
Photo Marie-Christine Grimard
Quand j’étais enfant, j’avais la grande responsabilité d’aller chercher le lait à la ferme le soir après la traite.
Il fallait suivre le chemin de gravillons qui serpentait au milieu des champs. En juillet les blés étaient si hauts et j’étais si petite que je ne voyais que le ciel au-dessus des épis. D’aventure il arrivait qu’un oiseau énorme plane au-dessus moi. Je baissais la tête de peur qu’il ne m’emporte. Avec le recul je pense que c’était un épervier, mais à cette époque-là, je croyais que c’était un aigle royal. La légende disait qu’ils étaient assez forts pour enlever un agneau pour nourrir leurs petits dans les montagnes d’estive. J’en tremblais. Quand l’oiseau s’éloignait, je me relevais pour le voir planer dans l’immensité du ciel, il était si majestueux que je regrettais qu’il ne m’ait pas emportée avec lui finalement.
J’avais lu toutes les histoires de Mark Twain, et certains soirs le chemin de graviers devenait le Mississipi. J’en descendais le cours, pilotant mon bateau à roue. En fermant un peu les yeux, je voyais Tom Sawyer qui me faisait signe sur la berge. Après le virage, on entendait les pirates vociférer. Chaque soir, ils me rattrapaient juste avant que j’arrive à la ferme. Le bateau pirate, c’était le tracteur du fermier qui rentrait des moissons avec son fils Philippe juché sur le garde-boue de la roue arrière, en guise de vigie. Ce qui m’impressionnait, c’était la fourche aux dents griffues qu’il portait sur l’épaule. Elle paraissait cent fois plus dangereuse que tous les mousquets des pirates des Caraïbes et d’ailleurs. Une fois, il m’avait laissé la manipuler, mais elle était beaucoup plus grosse que moi et je pouvais à peine la soulever. L’année suivante, sans rien me dire, il m’en avait fabriqué une réplique miniature juste à ma taille et j’avais eu la permission d’aller aider à faire les moissons. Je sens encore l’odeur de ce foin coupé et j’entends crisser sous mes pieds les fétus de paille grillés par la chaleur de juin.
Pour grimper jusqu’à la ferme, on empruntait un escalier de pierres du pays. Elles prenaient une teinte de lingots d’or que les derniers rayons de soleil illuminaient. Je m’imaginais que ces petites incrustations de quartz dorées étaient de véritables pépites. A la troisième marche, on passait devant le soupirail de la cave où une odeur âcre de terre moisie prenait à la gorge. Il fallait passer vite et ne pas regarder, sinon le croquemitaine des caves risquait de vous happer pour que vous lui serviez de repas du soir. Je ne croyais pas à cette histoire, mais par prudence, je préférais tourner la tête de l’autre côté en passant devant cette ouverture obscure. On ne sait jamais…
A suivre
(Extrait de
D’ici et d’ailleurs, 13 nouvelles
Marie-Christine Grimard)
Quel plaisir de retrouver une de tes 13 nouvelles D’Ici et d’Ailleurs 👌
Je te souhaite une très bonne fête Marie-Christine, même si je ne suis pas sûr que ce soit la bonne date.. 🤔
En tout cas le cœur y est ! 💗
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Oui je l’ai exhumée et un peu réécrite pour l’occasion. Il faudrait que je fasse une suite si j’en trouve l’énergie.
Grand merci à toi Christian de les avoir lues et appréciées. J’en suis très touchée 🙂
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Merci pour la fête ; oui c’est ce jour de la sainte Marie qui est la fête que je préfère 🙂
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Belle photo et texte joliment relatif…
Les tracteurs sont des engins (ou des créatures) diaboliques et oniriques. 😉
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Merci beaucoup pour votre visite 🙂
Les tracteurs pétaradants ressemblaient à des robots surnaturels dans le regard d’une enfant. La SF n’a rien inventé finalement !
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Superbe texte.
Merci Marie-Christine.
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Merci Francine !
Comme vous le voyez je ferai durer le plaisir sur quatre jours, j’espère que la suite vous plaira aussi 🙂
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Je suis contente d’avoir trouvé la référence de téléchargement de vos nouvelles sur le site Les cosaques des frontières. Je pourrai tranquillement les découvrir et je suis sûre que je ne serai pas déçue…
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Merci pour votre confiance cependant en les relisant je pense modifier légèrement les textes ayant vu des lourdeurs et fautes de temps. Celle-ci a donc été modifiée, vous pourrez la lire en quatre jours. J’en ai aussi quelques unes pour la suite…
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Je suivrai donc cette version…
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Oui
Avec le temps les textes comme les vieux greniers pleins de souvenirs ont souvent besoin d’un peu de ménage 🙂
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Comme j’aime beaucoup cette description de ce # Le bateau pirate, c’était le tracteur du fermier qui rentrait des moissons avec son fils assis sur le garde boue # ça me rappelle de bons souvenirs de ma jeunesse. Très beau partage . Bonne soirée à vous
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Grand merci Georges. Je suis contente que mes souvenirs d’enfance raisonnent avec les vôtres. Pour nos générations, les fermes n’étaient jamais très loin, et c’était des lieux où nous apprenions la vie tout simplement. Aujourd’hui, elles sont reléguées bien loin des villes et leur nombre s’est grandement réduit, et les enfants n’ont aucune idée de la taille réelle d’une vache.
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Merci du partage. Bonne soirée
Fred
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Merci pour votre passage ici et ce commentaire 🙂
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