
.
Les fêtes finies
Rangeons paillettes et santons
Jusqu’à l’an prochain.
.
Les fêtes finies
Rangeons paillettes et santons
Jusqu’à l’an prochain.
Les nuits de fêtes ont brûlé leurs derniers flambeaux.
Les rois ont regagné leurs pays de sables d’or.
Les cadeaux sont oubliés.
Les cartes de vœux sont envoyées, reçues, échangées.
Les galettes sont dévorées.
Il faut ranger le petit peuple d’argile dans ses papiers de soie, minutieusement, un à un, pour les retrouver intacts en décembre prochain, lorsque reviendra le temps de l’avent.
Ne pas séparer les bergers de leurs moutons, les uns ne pouvant exister sans les autres.
Rassembler les tambourins pour qu’ils puissent répéter à leur aise avant Noël prochain.
Ne pas disperser le groupe des boulangers pour qu’ils paufinent leurs recettes de pognes aux fruits confits.
Ne pas ranger monsieur le maire à côté de monsieur le curé, leurs discussions sans fin risqueraient d’empêcher les autres de dormir…
Voilà, chacun a trouvé sa place.
Bien refermer le carton et le ranger en haut de l’étagère pour que personne ne vienne les déranger avant l’avent prochain.
Surtout, ne pas se demander qui sera là pour ouvrir le carton à la fin de l’année…
Surtout ne pas se demander qui sera là autour de la table…
Surtout ne pas se poser ce genre de questions…
Photo M. Christine Grimard
Mon temps est revenu.
Celui des cris d’enfant, celui des paillettes et des guirlandes étincelantes. Celui des longues nuits et des jours de givre. Celui où l’air est chargé d’espoir. Je l’ai toujours su, mais sans bien comprendre ce qui se passe autour de moi.
Je sais simplement que décembre est le temps des espoirs, je l’ai entendu si souvent…
C’est mon temps aussi. Chaque année durant un petit mois, on m’exhibe. J’ai le droit d’exister après de longs mois de silence et d’obscurité. J’ai le droit de sentir sur moi le regard pétillant des enfants.
C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.
*
Chaque année, des mains me ressortent de ma prison de soie. Des mains lisses parfois, des mains fripées d’autres fois. Des mains de tous âges. J’aime sentir ces mains douces et chaudes se poser sur moi, elles me réchauffent le cœur. J’aime sentir le regard des enfants sur moi, ils me réveillent l’âme. La première fois, c’était il y bien longtemps, près d’un siècle. C’était un regard bleu, profond, presque turquoise. Sa mère venait de nous acheter, moi et mes sœurs et il avait ouvert la boîte où nous étions toutes rangées soigneusement ; soudain son regard s’est chargé d’étincelles et il m’a prise dans petite main. Sa mère lui a recommandé de faire bien attention, lui expliquant que j’étais faite d’une pâte de verre très fine recouverte d’un peu de peinture et de quelques paillettes, et que j’étais très fragile. Il a fait très attention, et chaque année en janvier il m’a rangée dans ma petite case bien protégée dans ma gaine de soie pour me ressortir en décembre. Je l’ai vu grandir peu à peu, mais son regard a toujours gardé le même éclat quand il me regardait.
C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.
*
Puis un autre petit garçon qui lui ressemblait beaucoup a pris la relève, il avait le regard grave des enfants soucieux mais il a pris grand soin de moi comme lui a recommandé sa mère. J’aurais bien voulu que ce regard s’éclaire, alors j’essayais de briller de mille feux mais je crois que je ne l’ai jamais vu sourire. Pourtant je suis faite seulement pour cela, pour faire sourire les enfants…
C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.
*
Durant les années suivantes, on ne m’a plus sortie de ma boîte. J’interrogeais mes sœurs qui ne comprenaient pas plus que moi pourquoi on nous laissait dans le noir. Même l’ange de la crèche qui était sur l’étagère du haut était incapable de nous dire ce qu’il se passait. Pourtant, il était dans les secrets du ciel !
Cela a duré plusieurs décennies il me semble, et un jour on nous a déménagées. Il m’a semblé que le voyage était très long. Au loin on entendait gronder les canons. Nous avons été ballotées sur des routes cabossées, nous avons été maltraitées. Après de nombreuses heures de ce régime difficile, notre boîte est tombée au milieu d’un amas d’ustensiles et de valises. Plusieurs de mes sœurs n’y ont pas résisté. Moi, j’ai tenu le choc en m’accrochant à ma soie protectrice. Elle et moi on a survécu. Mais désormais nous étions seules, mes sœurs étaient réduites en éclats de cristal. Je pensais que mon heure avait sonné, mais une petite fille aux boucles brunes m’a retrouvée. Je reverrai toujours son regard quand elle a déplié ma gaine de soie, en criant à sa mère qu’elle avait trouvé une boule intacte. En un instant, son sourire m’a fait oublier toutes les frayeurs que je venais de vivre.
C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.
*
Puis la petite fille a grandi et d’autres sont venues la remplacer. Le temps des humains passe si vite.
Mais générations après générations, je reconnais leur regard bleu pétillant de plaisir, le même regard que celui du petit garçon qui m’a appris comment briller et tenir mon rang au milieu de ces branchages. Il faut dire que sans moi, ils seraient bien tristes et d’un vert affligeant ces sapins avec leurs aiguilles dégoulinantes de résine !
C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.
*
Demain, ils ressortiront ma boîte et je reverrai la lumière de ce nouvel hiver. Je le sais, parce l’odeur du sapin a envahi mon espace. La roue a tourné une année de plus.
Mon temps est revenu.
Je me demande quelle sera la petite main qui me sortira de ma cachette cette année. J’aime avoir la surprise. Un petit garçon au regard malicieux, une petite fille au regard curieux, peu m’importe, je serai heureuse de les voir me contempler. Je serai heureuse de faire naître leur sourire. Je serai heureuse de partager leur espoir.
Il faut que je me prépare pour être la plus belle lorsqu’ils écarteront mon écharpe de soie et qu’ils s’émerveilleront de ma couleur. Il faudra que je me prépare au nouveau choc de me voir briller dans leurs yeux. J’aime tant ces regards d’enfants heureux.
C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.
*
Texte et photo de M. Christine Grimard