La ronde de Janvier (bis) : Aube

Voici mon texte écrit dans le cadre de la « Ronde » du moins de janvier à laquelle Dominique Autrou m’avait gentiment invitée à participer. Je l’en remercie de nouveau, et publie ici ce texte pour ceux qui n’auraient pas eu la possibilité de le lire.

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AUBE

 

Aube d’hiver. Le soleil se lève en retard, nimbé de plomb.

Un silence inhabituel enserre le monde de Pierre ce matin. Une oppression monte par vagues successives et le prend à la gorge, il refuse d’écouter cette douleur. Dehors, quelque chose a changé. Il ne saurait dire quoi.

Puis il réalise. Cette atmosphère ouatée. Ce froid…

Il a neigé durant la nuit. Il entrouvre ses persiennes. Devant sa fenêtre, les branches du tilleul nues depuis trois mois, se sont parées d’hermine. En toile de fond le ciel irisé de l’or de l’aurore, forme un patchwork de pastels, déclinant son humeur du rose au mauve.

Pierre s’émerveille. Il en oublie tous ses ennuis. Il est encore là pour admirer le ciel et plus rien d’autre ne compte. Il ne veut pas réfléchir, il veut juste savourer.

Il ouvre la fenêtre. Une vague glaciale lui saute au visage. Il frissonne. Peu importe que cela soit bon ou mauvais pour lui, il restera là baignant dans cette lumière. Il s’engourdit, il se fond dans le décor. Sa respiration s’atténue, son pouls ralentit, il sent ses joues s’empourprer et ses yeux se farder de givre. Il aimerait qu’on le retrouve là, immobile statue de gel. Tout serait fini, enfin. Il s’endormirait en douceur, sans souffrir.

Il sursaute. Le réveil vient de sonner. Rappel à l’ordre, ils vont arriver dans quelques minutes. Avec leur blouson bleu à croix blanche et leur sourire de jeunes hommes en pleine santé, il aime leur intrusion dans sa vie quotidienne. Chaque matin, ils le conduisent à travers la ville vers le feu qui le soigne. Il aime leurs plaisanteries et leurs illusions de jeunesse. Ils lui rappellent ses propres folies.

Combien d’aube verra-t-il encore ? Celles d’hiver sont les plus longues à venir, celles de printemps les plus douces, mais ce sont celles d’été qu’il aimerait admirer encore une fois. Ce serait un miracle, lui a-t-on laissé entendre. Et s’il décidait de tous les surprendre ? Il suffirait de le vouloir. Il suffirait de rassembler ses forces vives pour le faire mentir ce jeune médecin si sûr de sa science…

Pierre sourit à l’aube d’hiver, et à toutes les aubes qui suivront.

Non, ils ne l’auront pas avec leur pessimisme médical, cette aube sera la première d’une longue série.

N’est-ce pas magnifique une aube d’été ?

Que disait Rimbaud, l’enfant-poète déjà ? Il cherche dans sa mémoire ses Illuminations :

« J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte…»

J’embrasserai les aubes qui me restent, et tant pis pour l’eau qui est déjà morte. Moi je suis bien vivant et le resterai, aussi longtemps que cette lumière me portera.

Pierre referme la fenêtre. Une colombe vient se poser sur la branche du tilleul, juste en face de lui. Elle secoue ses ailes faisant tomber la neige en contrebas. Il la regarde et l’envie, elle n’a qu’à déployer ses ailes pour que le ciel chamarré lui appartienne. Elle se tourne vers lui, cligne des paupières puis entreprend de lisser ses ailes minutieusement. Elle est blanche comme cette aube de neige, comme les blouses blanches qui remplissent sa vie, comme la page qui lui reste à écrire. Il sourit, au fond c’est un beau présage que toute cette blancheur. Il a toujours préféré le blanc au noir. Après tout, à la place de la colombe il aurait pu se poser une corneille…

Pierre sourit à la colombe, à l’aube qui flamboie, à toutes les aubes à venir qui l’inonderont de leur lumière. Pierre sourit à la vie qui coule dans ses veines. Pierre sourit à ce jour supplémentaire qui lui est donné.

C’est si beau une aube d’hiver…

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Photo M.Christine Grimard

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12 réflexions sur “La ronde de Janvier (bis) : Aube

  1. Tous les matins de l’aube (plaisir de la revoir)…

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  2. Sensation étrange de paix, qui nous saisit au petit matin, lorsqu’il a neigé pendant la nuit. En effet, la neige, dont les cristaux sont formés dans l’éther du ciel, recouvre d’un manteau d’azote (le bon azote, pas le chimique) la nature toute entière, dont les humains.

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  3. L’aube et l’espoir : très joli texte…

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  4. Quel beau texte, j’apprécie votre talent….bon dimanche

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  5. C’est splendide ,et je reste perplexe sur la science et sur la vie .Nous sommes si fragiles et parfois pourtant si forts . Merci

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  6. Ce qui m’émeut dans votre texte , c’est votre sincérité , vraiment .

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