Vases communicants de janvier : Grandir (2/2)

« Tiers Livre de F. Bon et Scriptopolis  sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement…

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »

Sur le blog : Le rendez-vous des vases communicants, tenu désormais par Marie-Noëlle Bertrand vous retrouverez la liste des échanges de ce mois

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Je remercie pour sa présence une nouvelle fois sur cette page Dominique Hasselmann, qui anime le blog « Métronomiques », où vous pourrez découvrir ce qu’il partage.

J’ai pris un grand plaisir à réaliser ce nouvel échange avec lui et je le remercie chaleureusement de m’avoir proposé cet échange à partir de l’idée de « grandir » illustrée par des photographies de nos enfances.

Si vous souhaitez lire mon texte, rendez-vous sur son blog, où il me fait le grand plaisir de me recevoir.

Je vous laisse juger du résultat, et vous souhaite une navigation agréable entre les lignes et les textes de ce mois-ci.

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octo2015-018

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On aurait pu croire que tu venais de sauter par la fenêtre ouverte et centrale de la grande maison, ton chapeau t’ayant servi de parachute. Tu avais atterri sans encombre et tu te portais comme un charme. L’air était clément, le soleil marquait sa présence paradoxale par les ombres diverses dont il parsemait la scène.

Tu avais l’air contente puisque la vie était un horizon maritime – ta coiffe ressemblait à un petit navire – et tu ne voyais aucun obstacle se profiler devant le cours paisible des jours. C’était sans doute pendant les vacances scolaires, la parenthèse exquise que tous les gouvernements veulent sans cesse réduire, alors que la vie devrait être vacance perpétuelle.

Grandir n’était pas ta préoccupation : à quoi bon ressembler à ces géants affairés, à ces robots stressés, à ces pantins dénués de tous sentiments ? Ils pouvaient regarder les choses de haut, mais jamais ils n’observaient une coccinelle ou une libellule voler sans bruit, faisant la nique aux hélicoptères amenant les gros PDG jusque sur le toit du casino de la plage.

L’enfance n’était pas seulement une question de taille mais d’émerveillement : on voudrait te la retirer plus tard, comme si elle n’avait jamais existé, l’enlever de ta mémoire pour la jeter aux oubliettes. Tu aimais la simplicité du matin, du midi, du soir, de la nuit et leur recommencement au goût d’éternité.

Tu étais habillée simplement, tes socquettes empêchaient le sable de venir te chatouiller, tu attendais sans doute un compagnon de jeu (ils n’étaient pas interdits). Au loin, l’océan couleur prune scintillait, un voilier tout blanc se hâtait lentement vers une destination inconnue.

Souvent tu entendais cette phrase : « Tu verras, quand tu seras grande… » qui sonnait comme une mise en garde ou l’annonce de la fin du « vert paradis » dans lequel tu avais la chance d’évoluer sans en être réellement consciente. Mais c’était déjà comme un reproche, du style : « Tout cela ne durera pas, il faudra ouvrir les yeux sur la réalité ! »

Pourtant, elle était bien là, l’existence : le plaisir du petit déjeuner, des châteaux de sable, du bain avec l’affrontement des premières vagues qui te paraissaient gigantesques, le retour à la table du déjeuner avec tes parents, la sieste puis l’océan de nouveau, le tube orange de crème solaire Nivea, la serviette de bain et ce petit livre illustré (« Martine à la plage » ?), le vent qui caresse, les bras comme oreiller pour la tête.

Le soir, tu te retrouvais seule dans ta chambre avec cette petite lampe, tu avais déposé ton chapeau sur le coin de la chaise près de ton lit, tu reprenais un autre livre et puis tu t’endormais. Tu rêvais qu’un jour tu deviendrais obligatoirement une adulte, comme tout le monde, et que le téléphone sonnerait alors dans ton bureau ou ton cabinet de travail.

Mais tu avais gardé précieusement, sur un petit papier quadrillé, le numéro téléphonique de la grande maison de Vendée où tu pourrais t’appeler toi-même des années plus tard, abolissant ainsi les frontières du temps.

 

texte : Dominique Hasselmann

photo : Marcel Mailland

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21 réflexions sur “Vases communicants de janvier : Grandir (2/2)

  1. […] de publier le texte de Marie-Christine Grimard tandis qu’elle accueille simultanément ma contribution sur Promenades en Ailleurs, son blog […]

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  2. tu avais bien de la chance d’avoir ce numéro appeler pour retrouver le temps de la vérité simple, la vraie – le temps sans temps

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  3. Vous vous servez adroitement de la photo pour semer les petits cailloux de ce portrait imaginé…

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  4. @ gballand : c’était le but du jeu !

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  5. appeler le temps passé au téléphone, oh c’est une belle idée

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  6. Une bien belle enfance de laquelle on peut se rappeler avec un certain émerveillement ce qui hélas n’est pas le lot de tout le monde…Se rendre compte du privilège vous honore…!

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  7. Merci monsieur , magnifique texte , qui rappelle cette jeunesse si belle !!!! j’ose une réflexion : »les PDG ne sont plus gros  » aujourd’hui !!! Daumier n’est plus de mise ni un signe de richesse .Merci beaucoup .

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  8. @ alarpad : C’est une image (comme ils ne fument pas tous le cigare), ils sont « gros » simplement de leur importance, de leurs actions (CAC 40), des courbettes qu’on prodigue à leur passage, et de la Légion d’honneur que certains arborent au revers des vestes de leurs costumes taillés sur mesure !

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  9. L’enfant heureuse et mutine de la photo a emprunté mes babies ! Emue par le portrait que tu en dresses…

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  10. Ravissante photo d’une Chris qui n’a pas changé, qui s’impose elle-même des règles strictes, pour contrebalancer son goût immodéré de la poésie et de la liberté !

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  11. @ Alex : la photo est évocatrice !

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  12. Un numéro de téléphone! Mais dans cette grande maison de mes vacances il n’y avait pas de téléphone…

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  13. La fin est belle
    se rappeler à soi même
    par téléphone
    au-delà des lois de la physique

    j’aime beaucoup.

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  14. @ Aunryz : merci, j’ai essayé de tirer le fil…

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