Le 15 janvier 2017, la ronde
Participant pour la première fois à la ronde à la demande de Dominique Autrou, que je remercie chaleureusement de son accueil, je vous rappelle le principe qu’il a décrit lui-même sur son blog, et que je retranscris ci-dessous :
« Principe : La ronde est un échange périodique bimestriel de blog à blog sous forme de boucle, sur une idée d’Hélène Verdier, le promeneur, quotiriens et Dominique Autrou à l’automne 2012. Le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, et ainsi de suite.
Pour chaque échange, un thème, un simple mot. Prétexte à un travail d’écriture pouvant prendre la forme d’un récit, une fiction, un poème, une page de carnet… »
J’ai le grand plaisir d’accueillir Franck et mon texte est publié chez Dominique Autrou
Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde.
La ronde tourne cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort (un clic sur le lien de son blog libère le nom de l’auteur) : Dominique A., puis Guy, puis Jacques, puis Élise, puis Noël, puis Hélène, puis Dominique H, puis Franck que j’accueille sur ma page
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Communion solennelle
Trois générations autour de l’aube
Tout le monde sur son trente et un, jupes plissées, chaussures vernies, mises en pli, cravates et pantalons de costume, blazers neufs aux boutons en fer, pochette et cheveux courts, barrette et nœud dans les cheveux
Cousins cousines frères sœurs oncle tante parents grand-parents sur le gravier du parking devant la maison du lotissement au 104
Lunettes rondes trop grandes cachent la moitié du visage et le regard myope de la grande cousine, jupe presque courte à fleurs ; lunettes noires cachent le regard de la tante, rigide, sourire faible
Le grand cousin derrière, avec les hommes déjà, frange rebelle et cheveux sur l’oreille, sourire narquois
Le grand oncle, par la taille, le plus derrière, sourire franc qui montre les dents ; le grand-père, son père, un cran en dessous, même nez même regard plissé, lèvres fermées regard direct, impeccable
Le père, lèvres pincées regard au loin sourcils froncés ; la grand-mère, sa mère, le regard au loin aussi, lèvres entrouvertes, rêveuse
La mère, casque de laque Elnett, tête légèrement inclinée sourit yeux plissés comme son père, le grand-père impeccable
La sœur, coiffée à la garçonne, chaussettes jupe veste aussi blancs que l’aube du frère, petit sac à main pendant
La cousine germaine sourire coquin rotules proéminentes sous la mini jupe plissée à rayures, les deux mains sur les épaules du petit cousin, le frère du communiant, cravate de travers veston en laine gris ceinture et mains croisées derrière le dos, sourcils blancs, sérieux et fier
Le petit cousin en short, une main frottant l’œil gauche blaser ouvert déhanchement d’impatience
L’autre cousin, plus grand, yeux plissés dents en avant la main gauche tient le bord du blaser ouvert sur une cravate à losanges, genou gauche légèrement plié
L’autre petite cousine, soquettes jupe plissée chemisier blancs aussi, sourire espiègle cornet de dragées dans la main droite bague à l’annulaire droit
Le communiant oreilles décollées sourire discret empaume les épaules du petit cousin, aube immaculée enfilée sur un pantalon de costume et une chemise blanche, fier dans son rôle de vedette familiale d’un jour, victime consentante croix de bois ceinture de corde cierge en main en procession vers la transsubstantiation, intimidé.
France de De Gaulle,
…dans la candeur de l’enfance, la quatre-chevaux beige était pleine de petit gibus butinés sur le chemin de l’école. Tout en rondeur, ce vaillant petit bolide, chaussé de noir et blanc, semblait sourire sous sa triple moustache. Quatre portes s’ouvraient en opposition sur une charnière centrale comme on ouvre les bras. Sous les branchies, à l’arrière, le moteur peinait dans les côtes, poussif sous la charge pétillante. A trois sur le siège avant et un amas indistinct de membres et de cagoules sur la banquette arrière, les vitres se chargeaient instantanément d’une couche de buée qui pleurait sous les continuels essuyages des gants de laine épaisse. Nous étions aveugles dans un aquarium mouvant. Imperturbable commandant d’un navire instable, ma mère, qui était alors une géante couronnée d’un chignon vertigineux, acheminait cette marmaille vers les grilles de l’école maternelle où elle livrait sa cargaison indemne qui jaillissait de toutes parts vers les dames pipi en blouse bleu ciel, gardiennes maternelles de nos exonérations laborieusement contrôlées.
Mai de cette année là, invisible sur la toile de fond du Dimanche cérémoniel, loin de cette banlieue sage, le Monde convulsait alors, comme il convulse aujourd’hui – bombes aveugles au Viet-Nam, guerre de six jours et territoires occupés par Israël contre qui se liguait un front arabe uni, hécatombes au Biafra, la Syrie intimidée par la Russie, mur de la honte à Berlin, guerre froide, première catastrophe écologique du Torrey Canyon, assassinat en Bolivie du Che, émeutes à Detroit, push des colonels en Grèce…
Ce Dimanche de mai, loin des drames du Monde, la famille est sagement alignée pour la photo solennelle consacrant la communion du fils ainé, scarification spirituelle pour éradiquer la religion obligatoire, la fin du catéchisme et de toute pratique catholique pour la grande majorité des ouailles. Baptêmes, communions, enterrements étaient les trois motifs pour lesquels la famille au complet rentrait dans une église. Toujours en habits du Dimanche et pour immortaliser l’événement, le portrait photographique familial comme valeur cultuelle, le plus souvent exécuté par un professionnel. Passé le survol, le spectrum de la photo (Ah oui la communion solennelle de Fifi… Oh les tronches, non mais c’est moi là ?…), surgit le punctum, sensible, presque douloureux, le sourire des disparus, étrangement regroupés à droite de la photo, la grand-mère, le grand-père, l’autre cousin, les trois absents d’aujourd’hui.
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j’étais juste d’avant, du temps des robes de mariées et de brassards frangés pour les garçons, mais pour le reste c’était même
sauf que cette année là à l’âge que j’avais nous étions la présence manquante sur la photo (pour certains du moins)
une page d’histoire à propos de l’aube
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Les souvenirs sont frangés de dentelles et de nostalgie. Merci de votre témoignage, Brigitte !
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photo (un peu trop) trouble comme certains souvenirs, heureusement l’impression de la plaque sensible de la mémoire les fait réapparaître dans cette « station » d’un moment perdu…
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Souvenirs flous, dont on ne veut souvent garder que le meilleur, sont autant de pavés de lumière sur nos chemins…
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Photo passéiste d’autant plus émouvante qu’elle est trouble.
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Oui, elle est repliée sur son mystère et les émotions qui la sous tendent !
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L’image est floue mais ni défunte, ni spectrale (il y a pourtant du Barthes dans le texte)
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La photo est bien à l’image du texte, perdue dans les limbes de la mémoire et habitée par les émotions des gens qui la regardent. Merci à Franck pour le partage de ce texte et merci à vous Dominique pour l’avoir fait entrer dans votre ronde 🙂
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Rites d’antan largement partagés au moins dans une micro nation d’occident. Ces mots, ces phrases peignent par touches impressionnistes ces moments que les porteurs (ses) d’aube ont pensé éternels.
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