Va-et-Vient reprises : Complicités

Je ne tiendrai pas longtemps comme ça. Encore une journée tout au plus. Il n’y a plus de bruit dans la maison, soit il est parti soit il est fini. J’espère qu’il a eu mal, très mal, et qu’il s’est vu mourir. Puisqu’il a voulu me faire disparaître, il en a pris pour son grade. Œil pour œil !

Pourtant au début, on était bien tous les deux, de beaux complices comme il disait. On faisait tout ensemble, le bien et le mal. Depuis qu’il était entré dans la classe au collège en roulant des mécaniques, s’était assis à côté de moi en faisant un clin d’œil qui m’a fait rougir jusqu’aux oreilles, je me serais damnée pour un sourire. Et c’est ce que j’ai fait d’ailleurs. Ma mère me l’avait bien dit, : « ce garçon te mènera à ta perte ». Il faut toujours écouter sa mère. Aujourd’hui je le comprends trop tard.

On en a bien profité quelques mois. Il était doué pour les maths. Son truc c’était les statistiques, avec ça il est devenu le roi du Casino. À nous la vie dorée, les soirées paillettes et les petits matins froissés. Il était cigale et j’étais fourmi, on se complétait bien. Il gagnait et je thésaurisais. Si je l’avais laissé faire on aurait été constamment sur la paille, mais c’est moi qui tenais les cordons de la bourse. Je fermais les yeux sur ses fins de soirées dépravées et ses coups, il fermait les yeux sur mes comptes. Les derniers temps, il avait un véritable harem autour de lui. Du moment qu’une blondasse lui faisait un compliment, elle finissait la soirée dans son lit. Il rentrait ivre mort, exhalant un mélange d’alcool et de parfum bon marché différent tous les soirs. Alors, j’ai fini par me lasser, et je suis rentré chez ma mère, comme dans les romans de gare. Oui je sais, ça n’est pas très glorieux. Elle ne m’a rien demandé et m’a serrée dans ses bras, ça m’a fait un bien fou. Personne ne m’avait câlinée comme ça depuis des lustres. Je lui ai montré le petit magot qu’on avait accumulé, elle a souri et a dit :

– Ma petite, on va aller voir la mer, ça te fera du bien de changer d’air et le docteur m’a dit qu’il me fallait un peu de soleil. Tu n’as pas dû prendre du bon temps depuis longtemps. On va se payer sur la bête et éviter les villes qui ont un Casino. Ainsi on ne fera pas de mauvaises rencontres. Aller on part en goguette !

Je ne l’avais jamais vue heureuse comme on l’a été ensemble durant les trois mois qui ont suivi. La vie était simple et belle, on riait comme des enfants pour des bêtises, on changeait de lieu toutes les semaines. Je ne lui connaissais pas ce goût pour l’aventure, façon « Thelma et Louise ». À la voir sourire à la vie qui passe, je reprenais peu à peu goût à la mienne.  On était complices, on se comprenait sans parler et rien ne pouvait nous atteindre. Et puis, il y a eu ce dernier jour sur la plage, les pieds dans l’eau inondée de soleil, elle riait si fort en tournant sur elle-même comme une enfant qu’elle s’est effondrée sur le sable. Les pompiers ont réussi à la ramener à la vie juste à temps pour qu’elle me remercie de lui avoir donné les plus merveilleux derniers mois de sa vie. Au milieu de mes larmes, je ne voulais pas admettre que c’était fini. Elle m’a serré les mains très fort et m’a dit dans un souffle : « Je t’attendrai là-bas, je serai là pour toi, ne t’inquiète pas. »…

© Marie-Christine Grimard

Les jours qui ont suivi ont disparu de ma mémoire. La seule chose que je sais, c’est qu’il m’attendait à la maison. J’ai tout de suite compris à son sourire cruel, qu’il venait se venger. Il a été tout miel jusqu’à ce qu’il comprenne que son petit magot avait fondu au soleil. Je préparais son plat préféré en espérant l’amadouer, mais j’ai vite réalisé mon erreur quand il a été chercher son flingue dans son manteau et l’a posé devant lui en me souriant. J’ai tenté de plaisanter, en arrosant le rôti d’une bonne rasade d’huile d’arachide : 

« Tu disais qu’on était les meilleurs complices du monde. Tu ne vas pas te priver d’une aussi bonne cuisinière que moi, pour un petit différent financier ? »

Le coup est parti plus vite que sa réponse. La balle que j’ai pris dans le thorax m’a fait valdinguer contre le mur du fond. Je ne sais pas comment je me suis relevée et ai trouvé la force de partir en courant. Il ne connaît pas la maison et ne trouvera jamais la pièce secrète que mon grand-père a dissimulée derrière la cheminée au temps de la résistance. Jamais les Allemands n’ont trouvé les jeunes Juifs qu’il avait cachés là. Ici je suis tranquille, personne ne me trouvera non plus, il faudrait démanteler la cheminée si on ne connaît pas le truc.

Je l’ai entendu dire : « Tu n’iras pas bien loin avec tout le sang que tu as perdu, tu ne l’emporteras pas au paradis ma chère complice ! Il faudra bien que tu sortes de ton trou et là ça sera ta fête. J’ai tout mon temps, en attendant je vais me régaler avec ton dernier menu. Bon appétit. Si tu ne crèves pas autrement, tu crèveras de faim. J’attends ! »

Je n’ai pas pleuré l’huile d’arachide, au moins un quart de litre. Rien n’est trop bon pour mon cher complice. Il a dû gonfler comme une baudruche. J’ai entendu une quinte de toux à n’en plus finir et puis plus rien, mais je ne vais pas sortir tout de suite, je vais attendre demain. Heureusement que je me suis rappelé de son allergie à l’arachide. Je vais dormir un peu et rêver aux vacances avec maman…

***

– C’est une belle maison d’époque, elle a été refaite il y a une trentaine d’années. Elle est en vente depuis quelques années parce que le propriétaire qui en a hérité à l’étranger ne veut plus assurer son entretien. Vous faites une bonne affaire, il a baissé le prix très significativement et on est bien en-dessous du prix du marché. Tous les diagnostics ont été faits et sont favorables, pour une maison ancienne, c’est plutôt rare. Il paraît qu’elle a été un haut-lieu de résistance lors de la dernière guerre, en plus.

– En effet, c’est tout à fait ce que je recherche. Mais il y a pas mal de travaux, notamment toutes ces cheminées qui prennent une place folle. Je ferai démanteler celle du salon, elle est trop imposante. Pour le reste je suis d’accord. Dites au propriétaire qu’on signera dès qu’il sera disponible. J’espère qu’on n’aura pas de mauvaises surprises lors des démolitions, les vieilles maisons cachent souvent des vices cachés.

– Aucun fantôme n’a encore été signalé, plaisante l’agent immobilier avec son beau sourire commercial.

– Il ne faut jurer de rien ; on verra bien, répond l’acheteur. Advienne que pourra, cette maison me parle bien. S’il y a des surprises, je suis prêt ! 

4 réflexions sur “Va-et-Vient reprises : Complicités

  1. Quel récit bien mené et passionnant ! J’adore !

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