
Prendre du recul
Pour regarder notre monde
D’un regard d’enfant
Prendre du recul
Pour regarder notre monde
D’un regard d’enfant
.
Enfin
Tu peux décider de la vie que tu veux
Tu peux choisir les mots que tu écris
Tu peux enchaîner les jeux et les modes
Tu peux suivre la ronde du plaisir
Tu peux avancer sans regarder derrière
.
Mais parfois…
.
Il y a ce regard croisé dans le miroir
Il y a cet enfant au bord de la route
Il y a l’ombre de ses cils sur ta joue
Il y a le murmure de ses soupirs
Il y a l’ombre de ses désirs
.
Et pourtant
.
Personne ne sait si ses prunelles était claires
Personne ne se souvient du timbre de sa voix
Personne n’a vu la couleur de ses rêves
Personne n’a su ce qu’il criait à la nuit
Personne n’a vu son ombre s’envoler
.
Alors
.
Ne le laisse pas s’enfuir sans toi
N’oublie pas la douceur de ses mains
Retrouve le goût de ses larmes sur tes lèvres
Dessine la forme de son visage dans le miroir
Ecoute-le peindre ses rêves
Fredonne sa chanson sous le vent
.
Partir sans lui
Serait te perdre
Dans le vent
Glacé
Sous la surface des choses se cachent parfois d’autres choses.
Dans cette série, je vous propose de laisser votre imagination vous montrer ces choses qui vivent derrière les choses.
Photo M. Christine Grimard
Chaque soir depuis dix ans, il rentre chez lui par la rue du bastion en passant devant cette maison. Il ne se souvient même plus l’avoir vue ouverte. Peut-être une fois, il y a très longtemps. Les volets très soignés à l’origine sont peu à peu tombés en ruine. Certains ont été arrachés par le vent, d’autres fracturés par des squatters peu scrupuleux. Heureusement, la marquise a résisté aux vents et au temps.
Il se demande combien de temps la maison va échapper à la démolition. C’est dommage, elle est bien placée non loin du centre-ville, dans un quartier plutôt calme, orientée plein sud. Marc se dit que s’il avait eu une famille, il aurait volontiers acheté une maison de ce genre ; c’est une idée qui lui avait traversé l’esprit les premiers temps. Maintenant qu’elle est presque en ruines avec sa cour pleine de ronces, sa façade défraichie et ses volets dépareillés, elle ne l’attire plus vraiment ; surtout depuis qu’ils ont muré les fenêtres avec des grilles métalliques. Pire, depuis quelques semaines, les vandales se sont attaqués aux murs des pignons avec leurs bombes de peinture. Marc apprécie les tableaux de rue quand ils sont esthétiques, mais ces signatures monstrueusement agressives le dégoûtent. C’est probablement le signe que la fin est proche.
Malgré lui, cette perspective de démolition lui fait mal au cœur.
Ce soir, il rentre à pied et s’arrête devant la façade. Il en détaille chaque pierre puis sort son téléphone portable et la prend en photo, sans savoir pourquoi. Cela lui semble indispensable de garder le souvenir de cette maison avant sa disparition.
Il se retourne pour voir à qui appartient cette voix moqueuse, mais il n’y a personne. Il revient sur ses pas mais il n’y a personne au coin de la rue non plus. Il se tourne vers la maison comme pour la prendre à témoin. La nuit commence à tomber. Les réverbères s’éclairent, se reflétant sur les grillages des fenêtres. Un léger mouvement attire le regard de Marc vers la fenêtre du deuxième étage. Une ombre créée par le reflet des nuages, pense-t-il. Pour mieux la voir, il recule de deux pas jusqu’au bord du trottoir au moment où une camionnette bariolée passe à toute vitesse sur la chaussée. Le chauffard klaxonne impatiemment, tandis que quelqu’un crie « attention« . Marc sursaute, c’est la même voix dont il ne peut définir la provenance. Elle semble sortir de son propre crâne, comme si son instinct de survie lui parlait distinctement, comme s’il était habité. C’est une sensation très désagréable. Marc se demande s’il ne devient pas fou.
Il décide de rentrer et de se coucher. Il a besoin de repos. Il jette un dernier regard agacé à la maison avant de s’éloigner. Il la rend responsable de son humeur maussade comme si elle s’était moqué de lui.
Marc se retourne et même s’il ne voit rien dans la rue sombre, il sort son téléphone et prend une dernière photo avant de rentrer chez lui en courant. Curieusement, il sent qu’il devait le faire et cela l’apaise. En rentrant, il se couche la tête vide et s’endort aussitôt, épuisé.
***
Le lendemain au réveil, sa première pensée le ramène aux évènements de la veille. Il sort son portable et fait défiler les photos qu’il a prises de la maison. La dernière est particulièrement sombre, sauf la fenêtre du second d’où il émane une sorte de halo. Marc tente d’agrandir l’image mais elle est si floue que cela n’apporte rien. Il modifie les réglages, augmente la luminosité et le contraste, réduit les ombres et focalise sur le vasistas qui l’intéresse.
Un visage apparaît dans une sorte de halo blanc, comme s’il était éclairé par la flamme d’une bougie située au-dessus de lui. C’est le visage émacié d’un enfant brun, au regard triste. Une ombre lui barre le front, une sorte de cicatrice ou d’hématome…
Il faut qu’il en ait le cœur net. Il prend sa veste, y glisse son portable et reprend la direction de la maison. La rue est barrée par un ballet d’engins de chantiers. Il se glisse parmi les badauds. Deux énormes pelles mécaniques ont été installées, bras mécaniques levés vers le ciel. Les ouvriers du chantier de démolition se mettent en place, déviant la circulation vers la rue voisine. Marc avance sur le trottoir d’en face, les piétons étant interdits sur le chantier. Il lève machinalement les yeux vers le vasistas. Il n’y a personne.
Il reporte son attention sur le chef de chantier qui donne des ordres à son équipe à grand renfort de gestes.
Marc sursaute. Avant même de le voir, il sait qu’il est là, il lève les yeux vers le vasistas où l’enfant triste lui fait un geste désabusé de la main. Marc hurle aux ouvriers de s’arrêter. Il traverse en courant et empoigne le bras du chef de chantier en lui montrant la fenêtre. L’autre le prend pour un fou, il suit la direction indiquée par Marc mais ne voit rien. Marc s’énerve, mais rien n’y fait. Après quelques minutes de dialogue de sourds, le chef de chantier finit par appeler la police. Ils sont là rapidement et interrogent Marc qui leur explique ses craintes en leur montrant la photo prise la veille. Il leur demande d’arrêter le chantier jusqu’à ce que l’enfant soit évacué de la maison et insiste tant que le policier finit par en référer à sa hiérarchie. Les ouvriers commencent à s’impatienter tandis que les badauds s’interrogent. Plusieurs minutes plus tard, le commissaire arrive, Marc soulagé par son attitude calme et attentive, lui explique toute l’histoire. Le commissaire l’écoute en silence, puis lève les yeux vers la fenêtre incriminée au moment où un nuage étend son ombre sur la maison.
Photo M.Christine Grimard
Il hoche la tête puis demande au chef de chantier de l’aider à fracturer la porte et à Marc de les accompagner. Celui-ci rougissant, les suit un peu tremblant, se demandant ce qui lui a pris de se mêler de cette histoire.
Ils pénètrent dans la maison. Une odeur de moisi imprègne les murs. Dans la pénombre, le silence emplit tout l’espace, aussi épais que la poussière qu’ils soulèvent sous leurs pas. Ils suffoquent. L’atmosphère est si lourde que Marc ne peut s’empêcher de trembler. Il interroge du regard le commissaire. Le chef de chantier reste sur le pas de la porte, craintif. Le commissaire lui fait signe de le suivre et s’engage dans l’escalier de bois. Les marches craquent, ils montent précautionneusement, craignant qu’elles ne se brisent sous leurs poids. Tout en montant au second étage, il explique que la dernière fois qu’il est venu ici, il y a vingt ans, il enquêtait sur la disparition d’un jeune garçon qui était en pension dans cette famille, placé par la DASS. Ils n’avaient jamais retrouvé l’enfant et cette affaire n’avait jamais cessé de le hanter depuis. En prononçant ces paroles, il a les larmes aux yeux et Marc ne peut s’empêcher de poser sa main sur son bras en disant :
Il ne sait pourquoi il a dit cela, lorsque la voix lui répond :
Le commissaire se retourne, interdit, cherchant l’origine de la voix. Marc soulagé, comprend qu’il n’est pas le seul à l’avoir perçue. Il hoche la tête et indique aux deux hommes une porte vermoulue d’où la voix semble être venue.
La pièce est petite à l’image de la seule fenêtre que Marc reconnaît comme étant celle où il a vu le visage de l’enfant apparaître la veille au soir. Ils avancent sur le parquet qui craque comme les feuilles d’automne dans un sous-bois. Marc trébuche sur une latte qui dépasse et tente de se rattraper en faisant un pas en avant, mais tombe lourdement sur le sol en brisant trois lames de bois. Le commissaire se précipite pour l’aider à se relever mais le parquet craque sous son poids et il s’enfonce de plusieurs centimètres. Ils n’osent plus bouger de peur de passer à travers le plafond du premier.
Le chef de chantier resté prudemment sur seuil de la chambre, pousse un cri en montrant d’une main tremblante un manche de bois qui dépasse de la lame de parquet brisée. Le commissaire se relève, soulève les deux lattes qui l’ont fait tomber, découvrant une petite cavité creusée sous le plancher. Il fait signe à Marc de l’aider à dégager le parquet. Les deux hommes travaillent en silence, échangeant des regards inquiets. Quelques secondes suffisent à dégager l’endroit. Ils se redressent, les mains tremblantes, la gorge nouée.
Au fond de la cavité, git un petit squelette, les bras et les jambes repliées en position fœtale. Au milieu de ce qui formait l’abdomen de l’enfant, un nounours râpé est niché. Le crâne est fendu au niveau du front par une hache rouillée dont le manche dépasse de la cavité.
Les deux hommes se regardent en silence, laissant couler leurs larmes, lorsque la petite voix s’élève du coin de la pièce :
Texte et Photos M. Christine Grimard
Pour ceux qui n’auraient pas eu l’occasion de lire le texte que j’avais écrit pour cet échange avec Alain Nouvel, je le poste de nouveau ce matin. J’en profite pour le remercier chaleureusement de m’avoir demandé de partager ainsi ces mots sur ces instants photographiques.
Voici la photo qu’il m’avait envoyée pour inspirer ce texte.
*
Photo Alain Nouvel
*
L’enfant se tait.
C’est l’instant où le temps hésite entre jour et nuit. Il sait qui gagnera mais il essaye de retenir la lumière.
C’est l’instant où sa peur se réveille. Les monstres habitent les buissons et n’attendent que la fin du jour pour s’approcher de la maison. Il les imagine tapis dans les fourrés, l’observant et se léchant déjà les babines à l’idée de le dévorer.
La maison est envahie peu à peu par l’obscurité. Aucun bruit autour de lui. Ce silence le glace. Il voudrait allumer le lampadaire mais n’ose pas bouger de son poste d’observation. S’il quitte la baie vitrée, ils en profiteront pour avancer. C’est une partie infernale de « Un, deux, trois, soleil » où le soleil serait mort…
Il ne faut pas bouger, il faut surveiller. Et se taire pour ne pas se faire repérer.
La grande horloge de sa grand-mère égraine les secondes qui lui restent à vivre avant qu’ils n’attaquent. Il sait que les êtres de la nuit sont maléfiques. Il l’a souvent lu dans les contes, il l’a souvent entendu à la télévision. Il sait que le monde est séparé en deux camps, celui des ténèbres et celui de la lumière.
Lui l’enfant blond, appartient au monde de la lumière, mais pour survivre à ses nuits, il devra se battre encore et encore. Si seulement sa maman était encore auprès de lui. Elle savait les mots qui apaisent, ceux qui chassent les dragons, ceux qui font battre le cœur.
Mais il la voit. Elle est là. Elle arrive. Elle va le sauver.
La lune se lève, affûtant sa faucille pour affronter les monstres.
Elle s’accroche à la rambarde du balcon, elle le protègera toute la nuit. Quand elle est là, les monstres noirs n’osent plus sortir de leur cachette. Elle les pourfendrait de son épée d’argent. Ils ont peur de sa lumière.
Il lui sourit et lui fait un signe de la main. Elle est là, assise à califourchon sur l’extrémité du croissant étincelant. Colombine, sa maman aux cheveux d’argent lui sourit. En clignant les yeux, un peu ébloui, il la voit qui lui fait signe. Elle claque des doigts, et une nuée de corneilles s’envole de la cime du gros saule. Il les voit disparaître à l’horizon.
Il lui envoie un baiser en le posant sur sa paume et en soufflant fort pour qu’il s’envole jusqu’à la lune. Elle éclate de rire en le recevant, on dirait le tintement d’une clochette d’argent.
Derrière lui, quelqu’un a éclairé le lustre du couloir.
L’instant magique est achevé. Sa grand-mère l’appelle :
***
« Ce qui manque à ce monde, ce n’est pas l’argent.
Ce n’est même pas ce qu’on appelle « le sens ».
Ce qui manque à ce monde c’est la rivière des yeux d’enfants, la gaieté des écureuils et des anges. »
Christian Bobin
*
*
Un petit homme
Avance
Vers son avenir
Et c’est tout l’avenir du monde
Qui marche avec lui
*
*
Sur l’écorce vieillie
Quelque signe de vie
Rejaillit
Et c’est tout le jardin
Qui sourit
*
*
Sur mon toit de lauzes
Vermoulu
Je me pause
Fourbu
Et dans la lumière
Je déguste et j’espère
*
*
Goéland mon frère
Glisse en silence
Sur ton miroir
Invente une danse
De douceur et d’espoir
Sur terre et sur mer
*
Photo M.Christine Grimard
*
Qu’attends-tu mon ami
Que puis-je t’offrir
Pour que tu vives en paix
Et que tes jours soient aussi doux
Que ton regard sur moi
*
Photo M. Christine Grimard
*
Besoin de rassembler mes pensées
De les apaiser
De recentrer sur l’essentiel
Besoin de sentir
Qu’il reste un peu de vie
Dans ce monde
*
Street art dont je ne connais pas l’auteur
D’un seul regard
Sur le monde
L’enfant comprend
Que ses espoirs
Étaient vains
Et le monde rougit
De son infamie
*
*
L’enfant repartit aussi vite qu’il était venu, en secouant ses boucles blondes.
Lorsque la porte se referma sur lui, Pierre eut la sensation que quelqu’un avait éteint la lumière.
Il regarda les boules étincelantes et essaya de les disposer autour de son bouquet, mais n’y parvint pas. Il n’avait jamais été doué pour les fêtes. Il se sentit soudain si vide…
Si les magasins avaient été encore ouverts, il aurait bien été acheter un jouet pour cet enfant, pour qu’il ne perde pas ses illusions tout de suite, comme lui l’avait fait à son âge. Il pensa soudain au cadeau qu’il avait reçu l’année de ses six ans et qu’il avait tant aimé ; ce livre où un jeune garçon blond affrontait le Sahara pour l’amour d’une rose vaniteuse. Il fallait qu’il le retrouve, il en ferait un paquet pour le petit Jonny. Il fouilla fébrilement sa bibliothèque mais ne retrouva pas son livre. Il était déçu, il aurait voulu lui donner demain matin, il était sûr qu’il l’aurait aimé autant que lui, ce matin de Noël où…. Au souvenir de ses chagrins d’enfance, il se mit à trembler de nouveau, la fièvre devait monter. Il allait se coucher, cela vaudrait mieux !
Il se déshabilla et se coucha dans le noir. A la lueur de lune, la guirlande de l’enfant brillait sur la table. Si ça continuait, il ne pourrait pas dormir. Il se releva et rageusement, jeta les boules, la guirlande et le bouquet de houx dans sa corbeille à papier. Noël, ça n’était pas pour lui !
Il se retourna vers le mur, et s’endormit.
*
Cette nuit-là, il fit cauchemar sur cauchemar, sans doute en raison de la fièvre. Il rêva d’un enfant blond, habillé en père Noël qui parcourait le désert en cherchant un ami…
Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas passé une si mauvaise nuit.
Au matin, il était couvert de sueurs froides. C’était Noël, et il était seul, une fois de plus. Il s’assit au bord du lit, la tête dans les mains. Inutile de se lamenter, il n’avait que ce qu’il méritait puisqu’il ne croyait plus en Noël, le petit avait raison…
Dehors, des gens passaient, riant et chantant des cantiques de Noël. Le jour se levait, ils devaient rentrer de leur réveillon. Pierre chassa le vertige qu’il sentait venir d’un geste de la main et se leva pour aller boire un verre d’eau. Dans la cuisine quelque chose avait changé. Il mit plusieurs secondes à réaliser. La guirlande avait été disposée autour de son lustre et les trois boules argentées de Jonny étaient suspendues aux branches. Cela donnait à la pièce un air de fête. Sur la table, le petit bouquet de houx était de nouveau dans son verre d’eau, brillant de paillettes. Il semblait avoir doublé de volume depuis la veille. De chaque côté étaient disposés deux paquets-cadeaux enveloppé dans un papier décoré de rennes et de sucres d’orge à rayures rouges, avec une grosse étiquette où il était écrit « Jonathan ».
Pierre, incrédule n’osait pas s’approcher de la table. Ça devait être la fièvre…
Il finit par se décider, il prit les cadeaux avec précautions, les soupesant, les tournant et les retournant. L’un des paquets était petit et lourd, l’autre était beaucoup plus volumineux et plus léger.
Qu’est-ce que c’était que cette histoire de fous …
Il s’interrogeait toujours quand on frappa impatiemment à la porte. Il alla ouvrir et se trouva devant Marie et Jonathan. L’enfant, en pyjama ne retenait plus son excitation :
Pierre prit le paquet, il était identique à celui qu’il venait de reposer sur sa table, enveloppé des mêmes rennes et sucres d’orge, avec une grosse étiquette indiquant « Pierre ». Il dit à l’enfant :
L’enfant se précipita et prit les deux paquets, qu’il serra sur son cœur.
Pierre était fasciné par le plaisir qui brillait dans les prunelles du petit. Voilà bien longtemps qu’il n’avait vu un sourire aussi lumineux. Il joua le jeu, aussi excité que lui.
Il déchira le papier et sut avant de le découvrir que son livre adoré lui était rendu. La couverture avait toujours le même pouvoir de fascination sur lui. L’enfant blond admirait le ciel étoilé debout sur sa minuscule planète, à ses pieds un volcan miniature fumait et un baobab essayait de pousser avant qu’on ne le remarque. Il le trouvait si beau avec son costume vert pastel et son nœud papillon. C’était son premier ami à l’âge où il n’en avait aucun, et il avait passé tant de jours à rêver avec lui à sa planète aux confins des étoiles.
Jonathan avait découvert le même livre dans le premier paquet et le feuilletait s’arrêtant sur chaque dessin de l’auteur. Il regarda celui de Pierre, les compara et s’écria :
Mais déjà l’enfant déchirait l’emballage du second paquet. Il découvrit un animal fabuleux mi-coton-mi-peluche. Pierre n’aurait su dire à quelle espèce il appartenait, c’était un hybride de chien et de brebis, ou peut-être de loup et de chèvre, ou peut-être un renard, ou rien de tout cela. Il avait de grands yeux bordés de cils démesurés qui lui donnaient un regard presque humain, et un sourire fendu d’une oreille à l’autre. Le petit en resta muet d’admiration, le tenant à bout de bras pour l’admirer, puis le serra contre son cœur, des larmes plein les yeux, regarda Pierre et dit :
Pierre le regardait en retenant son émotion ne sachant plus que répondre. L’enfant ajouta :
Marie éclata de rire, acquiesça puis souleva l’enfant et son ami et se tournant vers Pierre, lui dit :
–> Fin
*
Il rentra au bureau à grandes enjambées comme s’il voulait fuir cet endroit et toute l’après-midi il évita de penser à cette rencontre insolite. Il avait toujours détesté les évènements qu’il ne pouvait expliquer. Il se targuait d’avoir toujours eu les pieds sur terre, et ce n’est pas parce que c’était Noël que les choses allaient changer ! A plusieurs reprises, il jeta un coup d’œil au bouquet de houx qu’il avait posé sur sa pile de dossiers en se demandant s’il n’allait pas disparaître aussi brutalement que cette femme…
Il avait des frissons et plus les heures passaient, plus il se sentit fiévreux. Il avait dû prendre froid, assis sur ce banc. Voilà qui lui fournirait une belle occasion de rater la fête de Noël avec ses collègues. Les heures passant, il se sentait de plus en plus mal, tremblant et claquant des dents. Françoise finit par remarquer son manège et lui conseilla sèchement de rentrer chez lui avant de tous les contaminer le soir de Noël. En soupirant, il se leva. Titubant, il ramassa son bouquet de houx et quitta le bureau en maugréant, lui demandant d’excuser son absence à la fête auprès de ses patrons. Au fond, il était bien content que cette fièvre soudaine lui fournisse le prétexte pour rentrer tranquillement chez lui. Ces simulacres de fêtes lui pesaient depuis toujours.
Dès qu’il fut dehors, il se sentit mieux. L’air froid de décembre lui fouettait le visage. Les nombreuses personnes qui se pressaient dans les rues à la recherche du cadeau de dernière minute, le firent sourire. Lui au moins, n’avait pas ce genre de problème. Il irait déjeuner dans la famille de sa sœur pour le nouvel an et avait encore toute une semaine pour lui choisir un présent, il pourrait le trouver en soldes. Il sourit de son propre cynisme, après tout, elle lui avait gâché Noël à tout jamais, alors il n’avait pas à faire d’effort pour elle !
Il arriva au pied de son immeuble à la nuit tombante et entreprit de monter à pied, l’ascenseur ayant des sautes d’humeur, il ne voulait pas risquer de passer la soirée coincé à l’intérieur avec une fièvre pareille. Il gravit ses deux étages en maugréant, personne n’ayant encore pensé à changer les ampoules grillées des paliers du premier et du second qui étaient grillées depuis près d’un mois. Ce n’était pas le soir de Noël que quelqu’un allait le faire !
Il connaissait l’immeuble par cœur et aurait pu trouver la serrure de sa porte les yeux fermés, pourtant ce soir-là, il trébucha sur un objet abandonné sur le palier. Il grommela une bordée d’injures pour « l’inconscient qui avait laissé traîner ses détritus sur le palier » lorsqu’il entendit une petite voix lui répondre :
Personne ne répondit, pourtant il sentait une présence. Cette voix lui était inconnue. C’était une voix d’enfant, fille ou garçon, il ne saurait le dire. Il n’y avait jamais eu d’enfant dans cet immeuble, les appartements minuscules et peu confortables, ne convenaient pas aux familles. C’était d’ailleurs pour cela qu’il avait choisi d’y vivre, pour avoir la paix sans entendre des cris et des rires d’enfants toute la journée.
En tâtonnant, il ouvrit sa porte et éclaira son appartement. Il vit alors l’enfant assis sur la première marche de l’escalier menant au troisième. Il semblait très jeune, avait un regard triste, des yeux immenses, une tignasse hirsute blonde, et des fossettes qui ne parvenaient pas à éclairer son visage. Il le fixait sans bouger, l’air méfiant, serrant contre lui tout un assortiment de papier, crayons et rubans. Pierre se planta devant lui, les mains sur les hanches et lui demanda :
Il s’approcha de la porte pour examiner le papier que l’enfant avait collé et qui penchait lamentablement ne tenant plus que d’un seul côté.
Pierre faillit éclater de rire mais l’air sombre du jeune garçon l’arrêta dans son élan. Il semblait au bord des larmes, et tremblait sur sa marche d’escalier. Il faisait un froid de canard sur ce palier.
L’enfant hésita un peu, puis se décida à le suivre. Pierre le détailla à la lumière, il semblait beaucoup plus jeune qu’il ne l’avait cru d’abord. Il n’avait pas l’habitude des enfants mais le trouva très pâle et très maigre, des cernes bleus lui mangeant le regard. Il serrait contre lui tout son attirail, en dansant sur un pied.
Tout en parlant, il alla chercher un verre qu’il remplit d’eau pour installer le bouquet au centre de la table. Soudain, la pièce sembla s’éclairer d’une lumière de fête. Pierre sourit et regarda l’enfant d’un air de défi, mais celui-ci haussa les épaules et dit :
L’enfant avait presque crié cette dernière phrase, lorsqu’une jeune femme passa la tête dans l’ouverture de la porte. En la voyant l’enfant se jeta dans ses bras :
La mère et l’enfant regagnèrent leur appartement, laissant Pierre à une solitude qui lui parut soudain très pesante.
Quelques secondes plus tard, on frappait de nouveau à sa porte. C’était l’enfant, tenant dans ces mains trois boules scintillantes et une guirlande argentée, qu’il posa sur la table d’un air d’autorité :
L’enfant repartit aussi vite qu’il était venu, en secouant ses boucles blondes. Lorsque la porte se referma sur lui, Pierre eut la sensation que quelqu’un avait éteint la lumière.
–> A suivre –<
*
Sous mes paupières closes
Dansent des tâches de soleil
Le ciel tout entier déborde
D’un torrent pastel
Parsemé d’encre et d’étincelles
La nuit efface le temps
Les murs de la chambre
S’envolent au large
Et les nuages nagent
Au vent fripon
Qui gonfle les voiles
Et fait briller les étoiles
*
Mon enfant
Laisse aller le temps
Laisse pleurer le sang
Oublie ce corps si lourd
Cours
Suis le goéland
Sous le vent…
*
Oh mais il s’est caché
Quelque chose l’a effrayé !
C’est le réveil qui a sonné
Mon enfant, il faut te lever
Ce matin c’est la rentrée !
*
Ne t’inquiète pas
Il t’attendra
Et ce soir tu le retrouveras
Là-bas
Sur l’estran
Sous le vent !
*