Va-Et-Vient numéro 12 : « Complicités » par Marlen Sauvage

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 12 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « Invalides».

Pour cet échange, j’ai le très grand plaisir de recevoir de nouveau sur cette page Marlen Sauvage qui publiera mon texte sur Les ateliers du déluge

Les autres échanges se déroulent entre :

Dominique Autrou sur  la distance au personnage reçoit Dominique Hasselmann qui publie son texte sur Métronomiques

Jérome Decoux sur carnet paresseux qui échange avec Isabelle-Marie d’Angèle

Le dernier échange réuni Nicolas Bleuscher sur Ateliers et Amélie Gressier qui le reçoit sur Plume dans la main

Pour le Va-Et-Vient numéro 13, le thème sera «l’invention d’un hasard». A vos plumes.

Voici le texte de Marlen

Complicités

Vous venez de prendre le sentier à droite dans la petite combe. Instinctivement, vous rentrez la tête dans les épaules, jetant vers le ciel un regard interrogateur : pleuvra-t-il finalement ou non ? Non, vous l’espérez, car vous n’en êtes qu’au début de votre marche. Ciel gris, nuageux. Le temps aujourd’hui ne sera pas votre allié. Vous allongez le pas le long du chemin qui borde le champ avant de remonter le long de la clôture. Vous vous questionnez sur ce rendez-vous, sur le lieu de ce rendez-vous. Le message annonçait quinze kilomètres, trois heures, et vous n’avez rien osé demander de plus.
Dans la descente, vous reconnaissez le Maupas, de triste mémoire. C’est un mauvais pas qui vous a entraîné ici, de mauvaises rencontres au mauvais moment. Vous poursuivez votre descente vers les maisons de Jouanes, en granite, rudes et austères sur ces terres pauvres en eau. La végétation a plus qu’ici souffert de la sécheresse, vous craignez les serpents, votre vigilance s’aiguise au fur et à mesure que vos pieds heurtent les cailloux et soulèvent la poussière. Votre marche vous conduit jusqu’au hameau de Nissoulogres, où les bâtisses paraissent enchevêtrées, vous narguant de leurs ouvertures étroites, ne laissant rien entrevoir de leur vie intérieure, vous tenant à distance vous, l’étranger, que leurs murs complices observent à votre insu. À droite, un petit sentier bordé de murets et de buis ouvre sur une piste plus large. Vous la poursuivez, haletant, dans la crainte inspirée par l’austérité du hameau que vous venez de dépasser, par le vol des vautours qui ne cessent d’accompagner vos pas depuis votre marche, et par ces rochers ruiniformes qui se dressent maintenant dans le paysage. Autant de comparses qui ne sont là que pour vous impressionner, pensez-vous alors.

Vous ressaisissant, vous reprenez les rênes de votre mental, votre raison vous rassure, vous marchez seul, mais vous décidez que rien ne vous paraît hostile à bien y regarder. L’hostilité réside dans la peur que l’on éprouve d’une situation, vous rassurez-vous. Vous arrachez le sac à dos de vos épaules, le posez à terre et sortez une gourde d’eau avec laquelle vous vous aspergez avant de boire quelques gorgées. Vous êtes en sueur, votre sac a collé votre T-shirt dans votre dos, le long de la colonne vertébrale s’insinue un filet de transpiration. Vous vous grattez, vous inspirez, vous regardez le ciel, le temps reste lourd.
Vous reconnaîtrez l’endroit, vous a-t-on dit : « un écrin de nature, un écrin de verdure, un écrin de végétation… ». Pour l’instant, vous n’avez fait que grimper, glissant sur des cailloux, traversant des pierriers, de part et d’autre où votre regard porte, c’est la minéralité du lieu qui s’impose. « C’est un pays de légendes où les fées et les elfes sautillent sur les pas de Gargantua », racontait le guide. Et tout à vos pensées, vous n’avez pas vu venir le décor face à vous : celui d’un point d’eau dans un paysage perdu, une oasis entourée de grands arbres, une clairière de lumière et d’ombre, des branchages au sol foulés par les animaux venus s’abreuver à la tombée du jour. Le tapis dérangé de l’automne, quelques égratignures sur l’écorce d’un bouleau – les bois d’un cerf peut-être – la brume naissante au ras du sol. Une retraite. Et vous vous arrêtez soudainement conquis par le silence du lieu. Par sa sérénité. Vous vous adossez à un tronc massif dont la rugosité efface les douleurs de votre dos. Enfin, une douce complicité s’installe entre vous et la nature sauvage, certes, mais rassurante. Vous savez que la route se poursuit au-delà de la clairière, qu’elle mène au « Hameau du lac » où personne ne vit plus. Vous savez que la rencontre aura lieu bientôt, sous cette voûte plus claire que vous apercevez. Vous vous laissez glisser dans la fatigue enveloppante, vous goûtez le compagnonnage de ce lieu inattendu, vous sombrez dans une somnolence peuplée d’étranges êtres. À votre réveil, un serpent rampe parmi les herbes, se glisse entre deux roches. Au moment où vous ressentez une brûlure insupportable, vous percevez le ballet des moucherons au-dessus d’une mue déposée sur le sol ; la terreur vous saisit, votre raison vous intime de rester immobile ; les heures se succèdent et vous engluent dans votre souffrance ; vous ne cherchez même plus à bouger ; la forêt bruit de murmures incompréhensibles ; la surface de l’eau n’offre qu’un miroir sombre à la nuit survenue, l’atmosphère se charge d’épouvante entraînant le retrait de tous les animaux venus se désaltérer sans crainte, mais ils reculent maintenant : biche, hérisson, chevreuil, grand cerf, blaireau, écureuil… Nul n’est plus bienvenu dans ce royaume au charme évaporé. Votre brûlure s’aggrave. Vous ne bougerez plus. Etait-ce cela la rencontre promise, attendue ? Cet écrin de verdure, vous auriez voulu lui échapper, tomber dans son envers, bondir hors du cadre, agripper un nuage et survoler l’endroit, glisser au-dessus de cet enfer. Toute complicité anéantie.

Texte et photo Marlen Sauvage

Va-Et-Vient numéro 11 : « Invalides » par Dominique Autrou.

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 11 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « Invalides».

Pour cet échange, j’ai le très grand plaisir de recevoir de nouveau sur cette page Dominique Autrou qui publiera mon texte sur son blog  la distance au personnage.

Les autres échanges se déroulent entre :

Dominique Hasselmann qui publie son texte sur Métronomiques

Marlen Sauvage sur Les ateliers du déluge et Isabelle-Marie d’Angèle

Amélie Gressier échange avec elle-même sur Plume dans la main

Pour le Va-Et-Vient numéro 12, le thème sera « Complicités ». A vos plumes.

Voici le texte de Dominique.

Ce récit est une suite possible au billet initialement paru le 2 février dernier sur le blog de Marlen Sauvage, dans le cadre du Va-et-Vient.

 

‒ Bon, la voiture est réparée.

Divine nouvelle. La veille au soir j’avais cru devenir fou, lorsqu’en rentrant dans la maison Alice se tenait devant moi, nullement essoufflée, avec en mains une liasse de ce qui m’avait semblé être, à première vue, quelques vieilles cartes Michelin :

‒ Je pensais que tu étais en haut. J’ai entendu du bruit et je suis montée.

‒ Non mais c’est moi qui te croyais restée en bas, et puis dehors j’ai vu un truc incroyable à la fenêtre.

‒ On n’aurait pas un peu trop bu ?

‒ Peut-être. Enfin cela n’explique pas tout.

Cela aurait pu en effet durer longtemps. Je ne devinerais jamais qui était à la fenêtre cette nuit-là, ou plutôt, puisque manifestement nous n’étions que deux dans la maison, je ne saurais jamais quelle Alice, quelle facette d’elle-même, m’était apparue sous cet angle angélique, si, et comment, et pourquoi, elle s’apprêtait à « performer » dans une farce médiévale ? Après tout, autant préserver le mystère et l’oublier ; celui-ci pourrait, qui sait, revenir au gré d’une introspection ultérieure, par une sorte de contagion dans le souvenir ; par exemple ce soir alors que j’écris ces lignes.

 

Oui la voiture est réparée, mon mari vient de m’appeler, il va me l’apporter.

‒ Ton mari ? Mais je croyais que c’était ton frère… 

‒ Non, c’est le frère du taxi. Et ne joue pas sur les mots. Pas toi. Mari ou frère, pour une femme tu sais bien que c’est souvent la même chose.

‒ (sourire) Attends un peu, en certaines circonstances je ne suis pas contre la précision. Là, la nuance m’échappe.

‒ (sourire, aussi) Et bien par exemple, toi, tu es un frère. Un vrai, dans un sens presque spirituel. Et tu ne seras jamais un mari. C’est plus clair, là ?

‒ (rire, carrément) Oui, oui, mille fois oui. C’est beaucoup plus clair, clair et net.

 

Nous avons beaucoup roulé. Sur la route, dans la Volvo d’avant-guerre on était comme au cinéma, dans un sublime drive-in, au prix il est vrai d’une consommation démentielle qui nous faisait faire le plein toutes les deux ou trois heures, et pas que du pop-corn. À moins que son réservoir ne fût sous-dimensionné, je n’ai jamais été fichu de manier la règle de trois censée amener au résultat lorsqu’on a bien retenu le nombre de litres à la pompe. L’autoradio (un Blaupunkt, avec ses gros boutons blancs) était presque d’époque, autant dire minimaliste et sommaire. Pas de FM, donc. Les grandes ondes ayant disparu de l’atmosphère depuis des lustres, là non plus aucun espoir. En revanche il y avait un commutateur sur la haute fréquence, et à ma grande surprise je me suis rendu compte que des émissions pouvaient encore y être captées. En particulier une radio musicale sans paroles, d’origine inconnue, peut-être un pays de l’est, qui apparaissait ou disparaissait à chaque virage. S’ensuivaient quiproquos et devinettes à propos du programme : là, c’est l’intro de tel morceau, mais ici, on dirait un autre air, non ? Alors quoi, un arrangement, ? une variation ? une fugue ?

On chantait sous les tunnels et en traversant les forêts pour combler les absences électromagnétiques et embrasser nos harmoniques dans l’habitacle feutré.

J’avais remarqué depuis le début du périple un détail qui me titillait. C’était une carte plastifiée bleue insérée dans un support collé sous l’angle gauche du pare-brise, avec son logo bien particulier. Une carte de stationnement invalidité, ancien modèle. J’ai fini par trouver le moyen de poser la question à Alice, l’air de rien. Dis donc, au fait, c’est quoi cette carte, quelque chose à voir avec ton mari ? Et bien, me répondit-elle, comme tu vois c’est une carte personnelle. Il y a quelques années je suis tombée malade : épuisement, stress, dépression. Le corps a souffert. Sur la foi d’examens et de quelques papiers remplis par mon médecin, il a été déclaré invalide. Médicalement, administrativement et même fiscalement. J’avais aussi un papier dans mon portefeuille pour l’attester. Je m’en suis sortie relativement vite, grâce au même médecin. C’est pour me souvenir de lui, lorsque je prends le volant, que j’ai conservé le titre sur le pare-brise de la voiture. Même s’il est périmé, avec lui je roule moins vite. Une fois retapée je ne me suis jamais garée sur les places auxquelles j’avais droit, il y avait nécessairement beaucoup plus invalide que moi, qui marchais encore facilement sur mes deux jambes. Et puis s’il m’arrivait, en ville, de dépasser l’heure à laquelle expire le ticket de stationnement, qui sait, peut-être aurais-je droit à un geste de compassion de la part du policier municipal ? On peut toujours rêver…

Nous sommes allés aux confins du Limousin, en Guyenne, presque jusqu’en Languedoc. Pour dormir on recherchait en priorité les hôtels dans le centre-ville, si possible vieillots, voire ringards, sans étoilement explicite ni compte-rendu élogieux dûment stipulé en façade. La plupart du temps il suffisait de demander le prix de la chambre au taulier ou à la tenancière, souvent occupés à essuyer les verres derrière le comptoir du bar en regardant à travers, dans un beau geste oublié, presque une déformation professionnelle. Paradoxalement (de l’avis d’Alice, mon expérience en la matière étant proche du néant), ces établissements sont plus propres et calmes que ceux, boursouflés, qui se revendiquent comme tels. C’est encore un mystère qui ne souffre quasiment d’aucune exception. Il fallait le vivre, bientôt ce monde-là n’existerait plus (et ici je signe, quand ça disparaît il est bon d’y être, par égards aux vivants). Et les volets, au matin, qui ouvrent sur l’animation d’un petit pays, quel bonheur. À l’abri des pulsions du monde moderne, drôle d’ironie.

 

Je ne suis pas certain que nous n’ayons pas contrevenu une fois ou deux à la règle du « frère spirituel », par… amour du vivant.

De retour à Cieux, il pleuvait. La surface de l’étang tremblait sous la brume. Pour remédier à cette grisaille humide on s’est servi un whisky tourbé sec. Avec des petites olives noires, ridées, juteuses.

Il allait falloir y penser, même si l’envie ne s’en manifestait pas de façon éclatante, alors j’ai demandé à Alice l’accès à son portable perso pour commander mon billet de retour. J’ai ouvert le capot, attendu l’ouverture de la session, le son du démarrage. Une petite pop-up vert pistache sur fond bleu ciel s’est ouverte dans un coin de l’écran, accompagnée de son bip intrinsèque, avant de se refermer illico. J’ai eu le temps de lire :

« Tu es revenue ? Est-ce qu’il est toujours là ? »

Dominique Autrou

Va-et-vient reprise : l’impossible solution

Voici mon texte pour ceux qui souhaiteraient le relire.

– Je n’aime pas quand tu as ce regard, ça ne présage rien de bon. La dernière fois ça a duré quarante jours…

– Je réfléchis fils ! Laisse-moi le faire en paix !

– Justement, c’est bien de paix que je me préoccupe lorsque tu cogites de cette manière. Tous ces cyclones et ces inondations ne me disent rien de bon. On a déjà donné dans le catastrophisme.

– Apparemment, ce n’était pas la bonne solution puisque personne ne s’en souvient, répond une voix derrière lui. Forcément, la plupart en sont morts et la tradition orale finit toujours par déformer les informations primitives. Les survivants ont la mémoire courte.

– Ne te mêle pas de notre conversation s’il te plaît. C’est un conseil de famille entre mon père et moi. Pas besoin de tiers.

– Un peu de respect mon fils, il a toujours été de bons conseils. Un Esprit tel que le sien nous est indispensable. C’est la sagesse personnifiée, le troisième angle du triangle.

– Dis plutôt que tu l’apprécies plus que moi parce qu’il se range toujours de ton côté. C’est ton clone, ma parole !

– Calmons-nous, sinon nous n’arriverons jamais à une solution acceptable. Disons que son regard de colombe m’apaise. Il voit toujours les choses de haut ce qui m’est très utile. Toi au contraire, tu ne vois toujours que ce qui t’intéresse. Tu es un grand naïf, croyant que les autres sont à ton image et que leur bon côté finira par triompher. Regarde où on en est avec tes idées de hippie. Le temps du « Peace and Love » c’est terminé. Il va falloir que tu redescendes sur terre !

– D’accord, d’accord. On réfléchit calmement. Je reconnais que depuis quelques années, les choses se dégradent. Avec le temps, au lieu de s’améliorer, elles vont de mal en pis. Ils n’apprennent jamais de leurs erreurs et les reproduisent inlassablement. Tu crois que je suis dans les nuages mais j’ai tout vu. Tout ! J’ai surtout compris où tu veux en venir. Tu penses qu’on s’est trompé et qu’il faut repartir de zéro. Tu veux jeter l’éponge. Je ne suis pas d’accord et tu le sais !

– Oui, tu veux toujours essayer de défendre l’indéfendable. C’est ton caractère, depuis ton enfance. Tu as toujours essayé de réparer les dégâts, relever les murs des lamentations, soigner les blessures, calmer les pleurs, ressusciter les morts, pourquoi pas. Parfois, il faut s’en tenir à la réalité. Il n’est pas possible de sauver le monde quand il est en flamme.

– J’étendrai l’incendie avec mes larmes s’il le faut.

– Oui des larmes de sang, je sais. Tu as déjà essayé malgré la souffrance qu’ils t’ont infligé, ces barbares. Pourtant, on en est toujours au même point, maintenant ils s’en prennent aux femmes, leurs mères, leurs filles, la chair de leur chair.

– Quelques-uns s’en souviennent pourtant. Tu sais que j’ai raison. S’il n’y en a qu’une poignée, je peux recommencer. Laisse-moi le faire.

– Il a de la constance ce petit ! Je me suis toujours demandé de qui il tenait ce caractère, dit la voix. Autant de douceur dans le regard que de volonté pour arriver à ses fins. Enfin, je vois très bien de qui il tient au contraire. Il vaut mieux que je me taise, je sais, inutile de me jeter ce regard incendiaire.

– Oui de la constance dans la bêtise ou dans la bonté, ce qui revient au même. Tu ne vois pas qu’ils profitent de ta bonté mon fils. Ils prennent et ne donnent jamais rien. Seul, leur profit immédiat les intéresse. Rien d’autre.

– Pas tous, non, pas tous. Il y a des justes parmi eux.

– Crois-tu ? Je me demande s’il y en a un seul qui soit vraiment désintéressé. Ils sont égoïstes et violents. Il ne se servent de leur intelligence que pour leur plaisir immédiat. La violence est leur seul moteur, ils finissent toujours détruire tout ce qu’on met à leur disposition. Il se sont même inventé des dieux qui justifient leurs destructions. L’envie, la convoitise, la jalousie guident la moindre de leurs actions. Je ne comprends pas où le plan initial a pu déraper.

– Il faut leur donner une autre chance, père. Je vais essayer de convaincre leurs chefs de changer les plans. On va reconstruire sur les ruines. Ils seront sûrement d’accord. Tu permets que j’essaye. Il y a si longtemps qu’on les a laissés livrés à eux-mêmes, c’est un peu notre faute aussi !

– C’est toi qui m’as convaincu à l’époque de leur laisser la liberté de leurs choix.

– Oui je sais, j’ai cru qu’ils étaient assez mûrs pour cela. Je me suis trompé. On aurait dû mieux les accompagner. Mais maintenant qu’ils sont au bout du gouffre, ils vont écouter les conseils et faire ce qu’il faut pour sauver leur peau, tous ensemble. Il faut au moins qu’on leur en parle !

–  …

– Laisse-lui le temps, ne le brusque pas.

– …

– Bon, j’accepte. Mais je te laisse une seule chance. La dernière.

– (Soupir) Je ferai de mon mieux pour sauver ce qui reste de bon à sauver. Compte sur moi.

Il s’éloigne. Le vent claque la porte derrière lui.

– Je crains qu’il ne soit déçu, une fois de plus.

– Oui, on ne peut leur faire confiance mais il faut qu’il le comprenne par lui-même ou alors il m’en voudra pour l’éternité.

– C’était son idée cette planète bleue au milieu du néant. Il la trouvait si belle.

– Il avait raison, c’était la plus belle. Mais il y en aura d’autre, regarde là-bas celle qui naît de cet amas de poussière. Elle sera encore plus belle. Et on ne fera pas l’erreur de laisser la vie aller jusqu’à l’humain cette fois-ci. On s’arrêtera aux singes. Eux au moins ne tuent jamais pour le plaisir.

– On attend son retour puis on envoie une météorite comme l’autre fois ?

– Non, cette fois-ci j’ai plus simple. Je vais faire sauter le bouchon de la marmite. Ça fera un beau feu d’artifice que l’on verra jusqu’à Pluton. Prépare-toi au spectacle.

– Ah oui, Yellowstone, vous le gardiez pour cela ? Bon, je vais aller entretenir le magma pendant qu’il essaye de ramener la paix dans ce monde de dingues. Qui sait ? il trouvera peut-être quelques justes pour l’aider. Moi, je souhaite qu’il réussisse ne vous en déplaise. Après tout, je l’aime bien cette boule bleue lancée au milieu de votre froid sidéral…

– Tu es un rêveur comme mon fils et tu en es fier en plus !

– Oui je suis Sain d’Esprit ne vous en déplaise, et je n’en pense pas moins même si je suis la troisième roue de la charrette. C’est vous qui avez inventé l’espoir, il me semble, alors secouez un peu vos ailes, il est tant d’avoir Foi en vous et en votre fils. Il est la plus belle de vos réalisations. Il les a déjà sauvés une fois. Ils ne pourront résister à la lumière de son regard, vous le savez.

– J’espère…

– Oui moi aussi. La solution c’est l’amour qu’il leur porte.

– Oui. Tu as raison. L’impossible et ultime solution, c’est l’Amour.

Photo Marie-Christine Grimard

Va-et-vient numéro 9 : « L’impossible solution » par Dominique Autrou

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 9 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « l’impossible solution ».

Pour cet échange, j’ai le très grand plaisir de recevoir de nouveau sur cette page Dominique Autrou qui publiera mon texte sur son blog  la distance au personnage.

Les autres échanges se déroulent entre :

Brigitte Célérier sur Paumée et Dominique Hasselmann sur Métronomiques

Marlen Sauvage sur Les ateliers du déluge et Jérôme Decoux sur Carnet Paresseux,

Jean-Yves Beaujean sur Désert occidental et Amélie Gressier sur Plume dans la main

Pour le Va-Et-Vient numéro 10, le thème sera « D’un redoublement l’autre ». A vos plumes.

Voici le texte de Dominique.

……….

(Ce court récit est une suite possible au billet initialement paru le 1er décembre 2023 sur le blog de Jérôme Decoux, dans le cadre du « Va-et-Vient 8 »)


Le lendemain matin, il fallut se débarrasser du cadavre. Et ce n’est pas rien comme affaire, me dis- je, il y a un minimum d’engagement. Mes maigres connaissances cinématographiques me proposaient des solutions brutales ; par exemple, avoir dans ses relations un entrepreneur véreux des Travaux Publics, ou encore, être en bonne intelligence avec un grossiste de produits chimiques industriels. De toute évidence, tel n’était pas le cas. D’ailleurs, en y réfléchissant, il était invraisemblable qu’une opération de ce genre se fasse gratuitement. Dans la plupart des cas, dans la littérature policière et sans doute dans le monde réel, celui qui engage un tel contrat doit s’attendre à une contrepartie à l’identique, en des termes rigoureux et définitifs. Impossible de revenir en arrière. Une question d’honnêteté, au fond ; c’était comme pénétrer le monde exigeant du crime. Non. Décidément, j’étais dépourvu de cette force d’âme. Il allait falloir trouver une solution rapide, improvisée et méticuleuse à la fois. Par conséquent j’étais parfaitement abattu, sans mauvais jeu de mots, avant même d’avoir mis un pied par terre au sortir du lit.


À cet instant précis, Alice me fit remarquer qu’il n’y avait pas de cadavre. En tout cas pas encore, du moins à sa connaissance, si ce n’étaient les deux ou trois bouteilles vides qui traînaient au bord de l’étang depuis hier soir. C’était un soulagement. Je ne me serais jamais fait à l’idée d’avoir revêtu contre mon gré l’étoffe de l’assassin, même si souvent d’autres moi-même, troubles et inconnus jusqu’alors, se frayaient un chemin jusqu’à frôler mes os. Il est vrai sans dommage apparent, la plupart du temps. Je n’avais réellement pas encore conjugué le verbe « buter » autrement que dans l’expression « buter sur tel ou tel mot », ce qui ne relève sûrement pas de la même difficulté. Aussi quelle bonne nouvelle, cette absence de nouvelles du taxi, j’avais dû faire un mauvais rêve. Compte tenu des circonstances, il n’était pas interdit de savoir jouir du seul bel horizon des évènements.


Il y eut ensuite des moments très tendres entre nous, et d’autres qui échappaient à la grammaire des sentiments. Traîner, rouler sur les petites routes de campagne, prendre son temps, quel luxe. Je ne m’en étais pas rendu compte tout de suite à Limoges, dans la confusion, mais la voiture d’Alice, une Volvo à la jolie couleur gris souris, était d’un modèle si ancien que son vitrage était à l’origine en verre trempé. L’assureur de cette antiquité suédoise avait même insisté, paraît-il, pour que le pare- brise fût remplacé par un exemplaire en verre feuilleté, histoire d’éviter une catastrophe et par conséquent une envolée du montant de la prime. La console du tableau de bord et l’intérieur des portières étaient habillés de boiseries laquées et les deux sièges, plutôt bas mais en cuir fin hors d’âge, étaient fixés sur des tapis de velours rouge. Il émanait de l’ensemble un mélange de sévérité technique et de confort raffiné qui donnait l’impression d’être assis dans le bar d’un grand hôtel des années trente ; à l’arrêt, assis devant tel ou tel paysage, ne manquaient presque qu’un cigare et un verre d’alcool. Je ne suis pas arrivé à déterminer si le style de cette auto s’accordait, ou au contraire contrastait avec un mode de vie qui, chez Alice, semblait d’une extrême discipline. Je m’en étais aperçu à la façon dont elle regardait le moindre objet du quotidien, à mes yeux banal, comme s’il s’agissait d’une découverte, d’une étrangeté à accueillir autrement. Et cette façon de ne pas tenir le monde à distance, mais d’être en intimité avec l’insolite à tout moment, ici et maintenant, là ou d’autres se sentent obligés de faire des milliers de kilomètres pour être dépaysés, cette puissance d’admiration toujours neuve et toute en retenue était, il faut le comprendre, infiniment séduisante.


On naviguait donc grosso modo sur une même longueur d’onde, à une fréquence indéterminée. Jusqu’au moment où, dans le cours d’une conversation, Alice me rappela qu’elle était directrice de recherche au CNRS. C’est un fait que j’avais zappé. Nous étions alors attablés au bord de la rivière Gartempe, l’œil de la friture regardait vers le haut et les bras m’en sont tombés sous la chaise, sans un mot plus haut que l’autre. L’équipe d’Alice travaillait sur des carottes de glace rapportées du pôle. Y étaient prisonnières une multitude de bulles d’air et chacune, pour peu qu’on l’auscultât minutieusement, révélait clairement l’atmosphère correspondant à son âge. Dans les kilomètres en tranches d’épaisseur antarctique conservés quelque part sur le campus de Saclay à Gif-sur-Yvette elle pouvait ainsi lire, sur des dizaines de milliers d’années, l’évolution du climat. À propos de celui-ci, puisqu’il était difficile d’éluder la question, sa réponse fut catégorique :

‒ Non, on ne pourra pas revenir en arrière, ni même ralentir l’emballement. Ou si peu. De toute façon tout le monde s’en fout. Le Giec m’a envoyé paître, littéralement. Le mieux que je peux faire est d’accompagner les jeunes. Venus d’eux-mêmes, par goût du travail, par conviction. Investis dans la recherche. À ce stade il n’y a plus de solution, et la question elle-même serait presque devenue caduque. Les lobbies complotistes n’ont d’autre but que de nous retourner, on finirait par croire que défendre son job, affirmer sa thèse, revient à remettre en cause les grands principes de physique classique et contemporaine (elle s’animait, sonore, et se déployait en gestes expressifs). Comme d’autres qui en sont à se demander ce qui a précédé le Big Bang. Ce n’est pas qu’il y ait, oui ou non, une réponse, c’est que la question n’a pas de sens. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas chercher s’il y a quelque chose au nord du pôle Nord, hein ? Ah mince, j’avais oublié que la Terre est plate ! Bande de prophètes. Question climat, comme en politique, c’est pareil, la contre-révolution est en marche. Il faudrait se dépasser au centuple pour balayer ces conneries. Je n’y arrive plus. Mais tu connais mieux que moi Arthur Gordon Pym ; dans mon souvenir baudelairien Déplorable désastre, n’est-il pas ? (quelques clients des tables voisines manifestaient déjà, discrètement, des signes de).

De fait, dans mon propre souvenir A. G. Pym était loin, et question prophète je ne connaissais guère que celui d’Audiard, pour lequel j’avais éprouvé de la sympathie. Je finissais par me rendre compte qu’en bonne universitaire, Alice était capable aussi bien d’expliquer, de développer, à l’infini, que de résumer à l’extrême. Elle avait par ailleurs la faculté de disparaître sans un mot et de revenir de l’autre côté quelques heures plus tard, loquace et les bras encombrés de découvertes étranges. Cet incomparable métamorphisme s’associait bien avec ma faculté de faire parler le silence. Ainsi nous vécûmes la suite de notre rencontre dans l’espace de cette dilatation, le flux malléable du temps, sans nous soucier autrement ni de l’impossible ni de la solution. Discipline et volupté, pour mémoire et pour règle. Jusqu’au matin où, en ouvrant les volets, j’entrevis dans la pénombre, au bout de l’allée qui remontait vers le chemin d’accès à la maison, planquée sous un arbre un peu plus loin que le portail, une voiture en veilleuse dont le moteur tournait au ralenti. Alice, penchée sur la portière avant gauche, semblait parler au conducteur. En regardant mieux, pas de doute, c’était un taxi.

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Texte et Lino Dominique Autrou

Va-et-vient numéro 8 : Un parfum de sapin.

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 8 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « Un parfum de sapin ».

Les échanges se déroulent entre Dominique Autrou sur la distance au personnage et Jérôme Decoux sur Carnet Paresseux, Amélie Gressier Plume dans la main et Brigitte Célérier sur Paumée, et enfin Dominique Hasselmann sur Métronomiques. et Marlen Sauvage sur Les ateliers du déluge.

N’ayant pas de partenaire pour cet échange, je publie ici mon texte en guise de conte de Noël.

Merci pour vos lectures amicales.

………

Photo Marie-Christine Grimard

Un parfum de sapin

Les fêtes. De nouveau. La période la plus difficile.

Des passants qui se pressent sur les trottoirs brillants de pluie. Des bousculades, des cris d’enfants. Des galops de bottes sur les pavés luisants. Il les regardera passer comme chaque année, assis sur ce banc de pierre sur la place de l’église. Il les imaginera réunis, joyeux autour d’une table bien garnie. Il n’y a pas si longtemps qu’il avait sa place à cette table, c’était avant. Avant que son monde ne s’évanouisse…

Elle adorait Noël, les lumières, la flamme fragile des bougies se reflétant dans les verres, les parfums de cannelle et d’orange des biscuits maison. Le parfum du sapin qu’elle installait début décembre pour profiter le plus longtemps possible de lui, disait-elle, des paillettes au fond des yeux. Il adorait son regard brillant devant les guirlandes et les lampions. Il adorait son sourire d’enfant.

Tous les Noëls du monde ne pourront briller autant que ses prunelles, tous les carillons des églises ne pourront imiter son rire de sitelle. Il l’avait accompagnée jusqu’au bout de son douloureux chemin, tout le monde avait admiré son dévouement. Ils n’avaient pas compris qu’il voulait profiter de sa présence jusqu’à la dernière seconde, avec son départ sa vie avait sombré dans les ténèbres. Cette année-là, elle était trop faible pour voir le sapin décoré alors il avait installé une bougie au « parfum de sapin » sur sa table de chevet. Elle s’était endormie en souriant, apaisée par ce parfum qu’elle aimait tant, en lui tenant la main.

Depuis, il exècre Noël. Ses lumières, ses vitrines décorées, ses chants, ses sapins et ses rires d’enfant lui soulèvent le cœur. Pourtant il est assis là, devant ce porche d’église à regarder la foule des grands jours se presser devant les chalets du marché de Noël. On y trouve tout, des cadeaux enrubannés, des marrons et du vin chaud, des ballons dorés, des crèches garnies, des décorations surannées, et même une chorale démodée massacrant « Mon beau sapin » avec ferveur.

Il soupire, se prenant la tête dans les mains, il ferme les yeux pour ne plus les entendre.

  • Il ne faut pas être triste à Noël, dit une petite voix à côté de lui. Tiens si tu veux, je te donne mon sablé.

Il relève la tête en sursautant. Un jeune garçon portant un bonnet démesuré sur la tête, le regarde fixement en lui tendant un gâteau vert en forme de sapin décoré de pépites de sucre rouge. A ses côtés, un jeune chien renifle ses bottes en tirant sur sa laisse. Cet équipage insolite lui arrache un sourire :

  • C’est très gentil à toi, mais je ne vais pas manger ton beau sablé de Noël. Je ne suis pas triste, seulement un peu fatigué, répond-t-il à l’enfant. Il est bien joli ton chien, on dirait qu’il sourit de toutes ses dents. Comment il s’appelle ?
  • Noël, il s’appelle Noël parce que ma mamie l’a trouvé à Noël. Il était tout seul dans la forêt quand elle a été chercher des branches de sapins pour faire ses décorations, et il l’a suivie. Le vétérinaire a dit qu’il n’avait pas de maison, alors il est resté avec nous et maintenant c’est mon ami. C’est moi qui le garde quand Mamie s’occupe de l’église.
  • Ta mamie s’occupe de l’église et toi tu t’occupes de Noël ? J’espère qu’il est sage !
  • Oh non, il ne m’écoute pas. Là tu vois, il tire sur la laisse pour aller voir Mamie qui décore les bancs avec ses branches de sapin pour la fête de Noël. Moi, je tire de l’autre côté pour l’empêcher d’entrer dans l’église, alors c’est difficile.
  • Je peux t’aider si tu veux, répond l’homme, je suis plus costaud que toi pour tirer sur la laisse.

Il n’a pas fini de prononcer cette phrase que le jeune chien fait un bon en avant, traverse l’esplanade et saute en haut des marches du parvis de l’église. Il se retourne, les regarde avec un air triomphant et se précipite dans l’église.

  • Oh Non, Mamie va encore rouspéter, soupire le jeune enfant. Il fait tout le temps ça !
  • Allons vite le récupérer dit l’homme, avant que ta Mamie ne le voie.
  • Mamie, elle voit toujours tout et même si elle ne voit pas, elle sait toujours tout alors. C’est trop tard, répond l’enfant d’un ton désabusé.

A l’intérieur de l’édifice, un parfum de sapin lui chatouille les narines, qui l’apaise. Sur chaque rangée de bancs est disposée une branche de sapin retenue par un ruban rouge. Il s’attendait à être mal à l’aise, n’étant pas entré dans une église depuis son enterrement, mais c’est le contraire qui se produit. L’organiste répète « les anges dans nos campagne », ce qui le ramène instantanément à l’époque où il chantait à la chorale de la paroisse. Il sourit en levant les yeux vers les voutes décorées d’étoiles dorées sur fond bleu céleste. « La vie passe mais les pierres défient le temps » disait son grand-père. Maintenant il comprend pourquoi.

L’enfant se précipite vers sa grand-mère courant derrière le petit chien qui aboie joyeusement en la rejoignant.

  • Noël ! dit-elle en fronçant les sourcils, tu t’es encore échappé ! Que va-t-on faire de toi ?
  • Un chien nommé Noël a toute sa place dans un église pour la veillée de Noël, dit le curé qui l’aidait à attacher le dernier branchage sur un pilier de la nef. Il fera un excellent chien de berger pour les moutons de la crèche vivante, conclue-t-il en s’éclaffant en se dirigeant vers la sacristie. Il adore cette église apparemment. Toutes les créatures de Dieu sont les bienvenues dans la maison du Père.
  • Il manquait plus que ça répond la grand-mère. Faire tenir ce chien tranquille pendant toute la Veillée de Noël ne sera pas une sinécure. J’espère que vous plaisantez, mon père.
  • Oh mamie, dis oui ! s’exclame l’enfant en regardant son chien remuer sa queue en souriant. Regarde comme il est content. Je le tiendrai puisque je fais l’Ange. C’est facile.
  • Oui et il va t’obéir aussi bien qu’il vient de le faire dans la rue tout à l’heure. Il faudrait plutôt qu’un adulte le tienne et on n’en a plus puisque le berger a la grippe, dit-elle en regardant l’homme qui accompagne son petit-fils. Vous cherchez quelqu’un Monsieur .. ?
  • J’ai rencontré votre petit fils et son chien sur le parvis et je n’ai pas réussi à l’empêcher d’entrer dans l’église, répond l’homme tout penaud.
  • Oui, si tu avais vu sa tête Mamie, dit l’enfant hilare, il ne pensait pas que Noël courait aussi vite.   Il nous bien eu, c’était drôle. Mais c’est bien parce que comme ça, il s’est arrêté de pleurer tout seul sur son banc !
  • Oh j’en suis désolée dit la vieille dame, vous avez des ennuis peut-être ?
  • Non, non, ne vous inquiétez pas. Votre petit-fils exagère un peu. Je ne pleurais pas vraiment …
  • Ah si vraiment, vraiment ! réplique l’enfant.
  • Partager ses ennuis les rend moins lourds, vous devriez nous en parler, suggère la dame d’une voix douce.
  • Je… je suis seul depuis 5 ans maintenant et pendant les fêtes le manque devient de plus en plus lourd. Mais, je n’ai pas à me plaindre, j’ai un toit sur la tête et il y a tellement plus malheureux que moi sur terre, répond l’homme en rougissant.
  • Alors si tu n’as rien à faire, tu feras le berger, décrète l’enfant avec un grand sourire. Et après tu viendras au réveillon avec nous, il y a de la bûche à la vanille. Regarde, Noël t’aime bien, il veut que tu viennes aussi, conclue-t-il en désignant du doigt le chien installé en boule sur les bottes de l’homme.
  • En effet, renchérit la vieille dame, si Noël est d’accord, vous ne pouvez plus refuser.
  • Alors c’est d’accord, accepte l’homme, c’est si gentiment demandé. Ça me rappellera mon enfance, lorsque je chantais à la chorale. Une année, j’ai joué Saint-Joseph et j’ai eu la honte de ma vie. J’espère que cette fois-ci, il n’y aura pas de catastrophe…
  • Ah, mais oui, s’exclame la grand-mère, maintenant je te reconnais. Tu es Yann, Le Saint-Joseph qui est tombé à la renverse sur les bottes de foin. Il me semblait bien connaître ton regard.
  • Je vois que ma réputation à traversé le siècle, répond l’homme en rougissant.
  • Moi, j’étais pas au courant dit l’enfant. Et on me dit toujours que c’est moi qui fais les bêtises. Ça a dû être marrant, c’était une super grosse bêtise ça. T’es un champion !
  • Si on peut dire, j’avais presque oublié cette histoire mais finalement c’est un bon souvenir. On avait bien rigolé et ça avait réveillé tous ceux qui somnolaient dans leur coin.
  • C’est sûr, ce fut une belle pagaille et l’organiste a enchainé avec le « Minuit Chrétien » alors qu’il était onze heures. Tout le monde en a parlé jusqu’à Pâques. Moi j’étais un des anges et on ne pouvait plus s’arrêter de rire. Monsieur le Curé a dit : « Quand les anges voudront bien se calmer, on pourra lire l’épître ! »
  • Oui, je m’en souviens. Après la messe, il est venu me parler. Je pensais qu’il allait me gronder. En fait, il m’a dit qu’il n’avait jamais vu une crèche vivante aussi vivante que celle-là, et que les paroissiens avaient bien apprécié ma « performance ».
  • Ça alors, le monde est petit. Je suis bien contente de te revoir dit la grand-mère en l’entraînant vers la Sacristie. Viens, on va essayer le costume et tu me raconteras ce que tu deviens. Si tu as une minute, tu pourras m’aider à distribuer les paquets aux enfants de l’orphelinat. J’ai besoin de bras pour le transport. Et demain…

L’enfant les regarde s’éloigner en discutant. Il se tourne vers son chien qui s’est installé sur la paille de la crèche.

  • Et voilà ! Je trouve un copain et Mamie le connaît déjà. Je te dis qu’elle sait toujours tout. Si tu fais pipi sur cette paille, elle le saura aussi, alors tiens-toi à carreau. On va aller chercher un autre cookie, je sais où elle cache la boîte. On va bien s’amuser tout à l’heure, je vais te trouver des guirlandes et une étoile pour décorer ton collier. Tu seras le premier chien de crèche, et tu vas les éblouir !
  • Ouaf , approuve Noël. Ouaf, Ouaf. En galopant vers la Sacristie.
  • C’est nous les anges de Noël, on y va, chantonne l’enfant en se précipitant derrière lui !

Deux paroissiennes froncent les sourcils devant cet équipage bruyant. Le curé sortant du confessionnal remarque leur désapprobation, il s’approche et leur murmure :

« Noël, c’est la fête de la Joie.

Qui mieux que les enfants peuvent nous le montrer ?

Notre Seigneur n’a -t-il pas dit : « Au royaume de Dieu, les enfants sont rois »

J’ajoute : et les chiens aussi !

Joyeux Noël à vous, mesdames. »

……….

Va et vient : un souvenir futur

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Si vous souhaitez retrouver mon texte, le voici.

Grand merci pour votre fidélité de lecture.

Tableau de Monet

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Un tableau fascinant peint il y a deux siècles.


L’image de la douceur de l’amour maternel brossé dans un trait de lumière.
Des couleurs pastels en touches légères sous le vent qui joue dans les rubans.
Où sont-ils désormais, sur quel sentier se promènent-ils en riant sous le soleil ?
Ont-ils gardé le souvenir de cette paisible journée d’été ?
Les jours ont fui mais leur plaisir revit sous nos yeux.
Un souvenir futur naît sous le pinceau du peintre qui nourrit les âmes à venir.

Des nouvelles atroces venues du fond des âges.


Des femmes éventrées, leurs fœtus arrachés jetés à terre dans un bain de sang.
Des enfants encagés, bouclier dérisoire sous les bombes.
Des jeunes idéalistes massacrés pour leurs illusions de paix.
Des robots programmés pour tuer servant de chair à canon à une idéologie morbide.
Une humanité déshumanisée, inhumaine de haine.
L’horreur que l’on prêtait aux âges primitifs, venue ensanglanter notre modernité dérisoire.
La violence des hommes qui massacrent les femmes, toujours et partout.
Le souvenir futur d’un monde qui me donne la nausée.

Que restera-t-il de moi dans un siècle ?


Un souvenir futur d’une vie au service d’autres vies.
Une lignée d’hommes et de femmes de bonne volonté.
Un rosier centenaire sur une façade.
Un regard bleu éclairant le visage d’une enfant du siècle prochain.
Quelques poèmes sur un carnet.
Quelques tableaux dans un grenier.
Un peu de poussière d’étoile au fond d’une fosse.
Un trait de lumière emporté par le vent.
Et beaucoup d’amour flottant dans les volutes légères d’une flamme bleue.

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« Va et vient » numéro 7 : « un souvenir futur » par Brigitte Célérier

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 7 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois.

Le thème de celui-ci s’intitule « un souvenir futur».

Pour cet échange j’ai le grand plaisir de recevoir Brigitte Célérier qui reçoit ma contribution sur Paumée.

Les autres échanges se déroulent entre Dominique Autrou sur la distance au personnage et Amélie Gressier Plume dans la main, et entre Dominique Hasselmann sur  Métronomiques et Jérôme Decoux sur Carnet Paresseux.

Le prochain Va-et-vient (numéro 8) est prévu le vendredi Premier Décembre : le thème en sera « un parfum de sapin ».

Voici le texte de Brigitte

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Un souvenir futur

Photo Brigitte Célérier

Descendue pieds-nus de la terrasse, ayant traversé l’étroite bande goudronnée et l’espace de sable mêlé de brindilles, graviers, coquilles, étoupe de mer, elle se tenait  dans l’odeur indéfinissable et profonde qui montait vers elle, campée sur ses pieds s’enfonçant très légèrement dans la laisse de mer, sur ses mollets frissonnant un peu dans le frais du petit matin et sous le reste de brise de l’aube, les yeux rêvant dans le ciel pâle, s’abaissant sur le friselis d’eau qui jouait à la limite du sable humide, elle s’emplissait de cette nouvelle journée avec un sourire d’attente, sentant la nuit  et ce soir qui avaient été s’effacer lentement pour laisser la place. Elle a soupiré de plaisir , murmurant ou pensant « je ne l’oublierai jamais », ne sachant pas très bien s’il s’agissait de lui, de cette nuit ou plutôt de la plénitude de ce matin.

Le soleil a posé un début de tiédeur, comme un essai d’entrée dans le jour, sur ses épaules, elle les bougées un peu et décidé que c’était de ce moment, de ce début toute neuve dans le jour qu’il lui fallait se souvenir, et non point d’elle, de ce passage de sa vie comme le dirait les matrones, mais de cet accord avec le moment, le sable, la jeunesse du jour, la mer dormeuse. Elle est resté là un long moment, pendant que la terre cueillait le soleil, se réchauffait, que la brise s’éteignait avant de revenir de la mer au mitan du jour, elle caressait le mot souvenir, elle entrait dedans, tentait paresseusement de savoir ce qu’il signifiait vraiment, de sa possibilité, revenait plus simplement au moyen de le fixer, impalpable qu’était ce instant et capricieuse la mémoire.

Elle a pris un bâton et griffé le sable, dessinant une forme fuyant la géométrie, elle s’est assise à côté et a regardé en souriant cette preuve de l’impossibilité de décider de l’objet fixant un souvenir, lui donnant priorité sur un autre. Elle s’est levée, elle a suivi la plage jusqu’à une petite cale, où se reposaient des filets. Elle a regardé autour d’elle, elle s’est penchée vers une pelote de ficelle abandonnée par un ravaudeur, l’a ramassée, l’a mise dans sa poche, a posé quelques pièces entre des mailles, s’est redressée, est partie en chantonnant comme une comptine « ficelle volée / le beau matin neuf», décidant que ce semblant de vol serait une ancre pour que se fixe l’écho de cet accueil du jour .

Photo Brigitte Célérier

                                                                                                 

« Va-et-vient » numéro 6 « Une croix au sol »

Si vous souhaitez lire mon texte, le voici

Photo M Ch Grimard
Port Bourgenay -- Vendée

Quelques jours de repos, enfin.
Après un mois d’enfer à remplacer les collègues tous les week-ends, c’était plus que mérité. Elle n’a fait aucun projet, épuisée, elle ne pense qu’à dormir. Quand elle se réveillerait, elle improviserait s’il lui restait un peu d’énergie.

À peine couchée, le sommeil l’assomme. Elle part sur les ailes du vent, légère, flottant sur la crête des vagues bleu outremer. Rien ne peut l’arrêter, elle est libre et indestructible. Elle descend doucement vers le rivage, l’inconnu ne lui fait pas peur. Peu importe où elle arrivera, rien ne peut l’atteindre. Elle se pose doucement sur les rochers et replie ses ailes. Elle connaît cet endroit. Au-dessus d’elle, sur la jetée, elle reconnaît la statue de la « vierge des naufrages », que les embruns ont colorée en vert de gris, elle dresse fièrement ses haillons de bronze contre le vent. Elle se sent protégée par la présence de la statue. Elle va rester là assise sur ce rocher plat jusqu’à la fin des temps. Elle est chez elle ici. Sous ses pieds, quelques feuilles de varech forment une sorte de coussin calé dans un creux du rocher. Quelque chose brille en-dessous. Elle tire sur les algues séchées mais rien ne vient. Il faut qu’elle sache ce que c’est, c’est important, elle tire plus fort…

Un bruit strident lui écorche les oreilles.
Elle se prend la tête à deux mains.
Arrêtez ce bruit !
L’océan disparaît, les rochers s’évanouissent. Plus de ciel, plus de vent.
Elle se retrouve dans son lit, réalisant qu’on a sonné à la porte. Reprenant difficilement ses esprits, elle se précipite pour ouvrir. C’est le facteur qui lui tend un paquet défraîchi.

– Désolé de vous déranger, madame, je ne pouvais le mettre dans votre boîte, je devais vous le remettre en main propre avec les excuses de la Poste.
– Merci… bredouille-t-elle à moitié réveillée. Pourquoi des excuses ?
– A cause du retard ! Cette fois-ci on a battu les records, marmonne l’homme en s’éloignant à grands pas. Bonne journée quand même !

Intriguée, elle examine le paquet en refermant la porte. Il est cabossé sur toutes les faces et apparemment il a pris l’eau. L’adresse du destinataire a disparu dans un amas d’encre diluée. Les timbres sont à moitié décollés et c’est tout juste si on peut lire son nom sur l’adresse. Seule l’oblitération est encore lisible: « Talmont, 30 juillet 1985 ».

À l’intérieur, un petit bouquet de « queues-de-lièvre » séchées, sa fleur de dune préférée, accompagné d’une carte d’où s’échappe un parfum qu’elle connaît bien. A sa lecture, ses mains tremblent.

« Chérie,
J’ai laissé pour toi une surprise sur notre rocher.

Il te dira mon amour où que je serai.

 Mes pensées restent avec toi.

Toujours.
À jamais.

C… »

La signature est occultée par une tache délavée. Mais elle n’en a pas besoin.
Elle laisse ses larmes couler sur ses derniers mots.
Ce rêve, puis cette carte…
Parfois, la vie se joue de nous avec ses synchronicités. C’est si difficile et si doux à la fois. Toute sa vie tient dans ces quelques mots. Elle sait ce qui lui reste à faire de ses jours de repos.

Le lendemain, à l’aube, elle arpente le chemin des douaniers. Au loin, les pêcheurs rentrent au port, suivis d’une escadrille de goélands. Leurs cris perçants lui ont tellement manqué. Elle arrive vers l’estacade, aperçoit la statue campée au bord des rochers, majestueuse sous le vent. Elle s’arrête le cœur battant, enjambe le parapet puis descend prudemment jusqu’au gros rocher plat de ses souvenirs. Sous ses pieds, quelques feuilles de varech forment une sorte de coussin calé dans un creux du rocher. Quelque chose brille en-dessous.
Elle tire sur les algues, une cavité en forme de croix au sol apparaît. Au fond, une chaîne en or semble lovée au milieu des algues. Elle prend le bijou entre ses mains, sur la chaîne est montée une petite conque, elle reconnaît le coquillage qu’ils avaient trouvé en se promenant main dans la main sur l’estran, le matin de son départ.
En tremblant elle attache la chaîne autour de son cou, le coquillage se glisse entre ses seins tandis que son cœur s’emballe. Une mouette se pose sur la statue et la fixe d’un regard intimidant. Au loin, le clocher égraine huit coups. Le vent d’Ouest emporte les notes vers le port tandis qu’elle remonte vers la statue. Sur la dune, les pompons des queues-de-lièvre dansent une folle sarabande tandis que la mouette s’envole avec un grand rire.

Pourquoi est-elle partie de ce pays ?
Où s’est-elle égarée durant toutes ces années ?
C’est ici chez elle. Il n’est jamais trop tard.
Elle s’assoit près de la statue, demain, elle mettra de l’ordre dans sa vie.

Mais aujourd’hui, elle restera là à savourer les embruns, les jambes se balançant au-dessus des vagues, les cheveux au vent, serrant le petit coquillage entre ses doigts.

« Va-et-vient » numéro 6, « Une croix au sol », par Dominique Hasselmann

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 6 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte avec ou sans illustration, sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois.

Le thème de celui-ci s’intitule « Une croix au sol».

Pour cet échange j’ai le grand plaisir de recevoir de nouveau sur Promenades en Ailleurs, Dominique Hasselmann qui reçoit ma contribution sur  Métronomiques.

Les autres échanges se déroulent entre Amélie Gressier Plume dans la main, et Jérôme Decoux Carnet Paresseux

Le prochain Va-et-vient (numéro 7) est prévu le vendredi 3 Novembre : le thème sera « un souvenir futur ».

Voici le texte de Dominique.

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Une croix au sol

(Côtes d’Armor, 12 juillet 2023)

Une proie dans le ciel

un froid dans le dos

un cri dans l’abri

une vie dans la sienne

une main dans la poche

un matin dans le chagrin

un soir dans l’espoir

un prix dans le sac

une perdrix dans les nuages

un pantin dans l’écran

un passant dans l’ombre

un arbre dans l’espace

un spasme dans la cour

un baiser dans la rue

une caresse dans l’intervalle

une lecture dans la douceur

un parcours dans les lignes

un sentier dans les vignes

un voyage dans le temps

une horloge dans la tête

une allée dans les ifs

un blues dans les tombes

une croix au sol

Texte et photo : Dominique Hasselmann