Voici ma participation au cinquième volet de l’atelier d’écriture d’hiver proposé par François Bon, traitant du lieu, sur le tiers livre, où vous retrouverez les autres contributions.
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Elle a toujours aimé cet escalier en colimaçon, du genre de ceux que l’on trouve dans les châteaux forts s’enroulant autour d’un axe central. Petite fille elle l’imaginait comme la colonne vertébrale d’un escargot fabuleux ayant fait le vœux de quitter sa condition d’invertébré qu’une bonne fée au cheveux bleus aurait exaucé. Chaque fois qu’elle arrive dans ce vestibule, elle s’arrête sur la première marche, lève les yeux vers le ciel et admire la régularité parfaite des marches métalliques ajourées de triangles entremêlés. Elle aime leur ballet de lumière avec le soleil qui plonge du sommet de la tour. Elle se demande comment les hommes d’autrefois ont pu façonner un tel monument au temps où les chevaux étaient leur seule aide. Elle gravit les marches en faisant claquer ses semelles sur la structure métallique, chacune ayant un son particulier. Elle pense qu’elle saurait les reconnaître à l’aveugle tant elle les a entendues sonner depuis son enfance. Elle parvient au premier palier où le fenestron ogival émerge à peine des rochers à marée basse, un peu de varech est resté accroché au rebord du vasistas depuis la dernière marée d’équinoxe. L’odeur iodée qui lui chatouille les narines, la transporte aux plus beaux jours de son enfance lorsque son oncle l’emmenait relever ses casiers en mer d’Iroise. Elle poursuit sa progression jusqu’au second niveau où le parfum du varech laisse place à celui du large, mais ne s’arrête pas. Elle parvient au troisième niveau un peu essoufflée et s’arrête un instant. Sur le mur, on devine la trace de cette lame gigantesque qui avait emporté le châssis de la fenêtre lors de la tempête de 1999. Elle se souvient du bruit assourdissant des vagues ce soir-là, et des prières que les paroissiens avaient récitées toute la nuit, regroupés dans La Chapelle St-Matthieu. Elle passe le palier en courant, tant ces souvenirs de tempête sont lourds, et parvient au sommet. L’escalier se termine par trois marches de bois qui craquent sous ses bottines en guise de bienvenue. La dernière des deux cent trente et une marches contraste avec le sol carrelé du pavillon des lentilles. La lumière inonde la pièce ronde, se réfléchissant sur la lentille de la torche, produisant mille flammèches arc-en-ciel sur le plafond. Elle tourne sur elle-même saoulée de vent du large et se prend à rêver de déployer ses ailes et de s’élancer du haut de la tour jusqu’à l’île du levant. Le soleil se couche, le moment magique est passé. La torche s’allume, éblouissante. À regret, elle reprend l’escalier et s’enfonce vers les ténèbres, en tremblant un peu de rater une marche…