Les filles de la Lune ( Partie 27)

luillet 2014 035

Le procès fut court et expéditif. Tout était joué d’avance. Plusieurs témoins, dont la servante de Tristan, vinrent expliquer qu’ils avaient vu Luna pratiquer une magie inconnue, et Tristan lui-même raconta que Luna avait rendu la vie à des enfants morts avec l’aide d’une déesse inconnue. En entendant son témoignage, Luna releva la tête et le regarda fixement, jusqu’à ce qu’il baisse les yeux en rougissant. Puis résignée, elle se contenta de sourire lorsque le verdict de mort fut prononcé, ce qui conforta ses juges dans l’idée qu’elle était heureuse de rejoindre le maître des enfers, en brûlant sur le bûcher.

On lui accorda le privilège de charger le bûcher avec du bois vert pour qu’elle soit asphyxiée plutôt que brûlée vive, à la demande de Tristan qui acheta cette réduction de peine, trente sous.

Luna passa sa dernière nuit à penser à Pierre et à demander à la déesse de l’aider à ne pas souffrir. Elle n’avait pas peur de perdre sa vie, puisqu’elle avait fini son chemin, mais elle avait peur du feu. Elle avait toujours eu peur du feu, probablement parce qu’elle avait deviné qu’il serait son bourreau… elle le savait maintenant. Au petit matin, elle rêva au jour où la déesse lui avait confié le « sang de la lune » et la statuette, elle revit le grand chêne foudroyé se refermer derrière elle et se sentit apaisée sans savoir pourquoi.

Le ciel était orageux, noir, chargé et lourd. Le chemin la menant au bûcher suivait les faubourgs de la ville jusqu’à une colline. La pluie commençait à tomber, éclaircissant les rangs des badauds.

Luna marchait péniblement au milieu de la foule qui l’invectivait, mais ne baissait pas la tête. Au contraire, elle savait qu’elle n’avait jamais rien fait dont elle puisse rougir et plus elle y pensait, plus elle relevait le menton. Peu à peu, devant autant de dignité affichée, les injures se tarirent, et elle entendit des femmes soupirer sur son passage en se signant. L’un d’elles dit que Dieu punirait les bourreaux et accueillerait les innocents dans l’autre monde. Une autre lui répondit que Dieu allait tous les punir bientôt, parce qu’on disait que les Loups étaient arrivés aux portes de la ville, et qu’on avait vu une Louve blanche rôder dans les ruelles depuis quelques nuits.

L’orage s’intensifiait lorsque Luna arriva sur les lieux de son supplice. La pluie redoublait de violence mais ne parvenait pas à éteindre les flambeaux d’étoupe qui serviraient à enflammer le bûcher. Elle s’avança courageusement, cela ne servait à rien d’attendre. Le bûcher avait été disposé en fer à cheval, le bourreau enflamma la partie droite et poussa Luna vers le centre, lui indiquant d’entrer au milieu du bûcher. Il attendrait qu’elle soit parvenue au centre, puis refermerait l’enfer derrière elle.

Elle se retourna se tenant droite devant la foule qu’elle balaya du regard, et un silence de mort tomba dans les rangs des badauds. Puis elle fit volte-face et se dirigea vers le demi-cercle infernal en levant les yeux vers le ciel, comme dernière supplique. Les nuages noirs étaient légion au-dessus de la place, on entendit un craquement monstrueux, au même instant un éclair déchira le ciel et s’abattit sur le sol, aveuglant la foule. De nombreuses personnes étaient tombées, soufflées par la violence du choc. Des cris fusaient de toute part, et ceux qui pouvaient encore le faire fuyaient en tous sens. Le bourreau lança à terre son flambeau, qui lui avait brûlé les cheveux lorsqu’il l’avait approché de son visage dans un réflexe de protection involontaire. Il chercha des yeux Luna, mais à l’endroit où se trouvait son corps, il ne retrouva qu’un peu de cendres et un carré d’étoffe encore fumante. Il en avait vu d’autres dans sa vie, mais une terreur rétrospective l’envahit, et il tomba inanimé.

Le silence retomba sur la place comme une chape de plomb, chacun s’interrogeant sur ce qu’il avait vu. Le reste des badauds, sidérés par cette scène d’apocalypse, se dispersa en courant lorsqu’un long hurlement lugubre déchira le crépuscule, bientôt repris par de nombreux autres aux quatre coins de la ville.

regard 3

Lina referma le Carnet et parcourut du doigt l’inscription de la couverture « Luna 1455 ». Un instant, un visage doux encadré de cheveux clairs lui apparut pour s’effacer aussitôt.

Plus rien ne l’étonnait désormais.

Cette femme extraordinaire de dévouement et de courage, était probablement son ancêtre. Elle le sentait comme une évidence. Elle se demandait si elle aurait eu autant de courage qu’elle dans le même contexte. Probablement pas.

Elle ne serait jamais à la hauteur d’une telle femme. La simple vue d’une goutte de sang la rendait malade …

Elle regarda les autres carnets, rangés dans l’ordre chronologique en se demandant quels lourds secrets ils pouvaient renfermer aussi. Elle n’avait pas la force de poursuivre sa lecture pour le moment.

Il fallait laisser décanter les mots, et surtout laisser s’envoler les images de mort et de souffrance de ces dernières pages.

Elle se sentait révoltée devant cette souffrance injuste, cet obscurantisme, la lâcheté et la bêtise humaine n’avait aucune limite. A cette époque, c’était évident. Elle aurait voulu empêcher cela, sauver ce que l’on pouvait sauver !

Voilà qu’elle montait sur ses grands chevaux, comme toujours …

Elle se leva et alla à la fenêtre pour se calmer. Dehors, la vie s’écoulait. Les gens marchaient dans la rue, se pressant sans lever les yeux vers ceux qu’ils croisaient. Le ciel commençait à s’obscurcir. Il y aurait bientôt de l’orage…

La vie continuait, la vie d’ici.

Rien que de très normal.

Elle se détourna de la fenêtre, décida de ranger les carnets pour le moment, et de poursuivre sa vie normale. Quand tout cela pèserait moins lourd, elle reprendrait la suite de sa lecture. Un jour, si elle en avait le courage.

Peut-être …

 

Fin du livre 1 .  A suivre

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4 réflexions sur “Les filles de la Lune ( Partie 27)

  1. Bûcher… maintenant on les allume depuis les avions….

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  2. Merci pour le plaisir offert par cette belle lecture….
    et pour avoir prévu une suite 🙂 !

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