Voici mon premier texte, répondant à la proposition de François Bon pour l’été 2018 : l’atelier d’été | construire une ville avec des mots
Vous trouverez sur tiers livre, les explications sur ce cycle.
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Elle pousse le portail rouillé qui n’a pas servi depuis des lustres si l’on en croit la rouille qui étouffe les gonds. Un crissement désagréable déchire le matin. Une pancarte aux couleurs agressives vante les qualités du lieu offert à la revente depuis peu. Elle réalise un peu tard qu’un nouveau passage a été ouvert un peu plus loin dans le mur d’enceinte. Tellement habituée à passer par la grille, toujours ouverte dans son souvenir, elle n’avait pas vu cette saignée dans le mur de pierres dorées. On dirait une injure faite aux hommes qui ont bâti cet ouvrage massif à mains nues, deux siècles auparavant. Décidément, elle n’aurait pas dû revenir. Elle a l’impression que cette première entorse à ses souvenirs, sera suivie de nombreuses autres. Trop tard, puisqu’elle est là, autant faire taire l’émotion qui lui serre le cœur.
Ses talons claquent sur les pavés de la cour, elle se souvient que l’un d’eux était incrusté d’une ammonite, tout près du mur de la grange ou vers le puits, elle ne se souvient plus exactement. Elle le cherche en vain, il lui semble que la cour a rétréci. C’est sans doute elle qui a grandi depuis sa dernière visite entre ces murs. Combien de temps déjà, elle n’ose compter. Après tout, elle est passé si vite cette petite quarantaine d’années…
La grange a disparu. Désormais transformée en habitation, elle est ornée de quatre ouvertures modernes imitant des verrières d’ateliers. Elle s’approche de l’une d’elle, étonnée que le regard traverse maintenant le corps de ferme. De l’autre côté du bâtiment, elle aperçoit le puits trônant au centre de la cour Nord. Une joie idiote l’envahit, tant elle est heureuse qu’ils ne l’aient pas détruit. Elle se souvient du jour mémorable où elle avait subi la plus grosse remontrance de sa vie au pied de ce puits. Avec Roger son copain d’enfance, elle jouait dans cette cour chaque après-midi après l’école. Ce jour-là, ils se lançaient une balle au-dessus du puits lorsque l’objet rebondit sur la margelle et tomba dans l’eau. Ils savaient bien qu’ils n’avaient pas le droit de s’approcher du puits, mais personne n’était là pour le voir, et Roger, toujours téméraire avait décidé de la tenir au-dessus du puits pour qu’elle attrape le seau afin de faire descendre au fond pour récupérer la balle. Alors qu’elle grimpait sur son dos pour atteindre la margelle, son père, était arrivé miraculeusement avant que le drame ne se produise. Sur le coup, du haut de ses cinq ans, elle avait trouvé injuste les coups et les paroles reçues. Aujourd’hui en y repensant devant ce puits, aux pierres rénovées éclatantes sous le soleil de juin, elle frissonne, réalisant que sa vie aurait pu finir ce jour-là au fond du puits.
L’émotion est intacte, elle entend encore les paroles de son père et revoit les larmes de sa mère, ce soir-là, regrettant de lui avoir causé autant de tracas avec quarante ans de retard.
Photo m Christine Grimard
@ mchristinegrimard : Il faut espérer trouver suffisamment de mots, comme autant de briques, pour construire cette ville imaginaire… 🙂
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J’essayerai de les trouver pour les neufs autres propositions de cette « première saison »… cependant, j’ai un peu triché puisque cette ville est un hameau, et n’a rien d’imaginaire puisque c’est le lieu de vie de mon enfance.
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Depuis des siècles les gens s’échangent des pensées avec des mots, ils construisent des phrases offensives ou défensives, quelquefois aimables comme un jardin, ils ont fini par en construire des villes mentales qui nous piègent d’autant plus qu’elles sont presque invisibles.
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Nous nous construisons de toutes les briques de souvenirs accumulés depuis l’enfance, la mienne fut privilégiée dans un lieu chargé d’histoire où les enfants avaient de quoi rêver dans tous les coins. J’espère que cela apparaîtra dans cette suite de textes (que je n’ai pas encore écrite ..) !
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Me suis également embarqué dans l’aventure et puis… manque de souffle, comme d’habitude. Ou peur de me laisser tomber dans un puits. Qui sait. Peut-être y retournerais-je à l’occasion de la prochaine série de propositions annoncée par François Bon.
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Le rythme de cet atelier est intense, je n’ai pas trouvé le temps pour passer la seconde porte pour le moment, mais il faut laisser décanter, ça viendra par l’omnibus du souvenir 🙂
Merci pour votre visite !
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Le texte « C’était là » reproduit sur mon blog est extrait de mes premières contributions à l’Atelier d’été. Le premier souvenir est important car il conditionne tous les autres de la série. J’aurais dû, oui, prendre plus de temps pour bien ou mieux le cibler. Ce qu’il y a derrière votre grille semble inépuisable…
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Oui, je l’ai lu et apprécié ce matin.
Derrière ma grille, il y a toute l’enfance, et je suis sûre que derrière votre premier texte, se cache tout un univers, que je lirai volontiers également 🙂
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C’est toujours un plaisir de te lire chère Marie-Christine 🌹
De surcroît la photo est superbe 👌
Bon dimanche 😘
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Merci beaucoup pour les photos et l’appréciation de la photo. Elle a été prise à Bologne, ville magnifique il y a deux ans, et n’a rien à voir avec le hameau dont je parle, si ce n’est que les grilles du portail étaient très similaires.
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lue et re-lue avec grand plaisir, et reviens régulièrement chercher la suite, revenez please 🙂
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Merci beaucoup Brigitte d’être revenue sur mes pas, tant ils sont nombreux à avoir posé les leurs sur tiers-l’ivre…
La suite va bien finir par s’imposer à moi , mais je n’ai pas votre vitesse de réaction 🙂
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Quand je visite la ville de Petra en Jordanie, souvent filmée, grâce à la télévision, j’ai la sensation prégnante que chaque pierre, sculptée ou non, est un mot.
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Vous avez raison, chaque pierre est un souvenir, de celui qui l’a taillée, de ceux qui l’ont contemplé, de ceux qui l’on foulé de leurs pas, du temps qui a passé au-dessus d’elle. Il y a de quoi broder …
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Vous vous lancez dans une belle aventure d’écriture. Une ville entière ! Je suis admirative…
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Cela ouvrée des perspectives, mais ce sera beaucoup plus modeste qu’une ville chez moi. Un simple hameau où les gens passent et vivent. Ce qui m’intéresse dans les pierres, finalement, ce sont surtout les gens qui les bâtissent et qui y laissent leur empreinte de vie 🙂
Merci à vous !
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