Une image, une histoire : Les tuiles de Noël ( partie 4)

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auteur inconnu

Le petit appartement se résume à une grande pièce agencée en cuisine-salon et deux chambres minuscules où la lumière pénètre seulement au zénith de l’été. Dans un coin de la pièce principale, une table de repassage est encombrée d’un monceau de linge attendant qu’on s’en occupe. Les cadres des fenêtres sont renforcés par des morceaux d’adhésifs dévoilant leur manque d’étanchéité, quelques traces d’humidité teintent le plafond d’auréoles beiges. Malgré cela, la pièce dégage une impression chaleureuse avec ses dessins d’enfant ornant les murs. Une odeur de sucre flotte dans l’air, adoucissant l’ambiance de grisaille qui provient de l’étroite fenêtre. Lina se demande d’où sort ce parfum de pomme d’amour qui lui est si familier.

La jeune femme ne lui laisse pas le temps de détailler plus la pièce. Elle invite Lina et Franz à s’asseoir autour de la petite table et prend place en face d’eux.

Lina jette un coup d’œil à Franz toujours silencieux, hésitant à lancer elle-même la conversation :

  • Jeanne s’inquiétait de ne pas avoir de nouvelles de vous depuis quelques jours. Elle voulait que nous vous remettions son petit cadeau de Noël…
  • Elle est si gentille avec nous, répond la jeune femme. Elle me donne du repassage et a réussi à convaincre la plupart de ses amies du club du troisième âge, à faire de même. Cela me permet de payer ce loyer et de travailler à la maison pour pouvoir m’occuper de Louis quand il n’est pas à l’école. J’ai dû abandonner mon travail quand le petit est né, n’ayant personne pour s’occuper de lui douze heures par jour, et depuis je me débrouille en faisant quelques travaux chez moi.
  • Que faisiez-vous de si prenant, douze heures par jour ? demande Franz
  • J’étais responsable commerciale dans une grande entreprise de service, récemment privatisée, où il ne fallait pas compter ses heures de travail si l’on voulait survivre. On me demandait de faire de plus en plus de choses contraires à mon éthique, et j’ai finalement été très contente de démissionner sous prétexte de maternité. Cela a changé ma vie, de tous les points de vue et même si elle est matériellement plus difficile, je préfère grandement la vie que nous menons aujourd’hui Louis et moi !
  • Et aussi Arthur ! renchérit le petit tout en continuant à empiler ses cubes dans un coin de la pièce.
  • Oui, tu as raison mon chéri, Arthur aussi ! approuve la jeune femme en faisant un clin d’œil à Lina.
  • Vous ne semblez pas très en forme, répond celle-ci en hochant la tête.
  • Je crois que j’ai dû attraper la grippe, la semaine dernière c’était Louis. A l’école, ils étaient tous malades durant la dernière semaine avant les vacances. Ce qui est difficile, c’est qu’il a retrouvé sa forme avant moi. J’ai du mal à le suivre, répond la jeune femme.
  • Si vous voulez nous pouvons vous aider ce matin, nous ne travaillons que cet après-midi, propose généreusement Lina.

Franz la regarde un peu étonné, fier aussi de sa générosité, il surenchérit :

  • Bonne idée ma fille, que pouvons-nous faire pour aider. Ce char de repassage par exemple, serait dans mes cordes, dit-il en s’approchant de la table.
  • Tout à fait, dit Lina, mon père est le roi du repassage. Il est minutieux avec les chemisiers en soie comme avec ses sucres d’orge, pour que les plis soient parfaits sur les manches ou que les rayures rouges soient bien toutes alignées sur la crosse du sucre. N’est-ce pas mon vieux père ?
  • Et alors ? s’exclame Franz, j’ai l’amour du travail bien fait ne t’en déplaise. Et quand on a élevé une enfant seul, il a bien fallu apprendre à repasser les robes plissées !
  • Tout à fait, même si ce n’était déjà plus la mode quand j’avais deux ans, réplique Lina en éclatant de rire.

Le petit, ravi, éclate de rire à sa suite, sans savoir vraiment pourquoi il rit. S’adressant à Franz, il dit :

  • Moi aussi, j’ai appris à faire des beaux plis et des jolies rayures à l’école. Regarde !

Il file dans sa chambre et revient aussitôt avec des guirlandes de papier peintes de rayures rouges et blanches.

  • La maîtresse nous a appris à faire des « spon-yon-yon » pour décorer le sapin. Les miens étaient les plus beaux de la classe !
  • « Spon-yon-yon » je ne connais pas ce mot, répond Franz.
  • Mais si, souviens-toi papa, j’en faisais aussi avec Madame Blanche, c’est une ribambelle de papiers pliés et collés en accordéon ! C’est vrai que les tiens sont très beaux, Louis, on dirait des sucres d’orge.
  • Oui, il est très doué avec ses mains pour un enfant de 6 ans, dit sa jeune maman avec un sourire plein de fierté. Ma mère était artiste peintre, il a dû hériter de son don, j’en suis très fière !
  • Oh, je suis désolée, répond Franz soudain sombre. Vous avez perdu votre maman ?
  • En effet, elle nous a quitté voilà deux ans, répond la jeune femme les yeux soudains pleins de larmes, je m’en remets difficilement. Elle s’occupait tant du petit, et puis…

Sa voix se brise. Elle retient un sanglot. L’enfant se précipite alors vers sa mère et l’entoure de ses bras, Arthur remet un petit sifflement douloureux et se couche auprès d’elle, le museau sur ses pieds.

  • Désolé d’avoir réveillé votre peine, dit Franz, je suis tellement maladroit parfois ! Les jours de fête sont difficiles à vivre quand il manque des gens autour de la table. J’en sais quelque chose aussi. Mais votre maman serait triste de vous sentir aussi mal, je pense…
  • Mamie est dans le ciel avec les anges et elle a dit au petit Jésus par quel nuage il devait passer pour descendre dans la crèche. Elle viendra nous faire un bisou à minuit quand on sera endormi, tu sais maman. Elle va pleurer aussi si elle voit des larmes sur ta joue !

La jeune femme essuie ses larmes. Elle couve son petit d’un regard plein de tendresse. Elle lui sourit, le serre dans ses bras et lui répond :

  • Tu as raison, mon poussin, Mamie serait fâchée que l’on pleure aujourd’hui ! je vais faire une jolie table et on va prendre le repas de Noël comme si elle était avec nous.
  • Vous êtes seuls tous les deux aujourd’hui, madame ? Demande Lina.
  • Appelez-moi Sophie je vous en prie. Oui, nous sommes notre seule famille, répond la jeune femme, les gens sont entre eux pour Noël, et je n’ai pas de frères et sœurs. Mais il y a eu un goûter de Noël à l’école la semaine dernière, où Louis a pu profiter de tous ses copains.
  • Ah c’est bien, et il y avait de la bûche ? demande Lina à Louis
  • Oh oui, j’en ai mangé trois fois ! mais elle n’était pas aussi bonne que les tuiles de Noël de maman.
  • Les « Tuiles de Noël » ? demande Franz. Je n’ai jamais entendu parler de ça auparavant ! Pourtant je croyais connaître toutes les pâtisseries du monde !
  • Elles sont là qui se reposent, il faut attendre qu’elles soient prêtes pour les toucher, répond l’enfant. Viens voir, mais fais attention de ne pas les réveiller !

Franz pose son fer à repasser et suit l’enfant vers le plan de travail de la cuisine où il lui montre plusieurs bouteilles de verre couchées à l’horizontale, où sont disposées des grosses pastilles de ce qui lui semble être du caramel en train de refroidir.

  • Si je les regarde, ça risque de les réveiller ? murmure Franz à l’oreille de Louis.
  • Je ne crois pas, chuchote l’enfant, mais il ne faut pas les toucher ! Mais regarde il y en a un petit peu, là, qui reste, dit-il en désignant à Franz un peu de l’appareil qui restait au fond de la jatte.

Sans attendre, il passe son doigt au fond de la préparation et le met sans la bouche de Franz. Celui-ci ouvre de grands yeux, surpris par le goût et le geste de l’enfant, puis en reprend une seconde fois sans attendre de permission.

  • Oh, alors toi, tu es encore plus gourmand que moi ! s’écrie Louis.

Lina et Sophie se lèvent et s’approchent à leur tour, le sourire aux lèvres.

  • Elles seront bientôt sèches, dit la jeune maman, et je pourrai vous en donner quelques-unes pour votre dessert de Noël. Ça me fera plaisir !
  • Je pense qu’il y a mieux à faire avec ces «tuiles de Noël maison » répond Franz. Vous allez venir tous les deux partager notre repas de Noël à la maison et on va en discuter. Je vous invite !
  • Oh, Chouette ! répond l’enfant, est-ce qu’il y aura des marrons ? J’aime bien les marrons !
  • Ne t’inquiète pas, il y a des marrons et une belle bûche aux marrons aussi. Je me demandais comment j’allais réussir à manger tout ça tout seul, tu vas bien m’aider ! répond Franz .

Le regard de Sophie va de l’un à l’autre. Elle reste silencieuse, émue de nouveau.

  • Ah mais je ne vais pas rater une fête pareille, s’exclame Lina. Je vais appeler maman pour lui dire que j’ai la grippe et que je ne peux venir à son repas, et on va prendre ce déjeuner tous les quatre ensemble. Pour une fois que je vais m’amuser au repas de Noël !
  • Mais je ne veux pas perturber vos habitudes familiales, répond Sophie un peu inquiète.
  • Les habitudes sont faites pour être bousculées réplique Franz d’un ton péremptoire. Allez mettre un manteau et venez avec nous. Notre maison est à deux pas de l’autre côté de la cathédrale. Vous n’aurez pas le temps d’avoir froid.
  • Ouais ! s’écrie l’enfant
  • Ouaff ! surenchérit Arthur.
  • Tu vois, il dit qu’il est prêt, traduit Louis.
  • Allons-y conclut Franz, c’est parti.

****

À suivre 

 

 

 

8 réflexions sur “Une image, une histoire : Les tuiles de Noël ( partie 4)

  1. Allons y, c’est parti, pour déguster ce dimanche de délicieux gâteaux !
    Histoire palpitante comme Chris sait les inventer.

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  2. Tres belle histoire .Merci Marie Christine .Tres bon dimanche .

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  3. @ mchristinegrimard : Les contes de Noël, même après Noël, se laissent encore déguster…

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  4. Un très joli conte de Noël…bon dimanche

    Aimé par 1 personne

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