Va-et-vient numéro 13 : l’invention du hasard.

Voici mon texte pour ceux qui désireraient le lire de nouveau .

Port Bourgenay, un hiver en passant

J’étais assez saoul pour accepter n’importe quoi !

Et ce fut le cas.

Accepter cette folie prouvait que j’avais perdu tout bon sens, si tant est que j’en ai jamais eu.

Relever ce défi, l’invention d’un hasard : une idée folle germée dans un cerveau confit dans l’alcool, poser son index sur la mappemonde, le hasard décidant où je passerai la prochaine année de ma vie, ou peut-être la dernière…

Trois jours de traversée dans cette mer glaciale et déchaînée avaient suffi à me remettre les idées en  place. Les gars me regardaient avec un mélange de crainte et de pitié, je pensais qu’ils avaient tort jusqu’à ce que je repère l’îlot sur lequel ils allaient me débarquer. La brume serait ma compagne pour les semaines à venir, que le vent ne dissiperait qu’en apportant la pluie.

Un port rudimentaire cerné par trois maisons de pierres noires, d’un café enfumé et d’un hangar à bateau, semblait la seule trace de civilisation. En m’engageant sur les pavés du quai, je croisais le gars que je venais remplacer, le front disparaissant sous une énorme casquette, qui me jeta alors un : « Bonne chance ! » avec un clin d’œil en courant vers le bateau.

Après tout, j’avais opté pour le dépaysement en répondant à cette petite annonce. Il n’y avait pas grand choix sur ce rocher perdu dans l’Atlantique nord. Je n’allais pas être déçu.

La maison se cachait derrière un bois de chênes tout en haut de l’unique colline. Les champs battus par le vent marin ondulaient, peignés sous les rafales. Au loin un troupeau de Highlands qui ébrouaient leurs longs manteaux roux, avançait péniblement. Leur beauté tranquille m’apaisa tandis que je toquais au lourd linteau de la porte.

Une femme vêtue de noir apparut sur le seuil et, sans me saluer, me demanda de la suivre. Les murs totalement blancs baignaient la maison d’une lumière irréelle. Dans la bibliothèque, elle m’attendait plongée dans ses pensées. Lorsqu’elle se tourna vers moi, j’eu la sensation que son regard vert-de-gris transperçait ma carapace. Il ne lui faudrait pas longtemps pour découvrir le moindre de mes secrets. Je baissais les yeux, soudain gêné, moi que rien ni personne n’avait jamais intimidé.

– Il semble que vous appréciez la tranquillité et la liberté, vous paraissez solide. Je pense que vous vous plairez ici. Suivez-moi, nous allons vérifier si ce travail vous convient. Sans attendre la réponse, elle enfila une longue pèlerine de laine et me fit signe de la suivre sur la lande. Elle marchait d’un pas décidé contre le vent et j’eus du mal à la suivre. En haut de la colline, elle s’arrêta brutalement et me regarda grimper les derniers mètres, un sourire au coin des lèvres.

– Ce pays se mérite mais vous vous débrouillez plutôt bien, d’autres se seraient étouffés avec ce noroît. Mais il reste à convaincre ces deux-là.

Je suivis son regard, intrigué, il n’y avait personne à part nous dans ce champ entre la falaise et l’orée de la forêt. Elle siffla entre ses dents, une longue plainte qui se perdit sous le vent. Un galop répondit à cet appel. Je vis sortir des arbres un bœuf monumental aux cornes d’auroch escorté d’un énorme loup.  Je tâchais de faire bonne figure, écartant les jambes pour garder mon équilibre malgré les rafales. Le bœuf s’arrêta à quelques pas me jaugeant sous sa frange rousse, les naseaux retroussés et le loup, qui était finalement un chien imposant de la taille d’un veau, se positionna entre sa maîtresse et moi, les crocs découverts m’observa en silence.

Je le laissais s’imprégner doucement de mon odeur et levais lentement la main vers son museau, paume vers le ciel en signe d’apaisement. Il m’arrivait à la taille et aurait pu me dépecer en deux coups de dents. J’ai toujours eu un bon instinct avec les animaux, je savais que celui-ci n’était pas hostile. Son regard interrogateur me laissait une chance. Je baissais les yeux en approchant la main de sa truffe.

– Tu acceptes que l’on soit ami ?  demandais-je en croisant son regard.

– Ouaf ! Un grognement suivi d’un aboiement joyeux en guise de bienvenue, il se mit à courir autour de moi, me poussant doucement vers l’auroch. Celui- ci approuva d’un meuglement sonore, m’arrachant un sourire. Je flattais son encolure. Sa laine était douce comme de la soie dans l’humidité de la brume de mer.

– Bien, vous êtes embauché, dit-elle. Quel est votre nom ?

– Arthur Murray.

– Murray ! Nous avons des cousins Murray du côté de ma mère. Le monde est petit où le hasard s’amuse. C’est un début intéressant. Voilà qui m’intrigue. Je comprends pourquoi les animaux vous ont accepté si facilement. Ne me regardez pas comme ça, vous comprendrez plus tard. Je vous embauche. Bienvenue au domaine MacLeod !

– MacLeod était le nom de jeune fille de ma grand-mère , c’est sans doute pour ça que je me sens chez moi dans les Highlands où je ne suis jamais venu.

– C’est un pays qui coule dans les veines de ses enfants. Impossible de lui échapper, le hasard n’existe pas. Ce n’est qu’une invention d’incroyants. Heureuse que tu sois là, cousin !

Oingt Rhône,
une rencontre

8 réflexions sur “Va-et-vient numéro 13 : l’invention du hasard.

  1. Toujours le même plaisir à te (re)lire !

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  2. Mystérieuse incursion dans les Highlands pour un dépaysement garanti !

    Merci Marie-Christine pour ton récit qui me donne envie de voyager.

    Et jje profite de ce petit mot pour souhaiter une heureuse fête à toutes les mamans. ❤️

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  3. relire : plaisir redoublé de la redécouverte et du souvenir 🙂

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