entre eux leurs impressions sur la dégustation du matin. Même les œnologues amateurs avaient appris quelque chose de nouveau au contact de notre guide, et chacun se réjouissait de la matinée qu’il avait passée, loin de la routine du bureau. Le groupe reprit, le long corridor souterrain qui conduisait à l’ancien cellier devenu salle de restaurant.

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Photo M. Christine Grimard

A l’entrée, je remarquai un trophée impressionnant, une tête de cerf, qui rappelait les chasses d’autrefois. Voyant que je m’arrêtais pour l’admirer, la gouvernante s’approcha de moi en souriant et dit :

–          Vous semblez intéressée par le décor historique du château, je pourrais vous indiquer quelques ouvrages où ce lieu est cité, notamment dans l’histoire des moines cisterciens, et de la construction du Clos Vougeot, mais aussi à différentes époques, et ce jusqu’à la révolution française, où il tomba dans l’oubli, pendant quelques décennies.

–          Volontiers ! Je vous remercie, effectivement, ce lieu me fascine, et j’aimerais beaucoup en savoir un peu plus; notamment, à propos du travail de sa construction qui correspond aux débuts du vignoble. Mais j’avoue que ce qui m’intéresse surtout, c’est de suivre les traces des personnes qui ont vécu à ces époques, comme on suivrait le sillage d’une étoile filante, sans jamais pouvoir la rattraper. Vous voyez ?

–          Je vois très bien, en effet ! Je trouve aussi ce lieu fascinant, et je suis ravie d’y travailler. Vous savez que la tête de cerf est l’emblème du premier Abbé, vous pouvez la retrouver dans la décoration de certaines chambres.

–          Effectivement, j’avais compris cela, dans ma chambre une fresque représentant une ribambelle des têtes de cerf avec une croix entre les cornes, souligne le plafond à la française.

–          Ah je vois que vous avez la chambre 18, c’est vrai, cette fresque est très belle. Cette chambre est marquée par la présence de l’Abbé lui-même, puisque l’on pense que c’était sa propre chambre, sans certitude cependant. Cette hypothèse vient de cette décoration, justement, que l’on a retrouvée en restaurant le bâtiment. Aucune autre chambre ne porte ses armoiries. Chaque chambre étant différente, l’ambiance n’y est jamais identique, mais celle-ci est spéciale, du fait de ses peintures remarquables. Je suis contente que vous les ayez appréciées.

–          Plus que vous ne le croyez, répondis-je, avec une moue.

Elle me regarda en coin, en s’interrogeant sur le véritable sens de mes paroles ; je m’empressais de la rassurer.

–          Ne vous méprenez pas ; j’ai vraiment apprécié ce séjour et cette chambre, d’autant plus que j’aime dessiner et que j’ai passé de longues minutes à admirer le plafond et la décoration des murs.

Elle parut soulagée soudain, et n’ajouta rien, en se plongeant dans la contemplation de ses chaussures… Sentant sa gêne, je décidai d’insister :

–          Cependant, il y a bien quelque chose qui m’a surprise…

Elle releva brusquement la tête, un peu d’inquiétude brillant dans son regard. Elle fronça les sourcils.

–          Qu’est-ce que c’était ? Un détail vous a déplu ?

–          Oh non, rien n’aurait pu me déplaire dans cet endroit si extraordinaire, et je mesure pleinement la chance que j’ai eu de dormir dans la chambre de l’Abbé. Cependant, je me suis demandée pourquoi, il y avait une porte de bois de chaque côté de la fenêtre. Vous pouvez peut-être me l’expliquer. L’une d’elles dissimule un placard avec une télévision, mais l’autre protège un miroir qui semble intégré au mur, et je me demandais s’il y avait un passage à cet endroit auparavant.

–          Je le suis posé la même question que vous, en arrivant ici. Le château est très complexe avec de nombreux niveaux, passages divers qui ont été construits au fil des siècles. Il semble que cette porte ne mène nulle part, et j’ai fini par croire qu’elle n’avait qu’un usage décoratif. Cependant, certaines parties du château semblent encore inexplorées. Précisément, derrière cette chambre il y a une tour où nous n’avons trouvé qu’un passage menant à une chambre au dernier étage. Il y a forcément d’autres pièces aux étages inférieurs mais il n’y a aucun moyen d’y accéder, pour ce que j’en sais. Nous n’avons jamais retrouvé de plans, aussi nous en sommes réduits aux hypothèses, et nous faisons rarement des travaux, compte tenu du classement de la maison en « Monument historique ».

–          La maison garde son mystère, et c’est sans doute mieux ainsi, répondis-je avec un sourire. Mais dans ce genre de bâtiments aux murs très épais, il y a forcément des passages oubliés et des chambres secrètes. Il nous reste à imaginer, et c’est encore plus palpitant !

–          Oui, vous avez raison, mais je ne veux pas vous retenir plus longtemps. Le déjeuner vous attend, tous vos amis sont déjà partis. Je vous souhaite un agréable repas, et si l’histoire du château vous intéresse, demandez-moi les références des ouvrages historiques de la région, je vous les donnerai avant votre départ.

–          Merci beaucoup, je n’y manquerai pas !

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Je la saluai d’un sourire, et m’empressai de rejoindre mes collègues à la salle à manger, en passant par le corridor souterrain, où je ressentis de nouveau le courant d’air glacial qui m’avait effrayé le premier soir. Je pris le temps de m’arrêter au milieu du passage et eut nettement l’impression de le souffle d’air qui me traversa, s’arrêta en même temps que moi, puis fit demi-tour et m’entoura de toute part, de ces bras glacés. J’étais seule, et je sentis ses doigts froids qui se posaient sur ma bouche, comme pour tenter de m’étouffer. Curieusement, je n’avais plus peur, je repris mon souffle en inspirant à fond par le nez, puis je m’entendis prononcer distinctement mais à voix basse:

–          Je n’ai plus peur de toi. Tu es coincé ici par ta propre noirceur, et tu y resteras à jamais, puisque tu ne veux pas changer. Tu n’as aucune prise sur moi. Je suis ici et maintenant, dans une autre dimension que la tienne. Je ne crois qu’à l’Amour et la force de ta Haine ne pourra plus jamais m’atteindre.

Immédiatement, le souffle disparut, ce qui m’impressionna plus encore que sa présence elle-même. Ces paroles que j’avais prononcées sans les penser vraiment,  je me demandais si elles étaient vraiment de moi.

Je me sentais très mal dans cet endroit, il fallait que je m’en échappe ! Je courus vers la sortie et dévalais les deux marches vers la salle du restaurant presque en courant, ce qui me valut un nouveau regard amusé de tous mes collègues.

Le repas fut d’un raffinement exceptionnel, ce qui me fit oublier la désagréable rencontre du corridor.

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Photo M. Christine Grimard

Mais, au moment du café, une phrase de mon amie, me la remémora brutalement :

–          Leur cuisine est extraordinaire, mais ils pourraient revoir leur chauffage. Ces vieux murs sont impossibles à chauffer, et tout particulièrement ce couloir souterrain. Tout à l’heure, j’ai eu l’impression de traverser une grotte de glace.

–          Tu as senti ce courant d’air glacial, toi aussi ?

–          Oui, et tous les autres également ! me répondit-elle. J’ai demandé au serveur pourquoi il faisait aussi froid à cet endroit. Il m’a répondu qu’autrefois, il y avait la glaciaire du château sous ce passage, une sorte de citerne souterraine où l’on conservait la neige recueillie au cours de l’hiver, pour la conservation de certaines denrées. Et ce qu’il m’a raconté ensuite m’a fait dresser les cheveux sur la tête.

Elle s’approcha tout près de mon visage pour continuer sur le ton du secret.

–          Figure-toi que le premier Abbé a trouvé la mort dans cette glacière justement. Il ne savait pas dans quelles circonstances exactes, mais il semble qu’il soit tombé dans cette cave et qu’il y soit mort de froid. Par la suite le souterrain aurait été muré…

–          Ce lieu est plein de mystères et de surprises, et plus encore que tu ne crois. Tu te moques toujours de moi et de mes « élucubrations » mais je suis sûre que l’histoire des hommes qui y ont vécu, imprègne les murs de ce genre de demeure. Le temps est un canevas, dont la trame est complexe. Il me semble que l’on pourrait sauter facilement d’une strate à l’autre, pour un peu que l’on prête un peu attention aux traces qu’ils ont laissées.

–          – Oui, enfin, je n’ai pas envie de te suivre sur cette pente descendante. Je te connais, tu vas encore partir dans une histoire à dormir debout. Je suis une fille de mon temps, ma chère, et je te rappelle que nous devons libérer les chambres et récupérer le vin que nous avons commandé ce matin, avant de partir. Nous n’avons plus le temps de nous attarder dans les couloirs du temps. Aller, on y va ! dit-elle en se levant de table.

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Je n’insistai pas, et me levai à mon tour. Cependant, avant de la suivre, je me tournai vers la tapisserie murale, pour l’admirer une dernière fois. Elle était décidément magnifique, encore plus belle depuis que j’avais vu les mains qui l’avaient façonnée. Je m’approchai pour en comprendre tous les détails, maintenant que son histoire m’était plus familière. A gauche, sur un siège de bois, était assis Jehan de Grigny, vêtu de noir, aussi sombre que son regard dur qui semblait me fixer. Au centre, Blanche, se tenait debout, telle une apparition lumineuse, ses longs cheveux retenus en tresse sur le côté de son visage, une main tendue en offrande devant elle, son beau regard empreint de douceur, l’autre main désignant vers la droite, quelques rangs de vigne en fleur, la scène devant représenter le printemps. Cependant, en suivant des yeux, son doigt tendu, je découvris un tout petit garçon, dissimulé derrière les rangs de vigne, que je n’avais pas remarqué la veille.

La surprise me fit sursauter, et je regardais Blanche, en hochant la tête, comme pour lui indiquer qu’elle m’avait bien eue, tout en réalisant l’incongruité de mon attitude. Voilà que je me mettais à parler à une tapisserie du quinzième siècle, maintenant ! Mais ma surprise fut plus grande encore, lorsque je vis Blanche, accentuer sensiblement son sourire en me regardant dans les yeux. Je lui rendis son sourire, et lui fis un signe de la main avant de quitter le restaurant, en évitant soigneusement de croiser le regard du serveur qui débarrassait les tables, qui avait remarqué mon manège et me regardait fixement, immobile, une assiette dans chaque main.

Décidément, il fallait que je quitte ce château au plus vite, si je tenais à éviter l’hôpital psychiatrique.

A suivre …

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Photo M. Christine Grimard

La Porte (Partie 8)

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Photo M. Christine Grimard

Je retrouvais mes collègues dans le hall d’entrée, où le guide nous expliqua qu’un vigneron allait nous ouvrir sa cave, et nous faire déguster dix de ses crus. Nous n’avions que quelques centaines de mètres à parcourir pour rejoindre cette cave, ce qui nous permis d’admirer le parc du Château illuminé de la lumière dorée de ce matin d’hiver, parsemé de mille scintillements de rosée glacée. Nous avancions en silence, chacun étant impressionné par la beauté du site.

Le vigneron nous accueillit chaleureusement. Il avait préparé la dégustation dans les règles de l’art, accompagnant ses crus de quelques spécialités régionales consistantes, qui nous permettraient d’atténuer les effets de l’alcool. Il nous fit visiter son chaix, et nous livra sa passion pour soigner les vignes, récolter la vendange, élever le vin et le faire apprécier des amateurs, en conservant le meilleur des méthodes traditionnelles de culture, en modernisant les techniques sans dénaturer le travail ancestral. Une pièce attenante était remplie de pièces, ces tonneaux bourguignons, ou fûts de chêne ventrus, empilés, telle une assemblée d’ancêtres, et dans une autre cave, des cuves en béton et d’autres en inox étaient alignées, modernes sentinelles en armures brillantes. Il nous montra une grande table entourée de bancs, et nous demanda de nous installer pour la dégustation.

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Puis la ronde des saveurs commença. Moi, qui n’avais rien appris sur le vin, je me surpris peu à peu à détailler les différentes notes, fruitées, boisées, corsées, subtiles détails qui se révélaient derrières les goûts primaires de chaque cru. Les couleurs des robes aussi, se déclinaient du brun au rouge sang, du mordoré au pourpre. En fonction des années de récolte, des caprices du temps, de l’ensoleillement ou de l’exposition de la parcelle, de l’hygrométrie, de l’exposition au vent, de la profondeur du sol, on obtenait une saveur différente, un nuancier incroyable, une partition étonnante. Jamais je n’aurais pu imaginer toutes ces nuances que la nature avait sculptées, au fil des années.

Entendre l’homme de l’Art, nous narrer sa vigne fut une expérience magnifique. Notre guide reprit en parallèle, l’histoire de ce terroir, nous situant chaque cru, selon son appellation, dans chaque parcelle correspondante, parmi celles que nous avions parcourues la veille. Ainsi, les différentes saveurs s’enracinaient dans leur terroir et prenaient corps dans notre mémoire et dans notre imaginaire en même temps.

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Je me remémorais la beauté des ceps dénudés, et des quelques grappes qui restaient sur les sarments après la vendange, pâles reflets de la splendeur de la récolte. L’image des vignes sagement alignées dans leurs clos depuis des siècles, qui étiraient leurs vrilles au soleil bourguignon, et puisaient leur sève dans les sols rocailleux ou bruns d’humus, me revenait en mémoire. J’avais été surprise de la variété de nuances de couleurs du sol, et je comprenais maintenant ces différences en détaillant les saveurs, comme on admire la palette d’un peintre.

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Photo M. Christine Grimard

Les mots dansaient habillés de toutes les variantes du rouge, déclinés du plus prestigieux au plus simple : Romanée-Conti, Grand cru, Grand Echezeaux, Gevrey-Chambertin 1er cru Lavaux-St-Jacques, Chambolle-Musigny 1er Cru… Tout un poème à ciel ouvert.

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Photo M. Christine Grimard

Etaient-ce les vapeurs d’alcool qui commençaient à me brouiller l’esprit, bien que je prenne soin de ne pas boire chacun des crus proposés ? Très rapidement, je m’imaginais, la multitude d’hommes qui avaient travaillé cette terre depuis les premiers moines cisterciens, au début de l’exploitation de la vigne en Bourgogne. Le travail des générations successives avaient façonné ce terroir, pour en faire une mine d’or, mais en dehors de la richesse produite, c’était bien l’amour du travail bien fait et la passion de la Vigne qui les portait. Je les voyais presque, toutes ces générations de vignerons, alignées devant ces cuves, et qui attendaient la fermentation de leurs précieuses grappes. Ou peut-être étaient-ils encore dans leurs vignes, au petit matin, sous la forme des volutes de brumes qui s’élevaient au pied des sarments, pour surveiller que le gel ne s’attaque pas aux précieux plants de pinot noir.

Décidément, j’avais trop d’imagination.

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Photo M. Christine Grimard

Mais la réalité dépassant souvent la fiction, le glorieux et tortueux passé nourrissait le présent et allait bientôt sortir de l’ombre.

Notre guide nous donnait quelques précisions sur les débuts prometteurs du Clos Vougeot, lorsqu’il prononça une phrase qui attira mon attention.

–          Une autre parcelle est remarquable, même si elle ne se situe pas dans le Clos lui-même. Certains ont dit qu’elle en faisait partie autrefois, et qu’elle en a été exclue, lorsque le mur d’enceinte a été finalement construit. Elle forme une excroissance séparée, mais le vin qu’elle produit est extraordinaire, probablement en raison de son ensoleillement exceptionnel, et de sa forme en cuvette, et son exposition plein sud. Elle a un nom très particulier sans que l’on n’en connaisse l’origine : C’est le « Clos du Bâtard ». Le vin produit est capiteux, de couleur très foncée. Les grappes très sucrées naturellement, produisent un degré d’alcool élevé, et la teneur en tanin est remarquablement forte. On dit que le Pape de l’époque se réservait la première cuvée pour son usage personnel, ce qui fit la réputation de cette vigne. Récemment, notre ami vigneron a racheté cette parcelle très convoitée, en s’associant à cinq de ses collègues, en l’arrachant de main de maître à un négociant chinois qui voulait l’acquérir. Aux enchères, le prix a atteint des sommets que je ne dévoilerai pas ici, mais le vin produit sur cette parcelle sera à la hauteur de ses espérances.

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Photo M. Christine Grimard

Le vigneron se tenait un peu en retrait, écoutant notre guide nous détailler sa passion pour  le travail du vin, avec un sourire. Et quand il nous parla de cette nouvelle acquisition, son regard s’éclaira d’une passion semblable. Il prit la parole

–          Cette cuvée sera très particulière, donnant un vin plus léger que les autres parcelles, un vin qui plait plus aux dames qu’aux messieurs. Un lointain propriétaire l’avait dédié au premier Abbé du Clos, Jehan de Grigny, dont vous avez sans doute entendu parler, et intitulée « Grand cru de l’Abbé Jehan », mais je crois que c’est une erreur. Avec cette présentation et ce nom, ce cru n’a pas le succès qu’il mérite. Il me semble que ce vin est féminin, et je souhaite en changer l’appellation, ce qui est très compliqué, avec toutes les autorisations administratives que cela implique. J’ai lancé la procédure, et je ne suis pas sûr qu’elle aboutisse. Mais j’espère y arriver.

Sa voix prenait des intonations passionnées, et on voyait dans ses yeux que ce combat était important pour lui. Je mesurais là, de nouveau, la passion qu’il y a avait derrière ce travail ancestral. Il nous regarda, puis poursuivit :

–          Je sais que votre groupe appartient à une société de marketing, et j’aimerais avoir votre avis. Vous avez goûté les différentes récoltes et mesuré les différentes nuances de cette palette. Je vais vous montrer une bouteille de la précédente récolte de cette parcelle du Bâtard, avec son étiquette d’origine, et je vais vous faire goûter ce vin. J’aimerais que vous me donniez votre sentiment sur cet assemblage, objectivement.

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Photo M. Christine Grimard

Il versa quelques gouttes du précieux nectar au fond de chacun de nos verres, et observa avec curiosité l’effet produit. La couleur était inhabituelle, entre pourpre et marron, mais avec des reflets rouges comme si des gouttes de sang y flottaient en suspension. C’était déjà un plaisir de le faire tournoyer doucement dans la paume de la main en observant à contre-jour la danse de la lumière à travers sa robe foncée.

Le goût sortait de l’ordinaire effectivement, légèrement plus sucré que les crus que nous avions dégustés auparavant, laissant une empreinte fleurie sur les papilles, comme un parfum de jasmin. Une note féminine, charmeuse, dont je reconnus la fragrance. Elle m’évoqua immédiatement celle d’une jeune femme vêtue d’une robe de bure, aux lèvres rouges sang, très belle, fine et élancée, aux longs cheveux châtain clair entourant un visage triangulaire, et aux grands yeux bleus très clairs presque gris. Son image s’imposa dans mon esprit dès que ce vin coula dans ma gorge. Ce vin était le sien, son sang y coulait, que son fils avait élevé et que les générations suivantes avaient bonifié. Bien sûr, tout ceci n’était qu’une sensation floue, venue de l’ombre du passé, sans aucun support œnologique, et n’ayant aucun rapport avec cette science. Chacun donnait son avis, et je n’osais pas donner le mien, cependant, le silence étant revenu, je lançais un timide :

–          Il est évident que ce vin possède une fragrance féminine, et qu’il faut lui rendre son identité, en commençant par changer son nom. Il est beaucoup trop fin et subtil pour porter le nom de cet Abbé au regard dur. J’imaginerais plutôt une appellation plus légère, plus douce…

Le vigneron sourit, heureux du résultat produit par son cru sortant de l’ordinaire. Il acquiesça :

–          Je savais que ce vin plaisait aux dames. Mais de là à lui donner un nom féminin, j’avoue ne pas y avoir songé. Les cuvées portent le nom de leurs parcelles d’origine, ce sont plutôt des indications géographiques, ou parfois elles reprennent le nom de certains villages ou de certaines familles. Quel nom lui auriez-vous donné ?

–          Le nom qui s’impose à moi est « Grand cru Blanche de Grigny » mais je ne sais d’où me vient cette idée, répondis-je en rougissant. Ce gout est charmeur, léger et tout en finesse, élégant et velouté.

Le vigneron me regarda, un peu étonné. Il ne répondit rien, mais il me fixa pendant plusieurs secondes, en silence. Il me sembla que mes paroles avaient eu une résonance particulière pour lui. Plusieurs de mes collègues approuvèrent, d’autres donnèrent d’autres suggestions, d’autres prénoms féminins. La discussion s’animait, encouragée par les vapeurs d’alcool.

Je m’approchai de la bouteille pour examiner l’étiquette. Elle reprenait les armoiries de Jehan  de Grigny, représentant une tête de cerf stylisée avec une croix entre les bois, au-dessus du nom du cru, et d’un médaillon où le profil dur de cet homme était reproduit. Je reconnus immédiatement le dessin orangé qui ornait le plafond peint de ma chambre. Ces couleurs voyantes ne correspondaient pas du tout à la finesse de ce cru, et l’air rébarbatif de l’homme ne donnait pas envie de goûter ce vin. Je me tournai vers le vigneron et lui fis cette remarque.

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–          Que suggéreriez-vous pour l’étiquette alors ? me dit-il amusé.

Le dessin étant un de mes loisirs favoris, j’avais toujours dans mon sac un carnet de croquis et quelques fusains. Je le sortis et lui dis :

–          Donnez-moi quelques minutes, et je vous fais une ébauche.

–          Avec plaisir, répondit-il. Il me semble que vous avez bien senti l’esprit de ce cru, et je suis curieux de voir ce qu’il vous a inspiré.

Ma collègue qui s’était approché de notre groupe, renchérit :

–          Oui, elle est très forte pour « sentir les choses », effectivement, ce qui lui vaut parfois quelques moqueries de notre part. Mais, ses dessins sont des merveilles, et elle va vous pondre un petit chef d’œuvre en moins de temps qu’il ne vous faut pour vider une bouteille. Faites-lui confiance !

Elle partit d’un grand éclat de rire, et s’empara d’une gougère qu’elle mordit à belles dents tout en sirotant la fin de son verre.

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Photo M. Christine Grimard

Ses mots me firent rougir, et je me détournai pour cacher mon trouble. Peu m’importaient les éventuelles moqueries, je sentais qu’il fallait que je fasse cette ébauche, et que le visage de cette jeune femme reprenne vie sous mes fusains. Je laissai courir mes doigts sur le vélin, et quelques minutes plus tard, le contour du beau visage de mon amie d’un soir m’apparut, dans toute sa douceur. J’eus la sensation de n’être que le transmetteur, et que le fusain glissait sur le papier sans que n’y fusse pour rien, et je laissai ma main suivre son instinct. Je finis par son regard, qui parût tellement vivant lorsque j’ajoutai une touche de craie blanche, que j’eus la sensation qu’elle allait me parler. Ses longs cheveux balayaient le contour de son visage triangulaire, et sa bouche fine souriait imperceptiblement. Ses yeux, que je savais gris clairs, même si le fusain n’en rendait pas la couleur véritable, étaient très expressifs, presque vivants, et son regard d’une douceur incroyable, répandait une aura de paix et d’amour. J’ajoutais dans chaque coin du portrait, une grappe de raisin, et une feuille de vigne, pour tenter de compléter l’illustration de l’étiquette.

Je regardais le portrait sorti de ce fusain, en me demandant quelle force avait commandé ma main, pour poser sur cette feuille de vélin blanche, l’image exacte de la jeune femme du 15° siècle qui avait traversé ma nuit. Elle me souriait, visiblement heureuse que son image ressurgisse du passé, pour illustrer le vin issu de la parcelle dont avait hérité son fils, et qui avait acquis ses lettres de noblesse avec le temps et le travail des hommes.

Encouragée par ce sourire, je tendis mon carnet au vigneron, en lui disant :

–          Voilà, ce n’est qu’une ébauche, mais voici le portrait que m’a inspiré la saveur de votre vin féminin. Cette jeune femme, s’appelle Blanche, il me semble, et je crois que votre vin a la couleur de son sourire. Ne me demandez pas pourquoi, c’est juste une impression, et je m’exprime mieux en dessin qu’en paroles. Faites-en ce que vous voudrez …

Il resta immobile une longue minute, contemplant ce visage, pâlit sous son hâle, et tendis le carnet à notre guide, qui le regarda fixement à son tour. Enfin, ils retrouvèrent l’usage de la parole, et il me dit :

–          En effet, votre collègue avait raison ! C’est bien un petit chef-d’œuvre. Cette femme est fascinante, et je crois qu’elle illustre parfaitement  l’esprit de ce grand cru, à la fois charmeur et capiteux, doux et corsé, tendre et plein de ressources. Comment faites-vous pour rendre aussi bien, l’expression d’un regard ? C’est incroyable !

–          N’en faites pas trop ! répondis-je en riant. Mais je suis contente qu’il vous plaise, peut-être allez-vous l’utiliser ?

–          Bien sûr, si mes associés sont d’accord. Je vais faire une photocopie de votre dessin et leur montrer dès demain, et si tout va bien la prochaine cuvée sortira sous cette appellation de « Cuvée Blanche » ou « Grand cru Blanche de Grigny » si elle est acceptée. J’ai l’intuition que cette nouvelle présentation devrait rendre à cette production toute l’attention qu’elle mérite et qu’elle avait perdue depuis des lustres.

Il s’éloigna pour faire cette copie, puis me rendit mon carnet, et rejoignit son comptoir pour prendre les commandes de ceux qui souhaitaient repartir avec quelques bouteilles de grands crus. Je le rangeai avec mes fusains, satisfaite du tour que prenaient les évènements. Ma collègue me glissa à l’oreille :

–          Tu vois bien que tu as un talent particulier pour sentir les choses et les faire ressortir en pleine lumière. Heureusement qu’il y a des gens comme toi, sinon la vie serait bien terne par moment ! Viens, on va se commander une bonne bouteille qu’on ouvrira pour Noël, ça égayera un peu la cérémonie de vœux au bureau !

Elle rit, en s’éloignant vers le comptoir. Je la suivis en souriant, décidément, elle avait toujours les mots qu’il fallait pour me recadrer vers la réalité. Le vigneron nota notre commande, qu’il préparerait, et nous apporterait au château avant notre départ. En me tendant ma facture, il me regarda avec reconnaissance et dit :

–          Peu de gens comprennent les particularités de notre terroir en si peu de temps, et surtout il y en a encore moins qui sentent aussi bien que vous l’avez fait, la passion qu’il y a derrière cette vitrine commerciale. Je ne sais pas comment vous avez fait pour capter aussi rapidement l’âme de ce cru, et la restituer aussi bien, mais je vous en suis très reconnaissant. Je ne sais pas s’il aura le succès qu’il mérite, mais ce que je sais, c’est que les choses sont à leur place, maintenant. Je vous en remercie de tout cœur, et un cœur de Bourguignon, c’est gros comme ça, dit-il en me posant sa grande main sur sa poitrine.

Je balbutiais quelques mots de remerciements à mon tour, puis nous reprîmes le chemin du Château pour le dernier déjeuner avant le retour vers notre vie normale, plus tard dans l’après-midi. Je sentais déjà que j’en repartirai avec les regrets de laisser ce lieu extraordinaire, pour retrouver la banalité du quotidien. En quelques heures seulement, tant d’évènements s’étaient déroulés, qu’il me faudrait sûrement plusieurs jours pour en faire le point exact, à mon retour. Dans l’immédiat, il me restait quelques heures à vivre ici, et je comptais bien en savourer chaque minute. Reverrai-je ma jeune amie avant de partir ? Je ne savais pas trop si je le souhaitais ou si je le redoutais, et je me posais cette question lorsqu’on nous demanda de rejoindre la salle à manger.

L’avenir me répondrait bientôt, probablement plus tôt que je le pensais.

A suivre…

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Photo M. Christine Grimard

La Porte (Partie 7)

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Photo M. Christine Grimard

Quelques heures plus tard, je m’éveillais avec la sensation que l’on tambourinait dans mon cerveau. Il me fallut quelques secondes pour réaliser où je me trouvais, et que les coups en question provenaient de la porte d’entrée de la chambre, et dix secondes de plus pour retrouver les esprits et me lever pour aller ouvrir à la femme de chambre qui m’apportait le petit déjeuner.

Elle me souriait au-dessus de son plateau chargé de viennoiseries « maison » et d’un assortiment de confitures à l’ancienne, et me demanda si j’avais bien dormi. Sa question me remémora brusquement les évènements de la nuit et son sourire s’éteignit devant ma pâleur subite. Elle s’enquit un peu inquiète :

– Vous semblez épuisée ce matin, le lit n’était pas à votre goût, auriez-vous mal dormi ? Voulez-vous que j’appelle un médecin ?

J’hésitais entre deux attitudes, en apprendre un peu plus en lui parlant de mes aventures nocturnes, ou me taire et rester sur mes interrogations. Après tout, ceci n’était probablement qu’un rêve. On m’avait toujours dit que j’avais trop d’imagination, et le vin blanc du soir avait dû faire le reste. J’optais pour le silence, et lui répondis :

– Non, je vous remercie, le lit était parfait, et le magnifique plateau que vous m’apportez finira de me réveiller. Je serais très difficile si je me plaignais de quoi que ce soit, dans un lieu aussi merveilleux, où les fresques du plafond n’ont d’égal que cette aube qui flamboie derrière les carreaux.

J’accompagnai ma réponse d’un sourire, en lui montrant la croisée illuminée, mais elle ne fut pas dupe, et remarqua mes mains qui tremblaient.

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Photo M. Christine Grimard

– Vous avez raison, ce lieu est vraiment somptueux, et j’ai beau travailler ici depuis deux saisons, je ne m’habitue pas à autant de beauté, les aubes et les crépuscules sont remarquables ici. J’ai rarement l’occasion d’échanger ainsi avec les clients de l’hôtel, mais je suis heureuse que vous soyez sensible comme moi, à ce lieu.

– Oui, je crois que nous ressentons la même chose, en effet, poursuivis-je, encouragée par ses paroles. Il me semble que ce lieu soit chargé des souvenirs des gens qui ont vécu dans ces murs depuis plusieurs siècles. Cette chambre aussi, me semble avoir une aura particulière, auriez-vous des détails sur l’histoire de cet endroit ?

– Je ne sais pas grand-chose, il y a quelques ouvrages dans la bibliothèque du salon de réception, mais je n’ai jamais eu l’occasion de les lire depuis mon arrivée. Vous devriez poser des questions à la gouvernante, je crois qu’elle est passionnée d’histoire. Mais vous avez raison, cette chambre semble un peu particulière, j’ai remarqué une ou deux anomalies dans cette pièce, dont je n’ai jamais parlé à personne, et que je n’arrive pas à expliquer.

Elle sembla soulagée de pouvoir m’en parler, aussi je l’encourageai à poursuivre.

– De quelles anomalies parlez-vous ?

– Je ne sais pas trop si j’ai bien vu, ou si mon imagination m’a joué des tours…

Elle s’interrompit, et regarda le sol, dubitative. Pour l’encourager, je me lançai :

– Vous savez, je crois que j’ai vu aussi certaines choses cette nuit, mais je ne sais pas si j’étais éveillée ou si je rêvais, alors j’aimerais que vous me racontiez vos « anomalies » pour comprendre si elles ont un lien avec les miennes ! Mais si vous ne le souhaitez pas, je n’insisterais pas. J’ai l’habitude que l’on me prenne pour une illuminée, parce que je sens souvent certaines choses qui passent inaperçues pour la plupart des individus. Simplement, j’aime bien aller au bout du chemin et essayer de les comprendre. Ce lieu est tellement riche que j’avoue que je m’y perds totalement.

– Je ne comprends pas vraiment de quoi vous me parlez, mais je vais vous expliquer ce que j’ai vu ici. Je ne sais pas si cela aura un rapport avec ce que vous avez ressenti. Je suis chargée de m’occuper des cinq chambres de cette aile de bâtiment. Plusieurs fois, j’ai entendu du bruit dans cette chambre, alors qu’il n’y avait personne, notamment le bruit d’un volet qui claque alors qu’il n’y a pas de volet extérieur, comme vous pouvez le voir. Des objets ont changé de place, alors qu’aucun de mes collègues n’était entré dans la chambre après moi, et cette porte en bois est continuellement ouverte, alors que je passe mon temps à la refermer, que je bloque le loquet ou non n’y change rien.

En disant ces mots, elle désignait du doigt la porte que j’avais empruntée dans la nuit. Je sautais sur l’occasion pour l’ouvrir et lui montrer le miroir, en lui demandant :

– Ce miroir cache-t-il quelque chose ? J’ai cru entendre du bruit derrière.

– Oh non, je ne crois pas, dit-elle. Il n’y a rien derrière, seulement un mur très épais. En fait, se reprit-elle, je n’ai jamais regardé derrière jusqu’ici.

Joignant le geste à la parole, elle s’approcha du miroir et tenta de le décrocher. Mais elle n’y parvint pas, comme s’il était soudé au mur. Elle me demanda de l’aider, mais malgré cela, rien n’y fit, il ne bougea pas d’un pouce.

– Il semble faire partie intégrante du mur, il doit être très ancien. Cette porte de bois est là pour le protéger probablement. Ce que je ne comprends pas, c’est comment, elle s’ouvre sans arrêt alors que j’accroche toujours le loquet.

Je préférais ne pas lui raconter comment cette porte s’était ouverte brusquement cette nuit, et ce que j’avais découvert derrière ce mystérieux miroir. Le fait que nous ne soyons pas parvenues à le déplacer, me faisait douter de ce que j’avais vu, et je commençais à croire que j’avais peut-être rêvé toute cette histoire.

Je refermai la porte de bois et accrochait le loquet de fonte. Il était un peu rouillé et il fallait forcer pour faire coulisser la pièce métallique jusqu’au bout. Je me tournai vers la jeune femme qui hochait la tête :

– Là il semble bien accroché, on verra s’il bouge de nouveau. J’ai eu du mal à le fermer tant il paraît rouillé.

– Oui, c’est ce que je me suis dit aussi, plusieurs fois déjà, répondit-elle en me regardant en coin.

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Photo M. Christine Grimard

Nous fixions toutes les deux le loquet en fonte, lorsque nous le vîmes glisser imperceptiblement, très doucement vers la droite. Un instant plus tard, il était entièrement libéré et la porte commença à s’ouvrir en silence, comme si un souffle de vent la poussait de l’intérieur. J’avalai ma salive péniblement, et jetai un coup d’œil à ma compagne qui était blanche comme un linge. Je posai la main sur son épaule et la sentant trembler, je lui dis en me forçant à sourire:

– Vous avez raison, il se passe ici des choses difficiles à expliquer. Il me semble que le passé souhaite sortir de l’ombre, et qu’il nous le montre avec insistance. Il faudrait peut-être qu’on finisse par le laisser parler. Pour ma part, j’ai bien l’intention d’essayer de l’entendre, et j’avoue que tout ceci m’intrigue de plus en plus. Je vous remercie d’avoir partagé vos doutes avec moi. J’ai l’impression d’être moins seule sur mon nuage, et d’être moins folle surtout.

– Tout ceci ne vous effraye pas ? me demanda-t-elle en me regardant dans les yeux.

– Non, plus maintenant. Effectivement, cela m’a d’abord inquiétée lorsqu’il m’a semblé que mon quotidien dérapait vers un monde parallèle, mais plus cette histoire avance, et plus j’ai envie d’y entrer. C’est sans doute mon esprit aventurier qui ressort, celui qui fait que je n’en reste jamais à l’explication convenue par le plus grand nombre. Il y a tant de mystères derrière le quotidien, tant de choses dissimulées, la vie des gens n’est pas toujours ce qu’ils veulent bien nous faire croire. Si on apprend à bien regarder, les ombres derrière la lumière finissent par se montrer, et parfois elles se révèlent plus éblouissantes encore.

– Je crois que vous avez raison, mais il vaut mieux ne pas en parler. Si vous racontez ce genre de chose, on vous prendra rapidement pour une illuminée. Au pire, on vous enfermera ; au mieux, on vous laissera de côté.

La jeune femme de chambre, semblait perdue dans ses propres pensées. Semblant s’adresser à ses propres souvenirs, elle poursuivit :

– Enfant, je suivais souvent les papillons qui louvoyaient dans les rayons de soleil, pour essayer de découvrir leur palais enchanté. J’imaginais qu’il s’agissait de fées des bois, et qu’un jour elles me montreraient leur magie. Un jour, l’un d’eux s’est posé sur en haut d’un mur de pierre, et j’ai grimpé pour le suivre. Il est rentré dans une petite cavité entre deux pierres et n’est jamais ressorti. Je me suis approchée pour regarder à l’intérieur, et j’ai vu quelque chose qui brillait. Le papillon n’était plus là, et à sa place il y avait un fin anneau d’or. En lisant ce qui était gravé sur l’anneau, je sus que la magie existait.

Elle baissa la tête, interrompant son récit, me regarda brièvement, hésitante, puis reprit son souffle et poursuivit :

– Quelques mois plus tôt, ma grand-mère, Marie, nous avait quittés, et elle me manquait beaucoup. Depuis sa mort, j’allais souvent m’assoir au pied de ce mur, où elle me racontait des histoires quand j’étais plus jeune, pour me souvenir de sa voix. Parfois, je lui parlais, lui demandant de revenir me raconter des histoires, comme avant. Ce jour-là, j’avais beaucoup pleuré, tant son absence était lourde, quand ce papillon vint voleter autour de mon visage, comme pour attirer mon attention. Je n’ai jamais parlé de cela à personne, mais je suis convaincue aujourd’hui encore que ce papillon était « magique », et qu’il m’a indiqué volontairement l’emplacement de l’anneau. Je l’ai encore aujourd’hui, et le porte en permanence, il m’a aidé à continuer sans elle.

Tout en achevant son récit, elle me montra son annulaire droit où brillait un anneau finement ciselé à l’ancienne. Elle le retira et me le tendit pour que je puisse lire l’inscription qui était à l’intérieur. C’était un simple prénom : Marie.

Le silence retomba entre nous. Je lui rendis son anneau qu’elle passa de nouveau à son doigt. Elle regarda sa main, qui ne tremblait plus, puis me gratifia d’un sourire.

– Je suis heureuse d’avoir partagé ce moment avec vous, mais je dois poursuivre mon service. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi.

– Je vous remercie de la confiance que vous m’avez témoignée, en me racontant cette histoire si importante dans votre vie. Je crois, comme vous, que le temps n’est qu’un leurre. Parfois, certains objets où certains lieux sont imprégnés des sentiments des humains qui les ont portés ou habités. Si l’on sait les regarder, ces témoignages du passé, peuvent nous faire traverser les méandres du temps, retrouver les empreintes du passé. C’est un peu le travail des historiens, mais ils ne s’attachent qu’aux écrits. Quand il s’agit d’impressions, ou de coïncidences, ou de sentiments, il est plus difficile d’en convaincre les esprits rationnels.

– Vous et moi, savons que tout ceci n’était pas un rêve, et c’est tout ce qui importe, dit-elle, en ayant retrouvé son sourire éclatant.

– Oui, vous et moi, le savons ! Vous avez raison, merci beaucoup.

Elle me gratifia d’un clin d’œil, en sortant de la chambre. Il ne me restait que quelques minutes pour me préparer et avaler ce somptueux petit déjeuner, avant de rejoindre le reste de mes collègues dans le hall d’entrée, où notre guide nous attendait pour nous emmener visiter une cave bourguignonne. Me plonger dans la réalité du terroir, me ferait probablement beaucoup de bien, et je me dépêchais de me préparer.

Avant de sortir de la pièce, je refermais la porte de bois, poussant de nouveau le loquet sur la gauche jusqu’à le bloquer.

J’attrapai mon sac, enfilai mon manteau et me dirigeai vers la porte de la chambre, jetant un dernier coup d’œil vers la fenêtre avant de sortir.

La porte de bois était de nouveau ouverte.

Le miroir était à découvert, où je vis mon propre reflet me fixer, une expression de profond étonnement sur le visage. A l’évidence, le passé ne voulait pas qu’on l’oublie et la suite des évènements allait me le prouver.

A suivre …

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Les vignes du Clos Vougeot un matin de Novembre Photo M. Christine Grimard

La Porte (Partie 6)

clos vougeot

photo M.Christine Grimard

J’avance sans faire de bruit. La pièce est ronde, sans doute sommes-nous dans une tour. Elle est froide, sombre et contient peu de meubles, un lit, une table et une chaise sur laquelle une femme est assise. Elle me tourne le dos, je ne vois que sa chemise de bure et de longs cheveux qui lui balayent le dos. Elle sanglote et chantonne en même temps, entrecoupant son chant de longs soupirs, et je trouve sa voix déchirante. Elle oscille sur sa chaise, en rythme, marquant du mouvement de sa tête, les paroles de sa chanson.

Je balaie la pièce du regard, et remarque un berceau de bois, et un meuble bas dont la porte ouverte laisse apercevoir des étoffes. Une seule fenêtre, haut située, éclaire la pièce, donnant sur le pignon d’un autre bâtiment, empêchant le soleil de pénétrer en ces lieux. Sous la fenêtre une sorte de chevalet est installé, supportant une lourde étoffe à moitié brodée, devant lui, je remarque un tabouret à trois pieds, et un panier d’osier contenant des écheveaux de laine colorés.

 

château de Gilly

photo M.Christine Grimard

Soudain, le chant s’arrête, suivit d’un long sanglot, qui se perd dans la nuit, laissant retomber un lourd silence dans la pièce. Je n’ose plus respirer. Au même instant, les pleurs du nourrissons s’élèvent vers la voute. La jeune mère reprend alors son chant en essayant de ne plus sangloter, et l’enfant se calme aussitôt. Elle fredonne de plus en plus doucement, et quelques minutes plus tard, l’enfant s’endort. Alors, elle se lève, et à pas lents, en le tenant à quelques centimètres de son visage, elle l’emporte vers son berceau. Elle le contemple endormi, les larmes ruisselant en silence sur ses joues, puis le serre contre son cœur avant le l’installer dans son petit lit. Son beau visage est empreint de toute la détresse du monde, lorsqu’elle le regarde dormir, si paisible dans son innocence. Puis elle se détourne et lève les bras et le visage vers le ciel, tentant une ultime prière. Cette supplication silencieuse et poignante de dignité, me brise le cœur, mais je n’ose approcher. Enfin, elle se recroqueville sur elle-même et s’accroupit, les bras repliés autour de ses genoux, comme si elle avait compris que sa prière était vaine, et qu’elle rendait les armes.

Elle ne bouge plus, ne sanglote même plus, alors je retrouve mon courage et fais quelques pas vers elle, sans bruit. Elle ne m’a pas remarquée tant elle est prostrée dans son chagrin.

Je pose une main sur son épaule, essayant de lui transmettre un peu de mon énergie. Elle lève brusquement la tête et me dévisage, à peine surprise. Elle ne crie pas, se relève sans un mot. Elle est à peine plus petite que moi. Nous nous dévisageons un instant, ses grands yeux gris fouillent mon regard. Elle ne semble pas effrayée, et je n’ai plus peur. Sans nous connaître, nous nous reconnaissons. Sa détresse est aussi la mienne, elle le sait.

Je prends ses deux mains dans les miennes, sans dire un mot, qu’elle serre à son tour, puis elle se jette contre moi, comme une naufragée s’accrocherait à un radeau. Je la garde contre moi, aussi longtemps que je la sens trembler, puis elle se calme enfin, et je m’écarte doucement. Je la découvre mieux, elle est si jeune qu’elle pourrait être ma fille, fine et élancée malgré la grossesse récente, très belle, de longs cheveux châtain clair entourant un visage triangulaire, de grands yeux bleus très clairs presque gris. Son air mélancolique n’altère en rien sa beauté diaphane, et sous son apparence fragile, elle paraît très déterminée.

Le silence devient pesant, et je me décide à lui murmurer :

-Qui êtes-vous et pourquoi êtes-vous aussi malheureuse ?

– Je ne suis plus personne, puisque mon existence doit rester secrète désormais. Personne ne doit savoir que je suis là, ni que mon enfant est né. Nous n’existons pas, nous sommes déjà des ombres. Je me suis habituée à cette existence depuis quelques mois, mais mon petit garçon aura une vie différente, loin de moi. Il faut que je me prépare à l’idée de le laisser partir, pour qu’il puisse voir la lumière, et grandir au soleil, loin de ces murs. Je le sais depuis qu’il est né, mais je pensais qu’il me le laisserait quelques semaines de plus, mais il est intransigeant. C’est un homme très dur. Il décide, et Dieu est de son côté, alors je n’ai plus qu’à accepter.

Je comprends tout ce qu’elle tait, et admire son courage. Une si jeune femme, qui a déjà autant de dignité dans sa détresse, cela me laisse sans voix. Je poursuis cependant :

– Comment pourrais-je vous venir en aide ? Je pourrais vous faire sortir d’ici avec votre enfant, ma chambre est au-dessus, vous n’auriez qu’à me suivre.

Elle me dévisage ; soudain effrayée ;

– M’échapper ? Avec mon enfant ? Et pour aller où ? Il est impossible de s’échapper, alentour, toutes les terres appartiennent à l’Abbaye, et personne n’oserait m’aider, en s’attirant les foudres de l’Abbé. Et où pourrais-je me cacher, en plein hiver avec un nourrisson ? Ce serait courir à la mort !

– Vous êtes donc prisonnière ici, pourquoi ? Je ne comprends pas, comment vous êtes-vous retrouvée ici ? Voulez-vous me l’expliquer…

– Je ne dois rien dire, où je disparaitrais…

– Oh, quelle horreur ! Vous ne pouvez pas rester là à attendre que l’on vous fasse disparaître ! Il faut vous échapper. Je vais vous aider !

Elle regarde, anxieusement, le berceau, où son enfant s’agite un peu, et baisse le ton pour me répondre.

– Mais enfin, d’où sortez-vous ? Comment pourrais-je échapper au destin que mon père a choisi pour moi. Une fille doit obéissance, et n’a aucun droit en ce monde. J’ai été attachée à l’Abbaye, et j’y resterai jusqu’à ce que la mort vienne me délivrer. Je n’ai pas fini ma tâche, et je n’ai d’autre choix que d’obéir.

– C’est terrible …

Je murmure à mon tour en me laissant gagner par son désespoir. J’ajoute :

– Pourquoi, votre père vous a-t-il abandonnée ici ?

Elle me regarde, interdite, comme si je débarquais d’une autre planète. Puis elle daigne me donner quelques explications :

– Mon père est Maître Sculpteur, Tailleur de pierre, il a été choisi comme quelques dizaines d’hommes pour bâtir ce monastère à la demande de l’Abbé. Il y travaillera pendant quelques années, ce qui payera l’entretient de mes nombreux frères et sœurs. Je ne peux mécontenter l’Abbé, sinon il renverra mon père et toute la famille tombera dans la misère.

– Je ne comprends pas, comment vous êtes arrivée aussi dans ce lieu, si c’est votre père qui était employé comme tailleur de pierre.

Je la regarde, muette, la question suivante reste bloquée dans ma gorge, mais elle y répond avant que je n’ose la poser.

– L’Abbé m’a remarquée quand il est venu chez nous pour voir mon père. J’étais occupée à ma broderie, et il a admiré mon ouvrage. Je suis la meilleure brodeuse de la région, et mon travail l’a impressionné, alors il a exigé que j’accompagne mon père à l’Abbaye pour travailler pour lui. Je devais faire une série de tapisseries pour la pièce d’apparat qui représentaient les quatre saisons de culture de la vigne.

Elle désigne du doigt la tapisserie qui était dans le coin de la pièce.

– En fait, je n’ai commencé que la première, celle qui illustre le printemps. L’Abbé a décidé que je serai attachée à son service personnel, en arrivant ici. Je devins sa femme de chambre, il ne fut plus question de « tapisseries ». Et très vite, ses exigences furent beaucoup plus importantes…

Sa voix se brise, brusquement, elle baisse les yeux en rougissant, et se tait. Je la vois trembler, et ne sais comment l’apaiser. Je la serre de nouveau contre moi. Elle pose la tête sur mon épaule, et sanglote en silence. Curieusement, ses larmes coulent sur ma chemise, sans la mouiller. Je n’ose plus bouger. Elle relève la tête et poursuit :

– Quelques semaines plus tard, j’ai compris que la vie avait pris racine dans mes entrailles. J’étais heureuse malgré cette situation contre nature. Mais quand l’Abbé l’apprit, il entra dans une rage folle. Il me secoua si fort que je crus perdre l’enfant. Le lendemain, il m’installa ici. Les semaines suivantes, il ne revint jamais, me laissant pourrir dans cette pièce, avec pour seule aide, une vieille servante sourde. Il avait décidé que personne ne devait connaître l’existence de son enfant, et ne revint me visiter qu’après la naissance de son enfant. Depuis, chaque fois, qu’il passe cette porte, je crains pour ma vie, tant sa colère est palpable. Il me considère, comme la fille du démon. Il dit que de je suis entrée dans sa vie, pour éprouver sa Foi, et qu’il ne laissera pas le démon gagner la partie.

Plus elle avance dans son récit, plus je suis abasourdie par son histoire de descente aux enfers. Je comprends peu à peu que son destin est tout tracé, souligné de noir, et que je n’en suis que le témoin inutile. Personne ne pourrait l’aider à sortir du piège qui s’est refermé sur elle.

L’enfant se réveille en gémissant, aussitôt elle se précipite vers lui, et le prend dans ses bras. Il a faim, elle s’installe au bord de son lit et lui donne le sein. L’enfant se calme. Elle me regarde de nouveau, semblant plus calme. Elle me montre le rideau derrière moi et dit :

– Vous devriez repartir maintenant, je vais m’occuper de mon bébé, et le garder contre moi jusqu’à demain, puisqu’il va me l’enlever au matin. Je vous remercie d’avoir tenté de m’aider, mais j’appartiens à l’Abbaye et personne ne peut plus me rendre ma liberté désormais. Je l’ai admis. Il veut que je brode ses tapisseries, je le ferai puisque je n’ai plus rien d’autre à faire dans cette vie, où mon enfant grandira sans moi. Je lui laisserai ainsi un souvenir de moi, à l’insu de son père. J’espère que ma vie sera courte et que le bonheur que je n’ai pas eu ici-bas, me sera donné ailleurs.

Bouleversée par ses paroles, je reste immobile un instant. Je n’ai aucun moyen de la réconforter. Je me sens tellement inutile, que je recule doucement vers la tenture comme elle me l’a demandé, en continuant de la fixer. J’accroche le cadre de son ouvrage, et le fais tomber bruyamment. En m’excusant, je le ramasse en le dépliant, je reconnais la tapisserie qui était dans la salle à manger de l’hôtel. Je prends le temps de la détailler, et reconnais les traits de ma nouvelle amie, comme étant ceux du personnage central.

Château de Gilly

photo M.Christine Grimard

C’est elle que j’avais vu fermer les paupières hier soir, ce qui avait déclenché l’hilarité générale de mes collègues. Je comprends maintenant pourquoi ce personnage me semblait aussi triste. Dans le coin opposé, un personnage rébarbatif est assis sur un siège massif, et en le regardant de plus près, je reconnais Jehan de Grigny. A droite, une vigne en fleur symbolise le printemps et derrière la jeune femme, on distingue l’ébauche d’un visage d’enfant. Mais l’ouvrage est inachevé, et je n’ose l’interroger sur ses intentions réelles. Je remets la tapisserie en place et m’approche de la jeune femme pour la saluer avant de sortir de la pièce, quand j’entends des pas lourds résonner dans le couloir.

Mon amie me regarde, soudain terrorisée. Je sens la panique me gagner aussi, et je recule vers le mur. Il n’y a aucun endroit où me dissimuler, alors je reste là, immobile, prête à me défendre, bec et ongles, ainsi que ma nouvelle amie, s’il le faut.

Le rideau est brusquement tiré par une main aussi large qu’un battoir, et un homme massif entre. Il me parait immense à côté de la frêle jeune femme, qui serre craintivement son nourrisson contre elle. Il jette un coup d’œil méprisant à l’enfant, et se détourne, comme si sa vue le dégoûtait. Il lui dit d’un ton cassant :

– Tout est en place, demain matin, la nourrice que j’ai choisie pour élever votre bâtard, viendra le chercher, et il sera traité avec tous les égards nécessaires. Vous n’aurez plus à vous en inquiéter, et vous pourrez reprendre votre ouvrage, ainsi que mon service personnel, que vous avez négligé depuis trop de semaines. Je ne veux plus jamais vous entendre me parler de cet enfant, ni de votre faute, et je vous accorderai ma clémence si votre ouvrage glorifie mon œuvre comme il se doit.

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A ces mots, il se tourne vers l’endroit où est installée la tapisserie. Se faisant, il balaye la pièce du regard, en me regardant au passage. Je sens tout mon sang se retirer de mes joues, lorsque je croise son regard, et mes jambes ne me portent plus. Tout mon courage a disparu en une fraction de seconde, en fixant ce regard noir.

Je me ressaisis, et m’apprête à lui tenir tête, forte de ma colère pour la manière dont il traite sa jeune femme et son enfant. Je le fixe, en faisant un pas en avant, se faisant j’entends mon amie gémir, en levant une main vers moi, ce qui loin de me calmer, décuple ma détermination. Il a beau être deux fois plus lourd que moi, il ne me fait pas peur, ce lâche. Il va entendre parler d’humanisme s’il insiste ! Je sens mon sang féministe qui se réveille…

Puis, contre toute attente, il s’approche du chevalet pour examiner la tapisserie de près. On dirait qu’il ne m’a pas vue, ou qu’il m’ignore délibérément. Je reste interdite un instant, puis j’avance de deux pas, et me plante devant lui. Je le fixe d’un air outré, prête à en découdre, mais il tourne la tête vers la jeune femme et lance :

– Je vois que votre ouvrage n’a pas beaucoup avancé depuis que vous êtes mère, il est plus que temps que l’on vous décharge de cet enfant.

Il est odieux ! N’y tenant plus, je crie :

– Vous êtes un véritable monstre, vous êtes totalement inhumain ! Seule votre personne compte à vos yeux. Le sort de cette jeune femme que vous avez séduite et de votre enfant vous importe moins que l’état d’avancement de cette tapisserie sensée chanter la gloire de votre précieuse vigne. Vous êtes le seul responsable de toute cette souffrance, tout ceci est entièrement le fait de votre immense égoïsme. Vous vous êtes servi de cette jeune femme et maintenant vous l’abandonnez dans son chagrin. Je vous méprise, et j’espère que vous irez pourrir dans cet enfer dont vous avez tellement peur !

La jeune femme me regarde, avec de grands yeux effrayés, mais l’homme ne réagit pas. Il se tourne vers elle, et s’étonne de sa réaction. Il cherche du regard ce qui semble inquiéter sa compagne et se tourne vers moi…

J’attends une réaction violente, qui ne vient pas. Il se retourne vers elle et lui demande :

– Qu’avez-vous soudain ? Quelque chose semble vous effrayer ? Avez-vous vu une souris ? Vous êtes tellement craintive ! Ici, rien ne peut vous arriver, la plupart des gens qui vivent dans l’Abbaye, ne connaissent pas l’existence de cette chambre. Personne ne sait que vous êtes ici. Je ne vois pas ce qui pourrait vous faire peur ainsi !

– Je n’ai rien, j’ai cru entendre quelque chose, répondit-elle en me regardant dans les yeux.

Je secoue la tête et lui fais signe de ne rien ajouter, un doigt devant les lèvres. Elle suit mon injonction et n’ajoute rien, en baissant la tête pour qu’il ne remarque pas notre échange. Je viens de comprendre qu’il ne me voit pas. Pour en être bien sûre, je m‘approche à nouveau de lui et me place entre lui et la jeune femme. Il continue à lui parler, sans me voir, puis il tourne brusquement les talons et sort de la pièce en tirant brutalement le rideau derrière lui. Je n’ai pas écouté ses dernières paroles, mais le fait qu’il ne soit plus dans cette pièce, me redonne des forces d’un seul coup. La jeune femme pousse aussi un soupir de soulagement et m’interroge du regard, sans oser encore prononcer la question qui lui brûle les lèvres.

Je m’approche du rideau de brocart et le soulève imperceptiblement, je vois l’homme disparaître à l’extrémité du corridor. Me retournant vers la jeune femme, je lui demande :

– Avez-vous compris pourquoi il ne pouvait me voir ?

– Je ne sais pas, répondit-elle, et vous ?

– Je n’ai aucune explication, il se passe ici des choses qui dépassent mon entendement. J’aimerais savoir pourquoi ce genre de chose m’arrive toujours, et que quelqu’un m’explique ce que je dois faire en face de tels évènements. Là, j’avoue que je suis totalement perdue.

– Je ne sais pas d’où vous venez, me répondit-elle, ni ce qui se passe, mais laissez-moi vous dire que votre présence m’a beaucoup aidée aujourd’hui. Le fait que vous soyez là, m’a montré que je n’étais pas seule, et grâce à vous, cet homme m’effraye beaucoup moins. Je n’oserai jamais lui parler comme vous l’avez fait, mais le fait que vous pensiez que tout ceci est de sa faute, m’a fait beaucoup de bien, et m’aidera à supporter cet avenir pénible. Peut-être arriverai-je à lui répondre comme cela, moi aussi… En fait, je viens de comprendre que je le détestais aussi, sans oser le penser puisqu’il me tient entièrement en son pouvoir. C’est horrible, mais le fait que vous l’ayez maudit tout à l’heure, m’a fait beaucoup de bien, parce que secrètement l’espère aussi qu’il ira brûler en enfer.

Je souris, malgré moi, malgré le côté dramatique de cette situation, devant cette réaction enfantine, et tellement humaine de ma nouvelle amie.

– Je ne sais pas si l’enfer existe vraiment, lui rétorquais-je. Cependant je crois que s’il lui reste une once de conscience, le jour où il réalisera tout le mal qu’il vous a fait, ainsi qu’à son propre fils, pour satisfaire son plaisir et son égocentrisme, ce jour-là sera le premier jour du reste de son enfer. Je lui souhaite long et douloureux !

Je ne me reconnais pas, moi qui suis si douce d’habitude, qui tiens des propos pareils. Il fallait que cette histoire me bouleverse ! Mon amie me désigne le couloir par lequel j’étais venue et dit :

– Il faut que vous partiez maintenant, je crains qu’il ne revienne et vous trouve, cette fois-ci. Je me souviendrai toujours de votre présence, ce soir, et en remercierai le ciel jusqu’à mon dernier soir. Partez vite mon amie, et que Dieu vous garde !

– Vous avez raison, je vais regagner ma chambre, c’est plus prudent. Surtout soyez forte, et ne perdez pas espoir, mon amie. Si le désespoir vous gagne, pensez à moi, et j’essayerai de vous aider aussi, de là où je serai. Je ne vous oublierai jamais non plus.

Je la prends dans mes bras de nouveau et dépose un baiser sur le front de son petit garçon.

– Vous ne m’avez pas dit son prénom, ni le vôtre, dis-je en me dirigeant vers la tenture.

– Je l’ai appelé Bertrand, et je ne nomme Blanche.

– Je vous souhaite le meilleur chère Blanche ainsi qu’à votre petit ange Bertrand, que Dieu vous garde aussi.

Je la regarde une dernière fois, tentant de lui transmettre ce qui me reste de forces, pour le combat qu’elle aura à mener, en me demandant ce qui m’a pris de lui dire des choses pareilles. Décidément l’ambiance de ce château ne me vaut rien.

Je suis le couloir jusqu’à l’escalier en colimaçon, puis remonte péniblement les marches qui me paraissent beaucoup plus nombreuses qu’à la descente. Je retrouve le couloir en pente et le remonte doucement à tâtons, dans l’obscurité. J’arrive vers le miroir, où je vois ma chambre en transparence, dans la pénombre. Je tâtonne et tente de le faire pivoter mais rien ne bouge. Je pousse, je tire, en vain. Après plusieurs minutes d’efforts inutiles, je commence à me décourager et m’écris, inquiète :

– C’est pas vrai ! je ne vais pas rester coincée ici tout de même.

Comme s’il attendait cela, le miroir pivote brusquement sur lui-même. Je me précipite dans ma chambre, de peur qu’il se referme sur moi définitivement. Une fois dans la pièce, je referme le miroir, puis la porte de bois, et y appuie mon dos. Je me sens épuisée, et n’arrive plus à remettre de l’ordre dans mes idées.

Je m’assois sur le fauteuil qui est placé devant la fenêtre où les premières lueurs de l’aube apparaissent. Je ferme les yeux un instant, pour me reprendre, et tenter de réfléchir aux évènements de la soirée. Je vais juste me reposer quelques minutes, puis il faudra se préparer pour la seconde journée.

Et en moins d’une seconde, je m’endors.

……..A suivre

Château du Gilly

photo M.Christine Grimard

La Porte (Partie 5)

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Photo M. Christine Grimard

 

Le repas eut beau s’éterniser, le moment de regagner les chambres finit par arriver, ce qui me plongea dans une sourde inquiétude. J’hésitai à en parler à mon amie, mais elle s’éclipsa avant moi alors qu’un de nos collègues me racontait ses dernières vacances sous les tropiques. Tout le monde devant être prêts le lendemain, à neuf heures, pour la visite d’une cave, les convives se dispersèrent rapidement. Je regagnai ma chambre, en essayant de me persuader que la nuit serait calme, et que les différentes hallucinations que j’avais eues dans l’après-midi, n’étaient que le fruit de mon imagination.

Je restai quelques secondes devant la porte, l’oreille aux aguets, avant d’entrer dans la pièce. Mais il n’y avait aucun bruit, et lorsque je poussai le lourd battant de bois, il n’y avait rien d’autre que la faible lueur de la lampe de chevet que la femme de chambre avait laissée allumée, en venant préparer la chambre pour la nuit. En ouvrant le lit, elle avait disposé sur l’oreiller, deux bonbons bourguignons enveloppés d’un papier doré. Je m’empressais de les déguster, espérant secrètement qu’ils me donneraient un peu de courage pour passer la nuit dans cette chambre à l’atmosphère étrange.

Je me rendis dans la salle de bain, où tout était contemporain, ce qui me rassura. Puis avant de me coucher, je refis le tour de la pièce, inspectant tous les recoins, sans rien voir d’anormal. J’ouvris la porte qui dissimulait le miroir, et seul mon reflet apparut. Je refermais la porte, un peu soulagée, puis la rouvris brusquement, sans que rien ne change. Je fis cette manoeuvre trois ou quatre fois, sans que rien n’apparaisse, ce qui me rassura tout à fait. Je décidai de me coucher, en riant de moi-même et des peurs que je m’étais créées dans l’après-midi, probablement impressionnée par le somptueux décor, à l’arrivée dans ce lieu historique. Il fallait que je dorme rapidement, le lendemain serait une journée chargée, et je me couchais en décidant d’occulter tout ce qui m’avait inquiétée.

Je m’endormis d’un seul coup, harassée par le trajet, et toutes les émotions de la journée.

Un bruit de sanglot.

Un murmure.

Une chanson d’autrefois que l’on fredonne.

Un air oublié.

Un autre sanglot, plus fort.

Comme un gémissement dans la nuit.

Les yeux fermés, j’essaye de rassembler mes esprits.

Un filet d’air froid me caresse le visage.

Un frisson parcourt ma nuque.

J’oublie de respirer.

J’ouvre les yeux mais je ne vois rien d’autre que l’obscurité.

En une fraction de seconde, tous mes sens sont en éveil.

Un autre sanglot, déchirant celui-ci, traverse le silence.

Je n’ose pas bouger d’un pouce.

Il faut que je respire. Ma tête va éclater. J’inspire insensiblement, sans bruit.

Il ne faut pas que l’on sache que je suis là. Il ne faut pas.

Il me semble que je suis éveillée, ou alors, peut-être que je rêve. Oui, c’est un cauchemar. Ce ne peut être qu’un cauchemar. Je n’aurais pas dû boire de vin blanc, ce soir.

 

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Photo M. Christine Grimard

Mais tout est noir autour, aucune lueur derrière les carreaux, à peine un reflet bleuté à l’horizon. Je ne distingue que les montants du baldaquin à contre-jour, qui se détachent sur l’ombre de la fenêtre. J’ai bien fait de ne pas fermer les volets intérieurs, l’obscurité n’est pas totale, mes yeux s’habituent doucement à l’infime luminosité de la nuit d’hiver. L’ombre des nuages passe devant un croissant de lune blafard.

J’ai dû faire un cauchemar. Tout est silencieux. Il faut que je me rendorme. Vite …

Je ferme les yeux, en serrant très fort mes paupières pour qu’il ne passe aucune image. Je ne veux rien voir. Je ne veux plus rien entendre.

Le silence est revenu. Un bon vrai silence, bien épais. Aucun bruit, pas même celui de mon souffle. Aucun autre souffle non plus.

C’est si bon ce silence.

Je savoure ce silence, mais je suis aux aguets. Je sais que je ne dormirai plus cette nuit. Je sais que ce sanglot, n’était pas dans mon cauchemar. Je sais.

Je sais que je ne veux pas savoir.

Il faut que je dorme.

Il faut que je dorme.

Il faut …

Ça y est … Je dors !!!!

Plusieurs minutes sans un seul bruit. Mon sang s’apaise, avec ma respiration. Je commence à flotter dans un demi-sommeil. Ce long silence occupe tout l’espace.

Il souffle près de mon oreille : « Dors tranquille».

Je flotte…

 

J’entends distinctement : « Dors tranquille »

 

-Qui a dit ça ? Qui est là ?

Je me relève brutalement, je m’assois au bord du lit, scrutant le néant. Le silence s’épaissit, devient pesant, oppressant, écrasant, lourd, de ceux que l’on dit qu’ils précèdent la tempête. Personne ne répond, évidemment.

Je tâtonne jusqu’à l’interrupteur, si je parviens à éclairer la pièce, toute cette tension s’évanouira. Il faut que j’y arrive… Mais où est passé cet interrupteur ?

Trop tard ! Avant que je n’aie le temps de le trouver, les évènements se précipitent.

Un bruit de tonnerre éclate dans mon dos. C’est la porte dissimulant le miroir qui s’est ouverte à toute volée, claquant brutalement contre le mur. Je me retourne, terrorisée, mais il n’y a personne. Une faible lumière émane du miroir, comme si une torche était allumée derrière le tain. Le silence retombe. J’ose à peine respirer, mais je m’approche lentement, comme attirée irrésistiblement par cette lueur.

Le miroir est devenu transparent, éclairé par l’arrière, sans qu’aucune lampe ne soit visible. J’approche ma main et la pose sur la vitre glacée, sans savoir ce que je cherche. Sous le poids de ma main, la vitre pivote brutalement, ouvrant un passage faiblement éclairé. Je penche la tête par l’ouverture et découvre un couloir qui semble descendre en pente douce, dans l’épaisseur des murs. J’hésite quelques instants à m’aventurer dans ce piège, restant immobile dans l’ouverture, lorsqu’une voix de femme s’élève. Elle chante un air mélancolique moyenâgeux, sans que je puisse en comprendre les paroles. La voix semble provenir des tréfonds du château, douce et triste. Elle m’attire inexorablement.

Je m’engage dans le froid couloir de pierres, sans me préoccuper du fait que la porte se referme dans mon dos. Il faut que je sache d’où provient cette voix.

Le couloir n’en finit plus de descendre, il se transforme en escalier en colimaçon aux marches glissantes, usées et inégales, et je manque de tomber plusieurs fois. Il ne manquerait plus que je me casse une jambe !

Alors que je descends les dernières marches, la chanson se tait. Je débouche sans un dernier couloir, horizontal cette fois-ci, qui mène à un rideau de brocart. Derrière le rideau, des voix s’invectivent, ou plutôt une voix masculine dure et cassante, couvre les réponses d’une voix féminine tremblante et éplorée. La voix acide et brutale hurle :

« Taisez-vous, je ne veux plus rien entendre ! Vous suivrez mes ordres, ou vous disparaîtrez ! Cet enfant, sera élevé loin de vous et loin de ce monastère. Je n’accepterai pas que le pêché que vous avez porté, détruise l’avenir de l’institution que j’ai créée. Ce bâtard vivra, puisque c’est la volonté du tout puissant, mais ni vous ni moi ne devrons plus en entendre parler. Je lui laisserai une parcelle de mes vignes, parmi les meilleures, ainsi vous ne me pourrez me reprocher de l’avoir laissé sans ressource, et s’il est malin, il pourra en vivre honorablement jusqu’à la fin de ses jours.

-Mais, il est si jeune ! Vous ne pouvez pas me l’enlever aussi vite ! disait-elle en sanglotant.

-Je peux tout ce que je veux, puisque c’est la volonté de Dieu. Demain matin, il sera confié à une nourrice, et vous n’aurez plus à vous en préoccuper. Cessez ces jérémiades, je ne veux plus en entendre parler à partir de ce soir ! »

Au même instant, le rideau est brutalement poussé et je n’ai que le temps de me reculer dans l’escalier, avant que l’homme n’apparaisse au bout du passage. Je le reconnais immédiatement, c’est Jehan de Grigny. Ses mâchoires serrées et ses yeux étincelants ne laissent aucun doute sur sa cruauté. Je m’aplatis contre le mur, en tremblant, mais il passe à quelques centimètres de moi, sans me remarquer. Il s’éloigne rapidement, en maugréant, et je sors prudemment de ma cachette lorsque je n’entends plus ses pas.

Je m’approche du rideau de brocart sans faire de bruit et tends l’oreille, quelques vagissements de nourrisson se mêlent à des sanglots étouffés. Il faut que je sache d’où provenait toute cette souffrance. D’une main tremblante, je pousse le rideau et pénètre dans la pièce.

A suivre

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Photo M. Christine Grimard

La Porte (Partie 4)

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Photo M. Christine Grimard

Je retrouvai mon amie, déjà installée dans la salle de conférence.

Elle me fixa, un peu inquiète de mon essoufflement, et pour la rassurer, je lui expliquai que j’avais eu peur d’être en retard et que j’étais descendue en courant. Le décor de la salle de conférence était moderne, et cela me fit du bien de me retrouver au vingt-et-unième siècle. Elle me demanda pourquoi j’étais aussi pâle, et l’espace d’un instant, je faillis lui expliquer toute l’histoire. Je me ravisai rapidement, le conférencier arrivant dans la pièce, et ne sachant pas par quel bout commencer mon récit. Je craignais qu’elle me prenne pour une illuminée, et que cette réputation me suive définitivement par la suite, au bureau.

Tout autour de la pièce, était disposée, une série de portraits des différents maîtres du Château depuis sa construction, jusqu’à la révolution française. Le premier d’entre eux avait un visage dur et impressionnant, avec des mâchoires de taureau et un regard noir. Il dégageait une impression hostile, et je me réjouis de n’avoir pas vécu à cette époque-là. Il n’y avait probablement rien de bon à vivre sous l’emprise d’un châtelain de ce genre. Une légende indiquait son nom, il s’agissait de l’administrateur, père supérieur du premier monastère, Jehan de Grigny, qui avait transformé les lieux en un château d’agrément, pour recevoir les hauts dignitaires du royaume et les émissaires du pape, venant visiter son vignoble dont la réputation grandissait.

Suivait, une série de portraits de personnages tous plus rébarbatifs les uns que les autres, peints à la mode de leur époque, qui étaient ses successeurs au cours des trois siècles suivants, jusqu’à la révolution, date à laquelle le château fut confisqué au clergé. Leurs noms étaient indiqués sous chaque portrait, mais je n’en connaissais aucun. Ils avaient tous un point commun, qui était leur air autoritaire appuyé par un regard froid et des lèvres fines et serrées. Aucun ne souriait, et chacun d’eux semblait avoir une haute opinion de sa propre importance. Je me demandais ce qu’ils penseraient du fait que leur château abritait des « séminaires » païens aujourd’hui, et en quels termes pleins de colère ou de mépris, ils nous signifieraient notre congé, s’ils le pouvaient encore !

Après tout, j’avais peut-être tort de les juger sur leur apparence sévère. Il s’agissait d’hommes d’église, probablement sérieux et pleins de sagesse, soucieux d’assurer la prospérité de leur communauté religieuse, et de maintenir la qualité de leur vignoble, ce qui devait représenter une lourde charge, et pouvait justifier leur apparence sévère.

Le conférencier, nous brossa rapidement l’histoire du château, et nous invita à admirer les portraits qui ornaient la pièce, comme des œuvres représentatives de l’esprit de chaque époque, sans nous détailler plus précisément l’identité des hommes. Je me surpris à avoir envie d’en connaître plus, sur la vie de ces êtres qui avaient vécu un moment en ces lieux, respiré l’air de cette pièce, foulé les marches que j’avais empruntées pour descendre il y a un instant. Il ne restait d’eux qu’un portrait de profil, minuscule, où l’on ne pouvait même pas croiser leur regard, et tous ceux qui les avaient connus ayant disparu depuis longtemps, aucun souvenir de ce qu’ils étaient ne subsistait. Cette idée me donnait le vertige. Il suffisait de quelques dizaines d’années, pour que tout souvenir disparaisse, et que le monde oublie jusqu’à la couleur de nos yeux.

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Photo M. Christine Grimard

Le lieu, une salle immense, voûtée en ogives, était sans doute propice, à la nostalgie. Les chapiteaux qui coiffaient les colonnes de pierre, étaient tous uniques, et j’imaginais la main du sculpteur qui les avait fait naître de son imagination.
Autant de talents envolés dans le tourbillon du temps, autant d’artistes anonymes qui avaient donné leur énergie pour faire vivre ces lieux, autant d’êtres vivants ayant laissé leur trace dans ces pierres, autant de maîtres d’art avaient offert à ce lieu sa magnificence.
Cela me plongeait dans un état de léthargie dont la voix de l’orateur ne parvenait pas à me sortir. Il se servit du point de départ historique de ce monastère, pour illustrer son propos, visant à améliorer nos performances dans l’entreprise. C’était habillement mené, mais mon esprit vagabondait ailleurs, dans ce siècle lointain, où les hommes se battaient pour apprivoiser la nature du sol et le climat, pour faire prospérer leur vigne, comme une offrande à leur Dieu.

A la fin de sa conférence, il nous distribua une plaquette reprenant ses propos, dans laquelle était glissé le dépliant publicitaire de l’hôtel. Sur la couverture, un portrait de Jehan de Grigny de face cette fois-ci, s’étalait. Je fus impressionnée par l’intensité de son regard noir. A en croire, la froideur hostile de ses yeux, cet homme ne devait pas être un tendre !

Le conférencier nous remercia de notre attention et nous invita à le rejoindre au sous-sol pour le dîner. Pour se rendre à la salle à manger, il fallait suivre tout un dédale de couloirs souterrains, serpentant sous la cour intérieure, qui menaient de l’ancienne cuisine du château renaissance à un cellier voûté, où les tables étaient disposées. Dans la cuisine d’origine, transformée désormais en salon d’apparat, une cheminée monumentale double, habillait tout le mur sud. L’âtre était tellement grand, que l’on imaginait que des chevreuils entiers rôtissaient sur le feu. Une énorme broche, aussi longue que le foyer, était toujours présente reliée à un système ingénieux de contrepoids qui l’actionnaient par l’intermédiaire d’une vis sans fin, pour que la cuisson du gibier soit homogène. On imaginait facilement le personnel qui s’agitait autour de l’âtre, les joues rougies par la chaleur, transpirant, pour préparer les nombreux plats des repas des châtelains.

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Photo M. Christine Grimard

Le passage souterrain descendait en pente douce sous le bâtiment, éclairé faiblement par des torches électriques imitant les flammes d’un flambeau, et lorsque nous étions à mi-chemin, il y eut une baisse de tension, et les lumières vacillèrent une fraction de seconde, juste le temps de sentir un courant d’air glacial nous frôler. Nous nous regardâmes en frissonnant, soulagés d’avoir évité l’obscurité. Les uns et les autres plaisantèrent, en évoquant l’incident, en se mettant à table, en se félicitant mutuellement d’avoir échappé au fantôme qui hantait le souterrain.

Je ne dis rien, mais je me réjouissais de ne pas être la seule à avoir ressenti cet air glacial, pour une fois !

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Photo M. Christine Grimard

Le repas fut agréable et raffiné, les mets typiquement régionaux, étaient accompagnés de Bourgognes grand cru, un Meursault blanc pour commencer puis un Gevray Chambertin Rouge pour accompagner le plat principal. Et chacun se régalant, bientôt le silence se fit dans la salle voûtée. Les convives étaient impressionnés par le décor grandiose, les voûtes en pierre créant une atmosphère moyenâgeuse, proche de celle des chapelles romanes. Leur froideur dépouillée était un peu atténuée par la présence de tapisseries en laine brodée, dont l’une me rappelait la « Dame à la Licorne ». Cette composition me semblait familière, et je demandais au Maître d’Hôtel s’il connaissait l’histoire de cet ouvrage. A mon grand étonnement, il m’expliqua que la tapisserie était authentique, datant du 13° siècle, date, de la construction du premier monastère, dans le cellier duquel nous nous trouvions.

L’ouvrage avait été retrouvé lors des travaux de restauration du château, avant qu’il soit transformé en hôtel, dans une pièce secrète, qui avait été murée depuis, son auteur n’étant pas connu ni l’époque exacte de sa confection, qui avait été estimée plus tard par un expert. Une fois restaurée, la tapisserie avait repris son éclat coloré, et trônait maintenant dans cette salle de restaurant, où chacun pouvait l’admirer. Je la trouvais fascinante, non pas par le paysage représentant un jardin où se tenaient des personnages et des animaux fabuleux, mais surtout par le regard du personnage central qui semblait vous suivre lorsqu’on se déplaçait. Je savais que certains tableaux avaient cette particularité, mais je ne pensais pas que cela soit possible avec une tapisserie brodée. Le dessert tardant à arriver, je m’approchais de la tapisserie pour en détailler les points et les reliefs, quand je vis distinctement le personnage principal fermer les yeux.

Je m’arrêtai de respirer, et pâlis, vacillant sur mes jambes, et un instant plus tard, les yeux s’ouvrirent de nouveau et le visage se figea, comme il l’était depuis l’éternité. Ma collègue qui avait suivi mon mouvement me dit :

– Reviens t’assoir, tu es toute pâle, tu vas tomber dans les pommes ! Que t’arrive-t-il ? Tu as trop mangé ?

Et sans attendre ma réponse, elle ajouta :

– Si tu ne peux pas manger ton dessert, je pourrai l’avoir ?

– Oh non ! Tu exagères ! Justement, si je me sens mal, il me faut du sucre, tu devrais me donner le tien en plus du mien ! répondis-je, ayant repris mes esprits.

Je croyais que la plaisanterie lui ferait oublier l’incident, mais il n’en fût rien. Elle revint à la charge en me regardant sous le nez:

– Alors, pourquoi es-tu aussi pâle ?

– C’est cette tapisserie qui m’a impressionnée, répondis évasivement, j’imaginais le travail monstrueux que cela devait représenter, et je me demandais qui en était l’auteur.

– Et c’est ça qui te fait pâlir ? On aurait dit que tu avais vu un fantôme ! Dis-moi ce que tu as ! insista-t-elle en me regardant sévèrement.

– Je … Oui, enfin… Peut-être que j’ai vu quelque chose de bizarre dans cette tapisserie… Mais j’ai dû trop boire de ce Meursault, sans doute !

– Et ? C’était quoi ? dit-elle, intriguée, en se tournant vers le mur.

– J’ai cru voir bouger le personnage… tu vois, c’est ‘importe quoi ! Mais j’ai eu peur !

Elle partit d’un énorme éclat de rire, ce qui me soulagea. Elle ne me croyait pas, et c’était mieux comme ça. Je ris avec elle, et bientôt, toute la table sut que le Bourgogne ne me valait rien, et je fus un sujet de moqueries jusqu’à la fin du repas.

Cette fois encore, j’avais pu me tirer de cette situation délicate par une plaisanterie, mais je commençais réellement à me demander ce qu’il m’arrivait. Jamais auparavant, je n’avais eu ce genre d’hallucination, et cette situation m’effrayait terriblement. Il y avait quelque chose dans ces murs qui s’attaquait à mon équilibre mental, et j’allais avoir besoin de toute ma vigilance pour lui résister. En prévision de la nuit qui s’annonçait longue; je demandais un second café au serveur, sous les yeux amusés de mon amie, qui pensait que c’était pour atténuer les effets de l’alcool. J’espérais que cette soirée se prolonge, et n’osais penser au moment où il faudrait regagner les chambres, sentant les évènements successifs de cette soirée avaient fait s’évaporer peu à peu, les dernières gouttes de mon courage.

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La Porte (Partie 3)

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Photo M. Christine Grimard

Pour en avoir le cœur net, je fis le tour de la pièce en inspectant tous les recoins, sans rien noter d’anormal. Je frôlai les pièces de boiserie, à la recherche d’un éventuel haut-parleur dissimulé dans le décor mais ne vis rien d’anormal.

Le décor était étonnant, à première vue, tout était « d’époque », mais en y regardant de plus près, je découvris un poste de télévision dissimulé derrière une porte de bois ciselé, dans une niche à la gauche de la fenêtre. De l’autre côté, dans une symétrie parfaite par rapport au renfoncement de la fenêtre, se trouvait une autre porte, dissimulant un miroir ancien, semblant faire partie du mur lui-même. Mon reflet dans ce miroir m’apparut particulièrement terne, comme une photo sépia, donnant la sensation de regarder une de mes ancêtres dans les yeux. Je restais là, devant cette image étrangère, où je ne reconnaissais pas mon regard et à peine mon visage, puis je m’approchais tout près du reflet, détaillant tous les défauts du tain, qui était piqueté de toute part. Cette usure produisait au dédoublement de l’image, mais en regardant de plus près, il me sembla que le second reflet était légèrement différent de mon propre visage, ce qui me donna un léger vertige. Je fixais ce second regard quelques secondes, cherchant quelque chose de familier dans son expression, mais il me restait étranger. J’écarquillais les yeux, osant à peine respirer, quand je vis, distinctement, ce reflet fermer les yeux, serrant très fort les paupières, puis les rouvrir sur une expression de profonde détresse !

Je ne pus m’empêcher de pousser un cri, en me reculant brutalement, et instantanément, le reflet disparût. Mes jambes ne me portaient plus et j’étais glacée d’effroi. Cette fois-ci, ce n’était pas une simple impression. J’avais vu distinctement un visage qui n’était pas le mien et qui me regardait dans le reflet de ce miroir.

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J’éclairai toutes les lampes disponibles de la pièce, qui fut inondée de lumière, espérant sans doute chasser les ombres présentes et passées, d’un coup de baguette magique. Je retournai me poster devant le miroir, mais aucune image n’apparaissait plus. Je refermai soigneusement la porte de bois qui dissimulait le miroir, comme si ce panneau pouvait me protéger des hallucinations qui l’habitaient.

J’étais partagée entre l’envie de demander à changer de chambre, et celle de rester pour explorer plus avant ce mystère. Me connaissant, j’allais rester, avec la peur au ventre, et j’irai probablement au bout de ma peur, pour avoir le fin mot de cette histoire, non que ma témérité fût grande, mais parce que ma curiosité l’était plus encore.

Je finis de me préparer pour le dîner, me demandant si je devais en parler à ma collègue, dont la discrétion n’était pas légendaire, ou garder pour moi toutes ces bizarreries, jusqu’à ce que j’en sache un peu plus. J’optais pour la seconde solution, qui me tiendrait au moins à l’abri des moqueries. Je pris mon sac, et me dirigeai vers la porte de la chambre, me retournant une dernière fois vers le panneau de bois, et ce que je vis, me glaça le sang.

Il était de nouveau ouvert !

Sans plus réfléchir je me précipitai encore plus vite vers la sortie, sentant mon cœur au bord de l’explosion. Aurai-je courage, de revenir dans cette chambre, après le dîner ?

Rien n’était moins sûr.

A suivre

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La Porte (Partie 2)

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Photo M. Christine Grimard

Je déposai mon sac dans un coin, et redescendis en vitesse, sans détailler plus le décor magnifique, une visite du vignoble étant prévue dans l’après-midi, ce qui serait une première pour moi. Je retrouvai quelques collègues sur l’esplanade du château, et nous échangeâmes nos impressions sur la beauté du site en attendant que notre guide n’arrive. Même mon amie, habituellement toujours blasée et dubitative, semblait impressionnée par la magnificence des lieux.

Notre guide, qui sans être vigneron, était un amoureux de la région, nous brossa en quelques mots, les particularités du vignoble bourguignon. Il était passionné et passionnant. En quelques heures nous comprîmes pourquoi ce pays avait produit un vin célèbre dans le monde entier, fruit de la combinaison unique d’un terroir très particulier, de cépages historiques et du savoir-faire des hommes.

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Pour commencer à nous imprégner de ce pays et de sa passion contagieuse, il nous entraina sur les terres du Château du Clos Vougeot. Son récit nous fit comprendre à quel point les racines de ce vignoble étaient lointaines, remontant au XIIe siècle, où les moines de Cîteaux cultivaient déjà la vigne. Le travail des moines donna la note pour la suite de l’histoire du vignoble, les moines sélectionnant les plants, les élevant avec patience et améliorant sans cesse les méthodes de taille et de culture. Il nous brossa un portrait vivant du château depuis sa construction par les moines en 1115, jusqu’à nos jours où il abrite encore l’ordre de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Nous vîmes défiler les rois de France qui avaient légiféré sur la qualité de la viticulture en Bourgogne, depuis Philippe le Hardi, jusqu’à la révolution. Puis il s’arrêta sur la personnalité du prince de Conti  qui en 1790 acquit La Romanée qui porterait son nom, et dont la croix emblématique brille encore au soleil au milieu de ses vignes chargées histoire.

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Photo M. Christine Grimard

Entendre l’histoire de ce pays, contée par un homme que ce terroir, qui a traversé le temps, passionnait, fut un enchantement. Il nous expliqua que la nature du sol était un des éléments clés, des couleurs, saveurs et arômes du vin. En fonction de l’exposition de chaque parcelle, de son altitude, de la profondeur de son sous-sol, de sa pente et donc du drainage qu’il en découle, des conditions climatiques de l’année de récolte, on obtenait un vin différent. Les crus étaient donc classés différemment, en fonction de leur parcelle d’origine, même si celles-ci n’étaient séparées que de quelques mètres. La dernière inconnue dont il fallait tenir compte dans l’équation, était le rôle des hommes qui de la culture de la vigne, de sa taille, jusqu’aux vendanges, puis au travail en cave, élèveraient le vin jusqu’à le sublimer. Certains seraient récompensés de leurs efforts par des prix décernés par des confréries de connaisseurs, ce qui donnerait une valeur supplémentaire à leur vin.

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« Ainsi, la Confrérie des Chevaliers du Tastevin célèbre la Bourgogne et son vin dans une tradition d’accueil, de chaleur humaine et de générosité, et offre à la France l’une de ses plus belles « tables d’hôtes ». » conclut-il.

L’après-midi touchait  sa fin, et le coucher de soleil en fut l’apothéose, flamboyant derrière la côte, et se découpant derrière l’ombre des clochers. Nous regagnâmes notre chambre, la tête pleine d’images mêlant l’histoire et la modernité de la région, avec la promesse de participer le lendemain à une dégustation, pour comprendre plus concrètement comment se déclinaient les différences et les particularités de chaque parcelle.

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Photo M. Christine Grimard

Chacun devait regagner sa chambre, pour se préparer avant la conférence du soir qui serait suivie d’un dîner, servi dans un ancien cellier voûté, comme une chapelle.

Je découvris alors la chambre que l’on m’avait attribuée plus en détail. Cette chambre était décorée dans un style d’époque renaissance, et les détails modernes avaient été habilement dissimulés derrière des morceaux de décor anciens. Le plafond était à lui tout seul une œuvre d’art, et même si des fissures en complétaient l’harmonie, je restais bouche bée à l’admirer en entrant dans la pièce. Les poutres à la Française finement décorées, évoquaient une dentelle d’images inspirées de la nature. Je ne pus m’empêcher d’imaginer la main de l’artiste qui l’avait peint, cinq siècles auparavant, et ce qu’il penserait en me voyant béate d’admiration devant son travail, ce soir. Je parcourus la pièce des yeux, me demandant combien d’êtres humains avaient dormi ici avant moi, et s’il en restait une trace, un souvenir accroché aux volutes du baldaquin. Les murs étaient très épais, et le silence était lourd.

Château de Gilly

Photo M. Christine Grimard

Je m’approchai de la fenêtre, seul rectangle de lumière, découpé sur les ombres de la fin de l’après-midi. Les petits carreaux dessinaient leur silhouette sur le sol inégal, filtrant les derniers rayons de ce soleil d’hiver. L’atmosphère était étrange, comme si l’on était entre parenthèse dans une niche du temps. La fenêtre donnait sur un parc magnifiquement entretenu, et l’on s’attendait à voir surgir une dame enrubannée des bosquets taillés au cordeau. Il n’y avait pas un chat, on aurait pu être dans le décor du château de la bête, ou chaque objet était figé dans le passé, attendant qu’une belle vienne secouer la poussière du temps.

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Photo M. Christine Grimard

Je suivais des yeux la ligne des remparts, où quelques pigeons avaient élu domicile, faisant briller leur plumage dans les rayons du couchant, quand j’entendis un bruit derrière moi. On aurait dit un soupir. Je me retournai, brusquement, pensant que quelqu’un était entré dans la pièce, mais dans la pénombre, je ne distinguai rien. J’avançai dans la pièce, lorsqu’un second soupir se fit entendre. Le son venait de la gauche. Je me retournai vers lui, mais ne vis rien de plus. Il commençait à faire sombre dans la pièce, et l’inquiétude me gagnant, je me précipitai vers le commutateur pour éclairer.

Le plafonnier ne s’éclairait pas, sans doute pour ne pas ternir la belle harmonie de la fresque, mais un lampadaire inonda la pièce de lumière, me soulageant du même coup. Je jetai un coup d’œil circulaire, et ne vis rien d’anormal. Décidément, il fallait que je me calme, mon imagination me perdrait.

Je décidai de défaire mes bagages, m’occuper concrètement me ferait reprendre pied dans le présent. Cela me prit quelques minutes, et j’étais dans la salle de bain, lorsque j’entendis distinctement une voix qui chantait. Je tendis l’oreille, pour distinguer d’où venait le chant, mais il semblait venir de partout, ou de nulle part. Je me demandai s’il y avait des haut-parleurs dissimulés derrière les tentures du lit. Mais lorsque je m’en approchai, la voix se tut.

Je me demandai si je préférais le silence, ou les bruits insolites, mais je n’eus pas l’occasion de me poser la question plus avant, parce qu’on frappa à la porte. Je fus soulagée, en ouvrant, de me trouver devant une femme de chambre, tout à fait contemporaine, qui me souriait aimablement. Elle me demanda si j’avais besoin de quelque chose pour la nuit, et m’offrit une petite boite colorée contenant quelques bonbons au Marc de Bourgogne, en guise de cadeau de bienvenue.

Je n’osais pas lui poser des questions, craignant qu’elle me croie folle, mais j’aurais bien voulu qu’elle s’attarde un peu et qu’elle me rassure. Je lançai en hésitant un peu :

-Chantiez-vous à l’instant ?

Elle me regarda en souriant, et répondit sans hésitation :

-Oh, non, Madame, je ne chantais pas, j’en serais bien incapable, je chante tellement faux, si vous saviez !  Je vous souhaite une agréable soirée, la salle à manger se trouve au sous-sol, le dîner vous sera servi vers 21 heures.

Sur ces paroles, elle sortit gracieusement, me laissant sur mes questions, et sur ma faim. Je regardais les bonbons, en me demandant quelles hallucinations allaient encore m’envahir si je les goûtais, déjà que j’entendais des voix, sans avoir rien bu !

A suivre …

Croix de la Romanée Conti

Photo M. Christine Grimard