Atelier d’écriture de l’été 2016 de François Bon : autobiographie aux noms propres.

Voici le texte que j’ai écrit pour le second atelier d’écriture de l’été de François Bon. La consigne était celle d’écrire une évocation autobiographique à la manière de Novarina, une cartographie des lieux de l’enfance suivant l’itinéraire de vie de l’auteur du texte. Je remercie François Bon d’avoir accepté ce texte, bien que j’aie été incapable d’imiter les prouesses de la langue de Novarina.

 

LAVOIR

Photo M.Christine Grimard

Avenue de l’Hôpital à Villefranche en Beaujolais, entre les murs verts d’eau de la maternité, j’ai commencé à comprendre que les choses allaient changer un 11 septembre à 11 heures, bien avant que les tours n’existent, à l’époque où les vendanges étaient encore une fête. Au vu des cris de mes congénères, il me sembla bien que le lieu où j’avais atterri ne serait pas une vallée de roses.

Rue Albert Camus, sous la garde de ma tante, ficelée à en étouffer dans des langes serrés comme il se devait pour que les nourrissons survivent à la morsure de l’air libre, je m’appliquais à accepter la situation et à apprendre la patience. Séparée de ma mère pendant les mois qui lui furent nécessaires pour se remettre de mon arrivée sanglante et pouvoir m’accueillir dans un lieu adéquat, ma première année de vie m’apparût plus comme une contrainte qu’un plaisir.

Montée du Lavoir à Charnay, village aux pierres dorées même les jours sans soleil, l’été suivant  vit la maladresse de mes premiers pas, accrochée à la nappe de la table de famille comme Ulysse à son mât, titubant jusqu’à l’oasis des bras de maman. Après plusieurs essais ponctués d’hématomes divers, la porte de la liberté me fut ouverte et ne devait jamais se refermer jusqu’à ce jour.

Place de la mairie à Charnay, l’école communale avec son unique classe tous niveaux, me permit de comprendre que l’on apprend plus vite en imitant les grands et en écoutant ce que la maîtresse estimait réservé à leur âge. L’odeur du parquet de bois vermoulu, mêlée à celles de l’encre violette et de la craie, est restée gravée dans ma mémoire si profondément qu’en allant voter quelque vingt ans plus tard dans cette mairie-école, je me suis sentie brusquement propulsée dans l’année de mes trois ans entendant la voix du maître réciter la table de 7.

Place du Château à Charnay, on accédait à l’immense réfectoire par un escalier à vis aux fenêtres dépourvues de châssis, où les courants d’air glacés me donnaient la sensation d’être happée par les pales d’un hélicoptère. Ma mémoire n’a gardé que le souvenir de sardines et de potage de légumes et je me demande si c’était là l’unique menu distribué durant toute l’année scolaire.

Rue de la Charrière, au pensionnat Notre-Dame-de-Lourdes, les longues robes noires des sœurs enseignantes ne m’impressionnèrent pas longtemps. J’étais fascinée par le mouvement de balancier de la gomme de Sœur Claire, pendue à sa ceinture et prête à corriger les maladresses des apprenties écrivaines que nous étions. Je me souviens de son sourire à toute épreuve, de ses encouragements et de sa bienveillance.

Au théâtre de la Traverse, Rue Joliot Curie, il me semble revoir la barbe de sous-officier de La Chèvre de monsieur Seguin, texte récité lors d’une fête de fin l’année de mes cinq ans et les fous rires partagés en coulisses lors des spectacles de théâtre dans les années-collège. Je leur dois l’apprentissage de la liberté choisie, de l’acceptation de ses propres erreurs et du respect de l’autre.

Au 10 de la rue des lilas, Mademoiselle Lami, au nom musical prédestiné, m’attendait chaque jeudi après-midi pour des cours de solfège et de piano. Il m’en reste le souvenir amer d’un chignon impeccablement piqueté de barrettes noires lui donnant l’aspect d’un hérisson et d’une voix tonitruante habituée à couvrir les fausses notes en hurlant : «Double-croche» ou «Doigté» !

Avenue du Promenoir à la piscine municipale de Villefranche, les soirées d’apprentissage de la natation avaient le goût d’eau de Javel et la couleur sombre des cafards qui couraient  le long du bassin en essayant de ne pas se noyer avec nous.

Avenue des Yoles à Notre-Dame-de-monts, les vacances en Vendée apportaient un peu de l’air du large à la touffeur aoûtienne. Elles m’ont donné le goût des sautes d’humeur océaniques et du vent salé.

Avenue de la mer, je sens encore sur ma langue la saveur unique des sucettes chaudes à la violette que nous allions chercher en parcourant les rues du village à la nuit tombée. Une famille de forains les fabriquait devant nos yeux, le parfum du jour étant gardé secret. Chaque soir était une fête. Nous admirions le spectacle du façonnage d’un long ruban de sucre coloré que l’artisan étirait peu à peu sur une potence, l’éclaircissant de plus en plus à chaque passage tandis que sa fragrance s’insinuait dans nos narines. Enfin, de gros berlingots étaient débités au ciseau, plantés sur un bâtonnet et distribués encore chauds pour la joie de tous les enfants présents.

Avenue Saint-Exupéry, l’arrivée au lycée de Villefranche situé à quelques centaines de mètres de la maternité où je vis le jour, préfigura l’entrée dans le monde adulte, réduisant fortement le temps consacré au rêve et à l’imagination. Il ne restait plus qu’à ranger ces précieux trésors soigneusement pour les préserver du l’usure du temps et les garder intacts pour plus tard.

Beaucoup de patience et quelques dizaines d’années après, le temps de la liberté des choix est revenu, ce qui est une autre histoire…

16 réflexions sur “Atelier d’écriture de l’été 2016 de François Bon : autobiographie aux noms propres.

  1. plaisir de retrouver cette saveur

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  2. J’ai connu aussi l’école à classe unique sur la place de la mairie, de forts beaux bâtiments bien construits par ailleurs, et l’instituteur s’occupant également de la mairie, adjoint, secrétaire, ou même maire. Et cette bonne odeur de ménage frais et de campagne…
    J’ai connu aussi le petit lavoir du village, ou toujours quelque femme y rinçait les draps en été, cependant qu’on venait lui faire la conversation et prendre des nouvelles, encore un petit centre de sociabilité qui a disparu…

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  3. Les émotions puissantes, et surtout celles de l’enfance de l’enfance, sont souvent associées/mémorisées sur fond d’odeurs qui réveillent alors la mémoire de tous les autres sens pour nous restituer très précisément le souvenir et son contexte.
    On peut ainsi remonter par flashs dans le temps de notre mémoire émotionnelle.

    Merci pour ce partage qui fait aussi découvrir que nous avons bien des « madeleine de Proust » en commun 😉

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  4. J’ai bien aimé l’article. J’y ai trouvé de belles phrases évocatrices mais celle-ci, allez savoir, sort du lot: « Elles m’ont donné le goût des sautes d’humeur océaniques et du vent salé. » Magnifique! 👌🏻

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  5. jolie photo pour agrémenter ce beau texte que j’ai apprécié
    Bonne soirée
    Bises

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  6. L’atelier de François Bon permet ici de laver à grande eau des souvenirs qui auraient pu paraître effacés, comme sur un palimpseste (la photo y plonge tout droit)… 🙂

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