« Il y a une étoile mise dans le ciel pour chacun de nous, assez éloignée pour que nos erreurs ne viennent jamais la ternir. »
Christian Bobin
Le chien monstrueux était désormais doux comme un agneau, il semblait ronronner en fixant l’inconnu d’un regard d’adoration. Celui-ci siffla et l’animal bondit à ses pieds, offrant son énorme tête à la caresse d’une main qui était plus fine que son museau.
Christian osait à peine respirer, fasciné par la scène. Mais, ne lui laissant pas le temps de réfléchir, l’inconnu lui fit signe de le suivre. Sans attendre la réponse, il se dirigea vers la grille du parc. Christian lui emboîta le pas sans savoir pourquoi. Il fallait qu’il le suive et en apprenne plus sur lui. Il fallait qu’il sache…
Ils marchèrent longtemps, suivant les ruelles sombres et les grands boulevards, le chien trottinant sur leurs talons. Les quelques personnes qu’ils croisèrent, s’écartaient en jetant un coup d’œil méfiant à l’animal. Christian ne connaissait pas ce quartier de la ville, mais il n’avait pas envie de rebrousser chemin. Arrivés devant un immeuble ancien et sombre, l’inconnu poussa la porte cochère et se tournant vers Christian, s’effaça pour le faire entrer. Christian eut un instant d’hésitation, puis baissant le regard, avança vers l’entrée obscure de l’immeuble.
L’inconnu de dirigea vers une cour intérieure, la traversa jusqu’à une porte vitrée découpée dans ce qui semblait être la verrière d’un atelier ancien. Il sortit de sa poche une clé massive et ouvrit dans un fracas métallique qui se répercuta jusqu’au dernier étage.
Christian restant au milieu de la cour, l’inconnu siffla et le chien obéissant se plaça derrière lui et le poussa doucement mais fermement de son énorme museau. Difficile de refuser une invitation de ce genre !
À l’intérieur de l’atelier, étaient exposées de nombreuses huiles sur toiles, des aquarelles, des dessins au fusain et des gravures. Les murs en étaient tapissés, sauf celui de gauche où étaient suspendues des photographies en noir et blanc. Christian était fasciné par la beauté de ces images, où le style était facilement reconnaissable d’un support à l’autre. Il s’agissait principalement de portraits, d’êtres très différents mais qui avaient en commun un regard extraordinaire. Ils semblaient vivants, animés par une lumière provenant de l’intérieur du tableau. C’était très inhabituel, Christian se sentait presque intimidé devant ses regards, comme s’ils le dévisageaient. Il avait presque l’impression de les avoir dérangés.
« Je vous offre un verre, si vous voulez ? »
Christian, surpris par cette voix qui brisait le silence de ses réflexions, se retourna vers son hôte. Il avait quitté sa capuche et il vit enfin son visage fin, très pâle aux traits réguliers, presque féminins. Son regard l’attirait surtout et il ne pouvait s’en détourner.
Il se contenta de hocher la tête silencieusement. L’inconnu sourit et se retourna pour saisir une bouteille et deux verres sur l’étagère derrière lui. Le suivant du regard, Christian remarqua un triptyque sur le mur du fond. C’était une série représentant deux personnages vêtus à la mode de trois époques différentes, posant dans une clairière en se tenant par les épaules, devant eux un énorme chien était allongé, les pattes croisées, semblant sourire en découvrant ses crocs d’une longueur effrayante.
Ce chien semble identique à celui de l’inconnu, se dit Christian en les regardant tour à tour. Un peu troublé par cette coïncidence, il s’attardait sur les visages des deux personnages. De plus en plus intrigué, il n’osait en croire ses yeux. Même sourire, même regard, même forme des visages, même cheveux.
L’homme de droite était le sosie de l’inconnu qui lui offrait à boire et l’homme qui le tenait par les épaules semblait être son propre jumeau.
« Ne vous inquiétez pas, les apparences sont parfois trompeuses. La réalité est souvent plus simple que ce que l’on imagine. Venez vous asseoir, la soirée est belle… »
L’inconnu lui désignait un banc placé contre la verrière, où il prit place lui-même.
Christian ne savait plus où il était, ni l’heure qu’il était. Peu lui importaient le jour, l’heure ou le lieu, il voulait seulement rester là, auprès de ces deux êtres sortis de nulle part, et connaître leur histoire. Il avait l’impression d’être revenu à la maison sans avoir jamais mis les pieds dans cet immeuble auparavant. Il y avait quelque chose caché derrière ces mots, derrière ce regard fascinant, et il devait comprendre quoi…
Lui revenaient en boucle, les phrases de son rêve récurrent :
Je suis plongé dans ce rêve,
Encore une fois.
Toujours le même.
Et je te vois
Je sais que c’est toi et pourtant je ne sais pas qui tu es.
Il prit place auprès de l’inconnu, saisit le verre qu’il lui tendait et fixa en silence ces prunelles d’allure si familières…
–> fin <–