Atelier d’écriture de @fbon : « Comment j’ai fait /Duras »

Si vous avez envie de le lire, voici le texte que j’ai envoyé à François Bon pour son atelier d’écriture d’hiver « Vers un écrire-Film » sur Duras  où vous trouverez aussi toutes les autres contributions.

***

Je n’avais plus d’inspiration, l’impression de flotter dans le vide, la tête pleine de courants d’air. Retrouver le fil d’une histoire quand on n’en connaît ni l’incipit ni le dénouement, n’est pas chose facile. Parfois, l’or se cache sous le sable, il faut savoir attendre que l’eau rejaillisse pour le voir briller. Mais une rivière à sec ne mène nulle part. Je décidais d’aller dormir, après tout, autant s’occuper sainement, plutôt que de morfondre devant une page blanche. Il ne lui fallut que quelques secondes pour surgir dans la marge en passant par la couture centrale, juste au moment où j’allais refermer le carnet. Je ne vis que son regard, intense et désespéré. Reposant le carnet et le stylo devant moi, je gardai le silence. Il bondit sur le plateau du bureau dont la nuance chêne clair faisait ressortir l’éclat de ses rayures fauves, et s’installa sur un noeud du bois pour me narrer son histoire. Derrière lui, sa queue majestueuse battait l’air, ponctuant nonchalamment ses phrases. Son enfance libre puis sa jeunesse errante et enfin ses années de captivité, qui l’avaient plongé dans une sidération douloureuse où la colère faisait bouillir ses veines, il n’oublia aucun détail. À la fin de son récit, les larmes emplissaient son beau regard. L’une d’elle glissa sur le pelage de son museau et vint s’écraser sur mes doigts, me faisant exploser le cœur. Il se coucha sur la page de gauche, émettant un grognement approbateur lorsque je saisis mon stylo et commença à retranscrire son histoire mot pour mot. À la fin de mon texte, il posa une patte sous le dernier mot, comme s’il voulait y apposer sa signature, croisa une dernière fois mon regard, puis prenant appui sur la ligne rouge de la marge, il disparut derrière le point final. J’eus beau fixer ce point durant plusieurs minutes, espérant le voir ressurgir, il ne revint jamais. Mais en me penchant pour examiner la page à jour frisant sous ma lampe de bureau, il me sembla distinguer une empreinte féline dont les coussinets avaient dessiné un prénom à l’encre sympathique : Jack.

Confessions intimes 24 : Quasimodo

Quasimodo

Photo M. Christine Grimard

 

Je ne sais pas si je parviendrai un jour en haut de cette dune.

Quelque chose me retient sur cette pente et je ne sais pas quoi. Chaque nuit, j’essaye de faire avancer mon pied droit au prix de mille contorsions et chaque matin je m’endors, épuisé, sans avoir bougé d’un pouce.

Je ne sais pas pourquoi je suis resté pétrifié ici. Nous étions une dizaine et puis au matin, je me suis réveillé seul. Il faut dire que la nuit précédente, je n’avais pas beaucoup dormi. L’orage avait déchiré le ciel jusqu’au petit matin. Tous les oiseaux étaient partis. Tous mes frères, aussi !

Cette nuit-là restera gravée dans ma mémoire à jamais. Mes frères étaient très grands et très forts pourtant. A côté d’eux, je n’étais qu’un fétu de paille. Ce sont eux qui ont été emportés par la tempête, arrachés à la falaise en quelques minutes. Je me suis recroquevillé sur moi-même quand la foudre est tombée à quelques centimètres de moi. Quelques-unes de mes branches ont pris feu. Ce fut la pire nuit de ma vie. Je n’ai jamais eu aussi peur de disparaître en fumée, mais la pluie a redoublé de violence juste à l’instant où ma chevelure allait s’embraser et tout s’est éteint. J’ai remercié le ciel de m’avoir épargné, mais depuis cette nuit d’enfer, je ne suis jamais arrivé à me redresser…

De quoi ai-je l’air, désormais, moi le fier pin maritime ?

Je suis déformé comme si l’on m’avait torturé. Je suis difforme. Je suis infirme. Les oiseaux me chevauchent en gloussant. Les mouettes me manquent de respect, même les lapins arrivent à grimper sur ma tête. Je n’aurais jamais cru tomber aussi bas. J’aurais dû être droit comme un I et tutoyer le ciel. Au lieu de cela, je rampe sur cette falaise jour après jour, nuit après nuit.

Les enfants du village m’ont surnommé « Quasimodo ». Au début je croyais que c’était pour se moquer de moi et puis un jour, ils sont venus passer une après-midi à mes côtés. La jolie Laurette avait apporté plusieurs livres et ils ont commencé à jouer une scène d’une pièce de théâtre où il y avait un Quasimodo, très malheureux et très courageux. J’ai compris que me baptiser du nom de leur héros était un honneur qu’ils me faisaient. Depuis je suis très fier d’être un peu leur ami.

Ils sont gentils ces petits, même s’ils veulent se faire passer pour des durs. Moi, je connais leurs désirs et je sais qu’au fond, ce qu’ils espèrent c’est une vie heureuse pleine de rires et d’amour. Ils se déguisent pour avoir l’air de ce qu’ils ne sont pas mais je sais qu’ils ne feraient pas de mal à une mouche. Un jour, ils ont même sauvé un chaton égaré en haut de mes branchages. C’est le grand Yann qui l’a attrapé et redescendu en bas de la falaise en le coinçant entre sa chemise et son tatouage en forme de tête de mort. Le chaton semblait fasciné par les orbites vides du crâne noir et ne bougea pas d’un iota durant toute la descente. Gwenaëlle a décidé d’adopter le chaton et de le prénommer « Chanceux » et il est devenu la mascotte du groupe.

Des apprentis-rockers ayant un chaton pour mascotte, on aura tout vu !

Quand ils ont des joies ou des ennuis à partager, ils le font toujours à l’ombre de mes épines.

Quand ils ont réussi leur bac, ils sont venus le fêter au pied de ma falaise, ils ont chanté et dansé toute la nuit autour d’un feu de camp. J’avais un peu peur de leur feu mais je n’ai rien montré. Depuis la nuit de la tempête je n’ai jamais pu oublier ma peur du feu. J’aime surtout quand ils apportent leurs guitares, je crois que si j’avais été humain, j’aurais été guitariste.

Ou peut-être violoniste, comme Morgane ! C’est encore plus aérien le son du violon. Morgane est trop souvent absente à mon goût. Quand elle est là, tout est différent. Ils l’écoutent comme si elle détenait toute la sagesse du groupe. Avec elle, l’ambiance est plus douce. Et quand elle prend son violon et y pose délicatement sa joue, tous se taisent. Le chant de son violon est plus doux que celui des elfes de la lande. Même l’océan retient ses vagues pour mieux l’entendre. Chaque fois, c’est un moment de pure magie. La dernière fois qu’elle est venue, j’ai vu l’elfe de l’étang venir se poser sur la vieille yeuse, au sommet de la dune, pour y déguster ses notes. Elle est restée immobile, les yeux fermés durant tout le morceau. Je l’entendais chantonner doucement, sa voix cristalline suivant les trilles. Elle avait l’air extatique, mais j’étais le seul à le savoir, aucun humain ne peut entendre une voix d’elfe. Enfin, je dis cela, mais je me demande si Morgane ne l’a pas entendue. A la fin de son morceau, elle a levé les yeux vers le haut de la dune et elle a fait un petit signe de tête, juste au moment où l’elfe a repris son vol…

Mais je bavarde, je bavarde, et le temps passe.

Il faut que je profite de tous ces moments passés en leur compagnie. Le temps s’enfuit si vite pour les humains. Bientôt mes petits partiront pour d’autres rivages, et ils m’oublieront. Enfin, peut-être pas. Oublie-t-on jamais les moments heureux de sa vie ?

Oublie-t-on vraiment ceux que l’on a aimé ?

Je sais qu’ils ne m’oublieront pas parce je crois qu’ils m’aiment.

Et quoi qu’on en pense, cela réchauffe mon vieux cœur de bois…

 

Texte et photo M.Christine Grimard

Confessions Intimes 23 : Pharo

iphone chris 016

Photo M.Christine Grimard

Ils m’ont abandonné.

Je suis tout seul pour affronter l’océan.

C’est fini, plus personne ne viendra éclairer mes nuits de sa chaude présence.

Je resterai à jamais un amas de pierres de taille froides, saumurées par les embruns.

Le dernier gardien a raccroché ses gants derrière ma porte, l’année de la grande tempête. Ils ont décidé que mon rocher était trop dangereux pour conserver une présence humaine dans mes entrailles. Ils m’ont déshumanisé. Ils m’ont robotisé. Ils m’ont abandonné !

Pourtant, je suis là depuis deux siècles. Ils ont monté mes pierres à la force de leurs bras, contre vents et marées. Ils ont opéré en été, attendant que la mer soit basse et calme pour apporter mes pierres taillées depuis le continent sur des barges plates. Certaines ont chaviré, poussées par les courants sur les écueils qui entourent mon île. Par ici, les vagues sont souvent traitresses et plus d’une fois elles ont emporté mon piédestal avant son achèvement. Mais ils se sont obstinés, et leur volonté a été plus forte que l’océan.

Un beau matin d’automne, ils m’ont « inauguré ».

Monsieur le Maire avait mis sa belle écharpe sur son ventre proéminent, il a fait un magnifique discours et tout le monde a applaudi. Il avait à peine fini de parler qu’une lame facétieuse a traversé l’îlot, venant se jeter sur la fenêtre du premier étage éclaboussant ma lentille de son écume salée. Toute l’assemblée fût trempée, les dames virent leurs chapeaux détruits, les messieurs en gardèrent la moustache piteuse et salée durant toute une semaine. Je ne pus m’empêcher de m’en réjouir mais personne n’entendit mon rire couvert par les cris moqueurs des mouettes.

C’est un de mes meilleurs souvenirs. Pourtant depuis deux siècles, il y en a eu beaucoup…

J’en ai connu des tempêtes et des calmes plats. J’en ai connu des générations de gardiens, au caractère plutôt bien trempé, ce qui est normal pour un gardien de phare de haute-mer, c’est même une qualité indispensable pour ne pas mourir de peur ou d’ennui ici. Je peux me vanter de n’avoir jamais eu de naufrage à déplorer dans mon secteur, tous mes gardiens étaient des hommes d’honneur. Je me suis attaché à eux, et parfois même à leur famille. Je me souviens de ce petit Gaël fils de Gwendal, qui était né ici un soir de tempête, sa mère n’ayant pu regagner le continent à temps au milieu de l’automne rugissant qui nous encerclait depuis plusieurs semaines cette année-là. Cette arrivée au monde mouvementée ne l’avait pas dégoûté des embruns puisqu’il a appris à marcher sur mes rochers et que quelques décennies plus tard, il a pris la suite de son père dans la loge du gardien.

Je l’aimais cet enfant, il était courageux et toujours rieur, ne pleurait jamais quand il s’écorchait aux aspérités de mon granit. Il a grandi dans mes entrailles et quand il est devenu un jeune homme magnifique et qu’il est parti sur le continent pour faire ses études, j’ai cru que j’allais en mourir. Une nuit de profonde tristesse, j’ai même laissé ma lentille se couvrir de buée et ma portée a tellement faibli que l’on entendit des cornes de brumes hurler toute la nuit, les navires ne sachant plus où ils se trouvaient. Je n’en suis pas fier, cependant. Mais il est vite revenu et a fini sa vie à mes côtés. Il ne pouvait plus se passer de moi puisqu’il a même souhaité que ses cendres soient dispersées à mes pieds. C’est un hommage qui m’a beaucoup touché. C’est pour lui que je continue, malgré le temps qui s’étire, malgré le vent qui cingle et les tempêtes qui griffent.

C’est le souvenir du courage de ces hommes qui m’ont habité, ont entretenu ma lanterne jour et nuit pendant des vies entières, ont aimé la solitude avec moi, c’est ce souvenir qui me pousse à rester droit sur mon rocher.

Sinon, sans le souvenir tous ces cœurs qui ont battu pour moi, je n’aurais plus la force de continuer à braver l’océan. On n’est pas de bois, tout de même !

 

Texte et photo : M. Christine Grimard

Confessions intimes 22 : Jumelles

DSC_0397

Photo M. Christine Grimard

Le jour se lève.

Encore une journée comme les autres, sans surprise. Une journée de cire, figée dans le temps. Une journée de silence, sourde et muette.

Ils sont partis depuis si longtemps. La maison est vide sans eux. La maison est morte sans leurs rires.

Et nous sommes là toutes les deux, immobiles et abandonnées.

J’aime quand ils sont là, le bruit de leur vie me berce. Il me rappelle celui de la mienne. Il me rappelle la chaleur du soleil sur mes joues, la fraîcheur des vagues sur mes jambes, la saveur du miel sur ma langue, la caresse du vent dans mes cheveux. A travers eux, je vis encore, je ressens encore.

Ils sont partis avec l’arrivée de l’automne pour leur maison en ville. Leur vie est là-bas, rien ne peut les retenir ici lorsque l’été s’en va pas même le spectacle des grandes marées. Ils n’ont jamais compris que l’océan est plus vrai sous le vent d’hiver. Chaque fois qu’ils disparaissent, mon sentiment d’abandon est plus fort.

Ma sœur essaye de me consoler en me disant que nous sommes ensemble. Je n’ose pas lui dire que ne sais plus si je suis heureuse d’être encore là ou bien si l’éternité me pèse. Je ne sais pas si je pense encore ou si tout ceci n’est qu’un rêve. Je ne sais plus si j’existe encore ou si je ne suis qu’une poupée de cire. Je ne sais plus si ce cauchemar est le mien ou celui de ma sœur.

Il y a des avantages à être encore là. Je peux encore imaginer la caresse de la lumière qui traverse les persiennes sur ce qui me tient lieu de peau. Je peux encore apprécier le chant des cigales à la fin du jour. Je ne souffre plus de la faim ni de la soif. Je ne ressens plus la douleur et je n’aurai jamais de rides…

J’avais si peur de vieillir, que mes yeux perdent leur éclat que ma beauté se flétrisse, que j’ai tout tenté pour éviter cela ; un peu trop d’ailleurs puisque j’ai entraîné ma sœur dans cette galère éternelle. Nous étions jumelles, un seul détail nous distinguait, la présence d’un grain de beauté invisible sous nos vêtements dont je garderai l’emplacement secret par pudeur. Peu importe maintenant, tant d’eau est passée sous les ponts, emportant les modes et les convenances dans les flots du temps. Tout faire pour que l’on nous confonde était un jeu que nous cultivions. Nous échangions nos vêtements ou nos places à l’école pour piéger les étrangers. Nous étions farceuses, facétieuses, moqueuses et parfois cruelles et méchantes. Je le regrette maintenant que je n’ai plus le choix. Il n’y a plus moyen de rattraper certaines horreurs que j’aie pu commettre, plus moyen de se racheter. Pourtant, j’aurai toute l’éternité pour le faire.

J’ai souvent pensé que si on en était arrivé là c’est parce que nous l’avions bien cherché, surtout moi. Je le regrette tellement pour ma sœur. Moi, j’ai bien mérité cette punition, comme le disait la mère supérieure du pensionnat de notre enfance : « Tout se paye mes enfants, en monnaie sonnante et trébuchante : chaque bonne action et chaque mauvaise action ! »

Et moi, j’ai ouvert un crédit illimité !

Ce jour-là, je n’aurais jamais dû me rendre à cette fête foraine, je n’aurais jamais dû rire de ce garçon, je n’aurais jamais dû me moquer de cette vieille cartomancienne, je n’aurais jamais dû lui jeter ses cartes à la figure quand elle m’a dit que ma beauté sans bonté ne serait pas éternelle, je n’aurais pas dû me moquer de sa magie de pacotille.

La dernière chose dont je me souvienne est ce corbeau qui planait au-dessus de nous sur le chemin du retour. Le dernier geste dont je me souvienne est d’avoir attrapé la main de ma sœur et de l’avoir serrée très fort lorsqu’il a plongé vers nous…

Mais voilà que je m’agite comme à chaque fois que je ressasse cette histoire de fous !

Ma sœur se réveille, elle va encore s’inquiéter pour moi.

Rendors-toi encore quelques heures ma belle, encore quelques mois. Ne t’inquiète pas. Tout va très bien. On n’a qu’à faire comme si l’on s’était endormies. Regarde : la vie est belle et le soleil nous éclaire. Je suis là avec toi, on reste ensemble…

*

AOUT 2 2015 056

Photo M.CH Grimard

Confessions intimes 20 : Max

DSC_0309_3

Photo M. Christine Grimard

Le jour se termine.

Encore un jour à attendre au bord de cette plage, encore un jour sans lui.

Pourtant, il avait dit : « Tu m’attends ici, Max, je reviens tout de suite. »

Je savais bien que tout de suite pour un humain, ne signifie pas grand-chose. Moi, quand je pense tout de suite, cela veut dire l’instant d’après, juste le temps d’aller faire un tour au fond du jardin de débusquer les trois tourterelles qui nichent dans le hêtre pourpre pour le plaisir de les voir s’envoler offusquées, juste le temps de suivre la trace d’un lapin de garenne jusqu’à l’entrée de son terrier, et de revenir.

L’instant d’après, cela signifie, juste le temps de reprendre son souffle. Juste le temps de s’apercevoir que son odeur me manque…

Tout de suite, pour lui, cela signifie : quand j’aurais fini de courir le monde !

Je suis un peu énervé ce soir. Cela fait si longtemps qu’il est parti : des jours et des jours, des jours et des nuits.

Les jours encore, j’arrive à m’occuper sans trop penser à lui. Il y a tant à faire.

Vous ne me croyez pas ? Alors je vais vous expliquer ce qu’est une vie de chien de garde comme moi. Une vie de forçat, ni plus ni moins ! Le matin je l’accompagne pour aller nourrir les chevaux, il faut que je fasse bien le tour des clôtures, on ne sait jamais, si un renard était passé par là durant la nuit. Les poulains pourraient être effrayés et se blesser.

Elle a tant de travail surtout depuis qu’il a pris cette barque. Elle est seule pour tout faire jusqu’à ce qu’il se décide à revenir. Elle est partout, tout le temps, mais ce sont les chevaux dont elle s’occupe le plus. Je crois que cela l’empêche de penser à lui quand elle est avec eux. Ils le lui rendent bien cet amour, surtout les poulains. Elle aime ses chevaux, elle aime ce pays de vent, mais je crois que c’est moi qu’elle préfère.

Les jours, je m’occupe d’elle. Je garde tout ce petit monde des renards et des importuns. Je suis effrayant vous savez, quand je veux. Vous n’avez jamais vu mes crocs ? Quand je retrousse mes babines, les faisant briller dans le soleil, tout le monde recule d’un pas. Cela me fait bien rire. Et si j’ajoute un grognement, celui que mon père m’a appris, celui qui remonte du fond de mes entrailles, celui-là même que mon père tenait de son cousin croisé de loup. Écoutez un peu ça !

Grrrrrrrrr….

Vous voyez ! vous avez reculé, personne ne me résiste !

Les jours, je m’occupe mais les nuits…

C’est si long la nuit quand on ne dort pas. Quand on pense à l’odeur de ses mains quand il caressait mon museau, à l’odeur de ses cheveux quand il les secouait dans le vent. Il était mon maître, il était mon Dieu, il était mon ami…

Quand ce « Tout de suite » finira-t-il ?

Je l’entends qui arrive derrière moi, je reconnaitrais son pas léger sur le sable entre mille. Elle est venue me chercher comme chaque soir. J’ai dû oublier l’heure.

Ah oui, les oies passent devant le soleil. Il va bientôt faire nuit. La marée remonte.

Il est temps d’aller coucher les poulains. Elle me regarde de ses yeux de soie, je lui lèche la main et cette lueur si triste s’estompe un instant.

Un instant !

Et lui là-bas, s’il le voyait ce regard, il reviendrait c’est sûr !

Elle s’éloigne vers la dune. Il faut que je la suive. La nuit va bientôt tomber.

Je jette un dernier regard vers l’horizon où rien ne bouge comme chaque soir.

Rien ne bouge …

Rien…

Mais si ! quelque chose a bougé, là-bas sur l’horizon !

Une voile bleue, une voile blanche. Comme les siennes. Je m’approche des vagues bien qu’un coup de vent me repousse. Le vent du large apporte des odeurs de varech, de mousse, de goélands. Je n’aime pas l’odeur des goélands, elle est très proche de celle des poissons avariés. Beurk.

Mais derrière l’odeur du varech, il y a une odeur de musc, une odeur de peau, une odeur de cheveux, une odeur de tabac… Mais oui, cette odeur, je la reconnaitrais entre mille !

J’aboie, j’aboie, je ne m’arrête plus. Je hurle, je crie, je tempête, je frétille. Je cours le long de l’estran. Elle s’arrête au pied de la dune et se retourne :

« Max, arrête ton cinéma, tu as assez joué pour aujourd’hui ! »

« Joué ! Woua Woua Woua. Joué ! mais qu’est-ce qu’elle raconte ? Je ne joue pas ! Va-t-elle comprendre enfin ? »

Je ne bouge plus. Je tiens ma piste, je tremble juste un peu. Je la regarde puis me retourne vers la voile qui grossit à l’horizon et je m’entends gémir. Je ne fais pas exprès, je ne peux plus m’empêcher de gémir. Et je tremble, de plus en plus fort. SI les renards me voyaient, ils n’auraient plus jamais peur de moi. Il faut que j’arrête de trembler, mais je ne peux pas !

Elle revient vers moi, elle pose sa main sur mon museau et regarde la voile au loin. Elle m’appelle doucement. Sa voix tremble, si faible que le vent l’emporte :

« Max, Max, qu’as-tu vu ? Max, dis-moi ! »

J’aboie, je danse devant elle, je saute autour d’elle. Alors elle me croit. Elle pleure. Elle s’agenouille devant moi et entoure mes épaules de ses bras. Elle a compris. Elle crie avec moi, elle se relève et fait des grands gestes vers l’horizon avec les bras.

Peu à peu la voile se rapproche. Elle ne dit plus rien, elle attend avec moi. Je m’assois près d’elle et fais comme si je n’avais pas vu ses deux grosses larmes tombées sur mon front. Ma queue n’arrête pas de battre le sable, malgré moi, mais je ne tremble plus. Il n’y a plus à avoir peur, puisqu’il revient.

Finalement « Tout de suite » ça n’était pas si long…

Tout de suite pour les humains, ça doit être le temps nécessaire pour aller faire un tour au fond du monde, de débusquer quelques tourterelles, de faire un petit tour d’océan. Les humains ne savent pas que la vie est courte, ils pensent toujours qu’ils ont le temps de perdre leur temps. Il faudra que je lui explique que le temps de l’amour, ça ne se dépense pas sans compter. Il faudra que je lui explique que le temps de l’attente, pour un chien, c’est aussi grand que l’océan. Il faudra que je lui dise que toute la vie d’un chien, ça n’est pas plus long qu’une caresse…

Texte et photo M. Christine Grimard

Confessions intimes 18 : Pictura

IMG_8018

Photo M. Christine Grimard

 

 

Encore un matin, beau et blond sous mes doigts.

J’aime ces petits matins où l’océan, mon père, se retire et me laisse un immense tableau vierge.

Tout m’est permis.

Mon père, Neptune m’a donné ce don. Mes sœurs disaient que j’étais sa préférée, et qu’il m’avait fait le plus beau des cadeaux, le don de l’Art. Elles disaient qu’elles n’avaient hérité que du mauvais côté des océans.

Elles ont la lourde tâche de préserver notre monde des bêtises des hommes. Je reconnais que leur travail est de plus en plus lourd. Moi, je n’ai rien d’autre à faire que d’exercer mon talent pour que le monde admire notre océan, pour que les hommes l’aiment. Secrètement, je me dis que si je réussis mon travail, les hommes apprécieront tant la mer, qu’ils n’auront plus envie de l’exploiter ou de la détruire. En fait, c’est moi qui sauverai le monde !

Que croient-elles mes harpies de sœurs ?

Que c’est facile peut-être !

A l’instant précis où la lumière pointe derrière l’horizon, je rassemble mon orchestre et je laisse libre cours à mon imagination.

Mes musiciens attendent que je sorte des vagues et que je me place en haut de la dune.

Ils retiennent leur souffle.

Ils sont prêts.

Musique Maestro !

 

 

Premier mouvement : Allegretto Accelerando. Les vagues glissent sur l’estran, se chargeant de sel et de sable. La musique monte, descend, glisse, s’insinue sous les algues, les soulève et se retire. D’abord les violons, puis les cuivres, puis les cymbales….

Second mouvement : Adagio Cantabile : Le sable devient mouvement, il danse avec le sel, s’étale et valse dans le ressac. Saturé d’eau, il dérape entre les galets, lèche les laisses de mer. Il serpente sous les courants, il coulisse sous les notes du vent.

Troisième mouvement : Espressivo Lento. Le sable se retire des vagues, avec une infinie douceur. Le vent se lève et le retient. Ils joutent, titubent et se traînent l’un l’autre par les cheveux.

Le silence retombe sur l’estran.

Les premiers promeneurs se montrent. Ils vont pouvoir admirer notre œuvre.

Chut ! tout le monde regagne ses pénates en silence…

Je m’élève légère au-dessus d’eux. Ils ne me verront pas de toute manière, je suis si transparente. Je veux voir la réaction de ce petit garçon. J’aime tant voir leur sourire devant mes œuvres…

 

Il court, les cheveux au vent. Il rit. Il aime le vent !

Il est beau cet enfant, si beau avec ses boucles brunes et ses fossettes.

Il s’arrête. Il lève les bras vers le ciel ;

« Maman ! Maman ! Viens voir, comme c’est beau ! »

Ça y est : il a vu mon œuvre. Oh comme j’aime son sourire. C’est ma plus grande récompense, le sourire des enfants.

 

 

Sa mère s’approche. Elle regarde les arbres que j’ai dessinés sur l’estran, elle regarde la lumière qui joue sur les ombres et habille mes baobabs d’étincelles. Elle sourit comme son fils et dit :

« Tu as raison c’est très beau ce que l’océan dessine sur le sable en se retirant, vraiment très beau ! Ne marche pas dessus, ça sera dommage de le faire disparaître… »

L’enfant lève les yeux vers le ciel et lui répond :

« Je ne vais pas l’abîmer maman, je ne voudrais pas faire du chagrin à la jolie fée qui l’a dessiné ! »

La mère rit et ébouriffe sa tignasse en passant.

« Mon fils, j’adore l’imagination que tu as ! »

Elle part en courant le long de l’estran en lui faisant signe de la suivre. Avant de lui obéir, l’enfant se tourne vers moi et me fait un clin d’œil en disant :

« Merci petite fée, ton dessin il est très joli ! »

Et il part, en me faisant un signe de la main.

Cette journée commence très bien. Encore un matin, beau et doux sous mes doigts. Tant qu’il y aura des enfants et des matins blonds, je ne me lasserai pas de dessiner pour eux…

Photo et texte M. Christine GRIMARD