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Ce matin, l’air est plus doux.
J’aime bien quand le soleil du matin vient lécher le tronc de mon pin.
Je sais qu’il aime ça aussi, parce qu’il me l’a dit. Pour lui, cela signifie que l’été n’est plus très loin, et il aime l’été. Un soir où il s’ennuyait, il m’a raconté sa vie et ses envies. C’est fou ce qu’un arbre peut rêver sous ses airs de vieux sage imperturbable. En fait de sagesse et d’immobilité il n’a qu’une envie, c’est de prendre ses racines à son cou et de dévaler la dune lorsque les étoiles sont au zénith pour aller se rouler dans les flots cendrés par la lune. Il m’a dit qu’il avait rencontré une fée dans sa jeunesse qui lui avait accordé de réaliser ce vœu. Depuis, il attend le jour où son écorce glissera sur les vagues en toute liberté.
En espérant ce jour béni, il se raconte la même histoire chaque nuit, et m’entraîne dans son rêve d’océan.
J’aime bien qu’il me décrive les îles qu’il visitera, les alizées qu’il chevauchera. Il faut dire que nous avons le même rêve.
Je suis à ses pieds depuis cinquante ans je crois. Ou un peu plus. A mon âge, on ne compte plus…
Ils m’ont oubliée là un soir de tempête. Au début j’ai cru que c’était pour me punir d’avoir laissé le patron se noyer. Je n’ai pas eu la force de le retenir quand il est passé par-dessus bord. J’ai bien essayé de me pencher au maximum pour qu’il s’accroche sur mon bastingage, mais il a glissé. Il ne parvenait plus à commander ses mains crispées par le froid de novembre. Même le vieux rhum qu’il avait avalé ne pouvait plus le réchauffer. J’ai failli me retourner et sombrer avec lui. Mais lorsqu’une gigantesque vague a soulevé mon étrave, il a lâché prise. Sur le coup, je me suis sentie soulagée parce qu’il n’était pas facile tous les jours. Mais par la suite, quand ils m’ont abandonnée là au pied du vieux pin, j’ai compris que j’avais dû faire une grosse bêtise…
L’océan me manque. Une barque de pêche, c’est fait pour voguer pas pour servir de perchoir aux hiboux. Au début j’ai cru que j’allais pourrir d’ennui dans cette pinède, puis je me suis habituée. On s’habitue à tout pour un peu que l’on n’ait plus le choix. Finalement, j’y ai trouvé quelques avantages, plus de tangage, plus de roulis, plus de tempêtes, plus de fientes de mouettes, plus d’odeurs de poissons avariés. J’avoue que pour une barque de pêcheur, ne pas supporter l’odeur du poisson faisandé, ce n’est pas très professionnel mais ce n’est pas le plus gros défaut. Ma sœur de forme, elle, a toujours eu le mal de mer ce qui fait plutôt désordre dans le métier. Pourtant je crois savoir qu’elle navigue encore à chaque saison des coquilles. On la garde en renfort parce que la période des Saint-Jacques est courte et qu’il faut que tout le monde soit sur le pont pour que la récolte soit rapide et abondante.
J’aimerais qu’ils me remettent à flots à la prochaine saison. Les embruns me manquent tant. Mais ils pensent que je porte malheur, alors ils m’ont abandonnée ici. Je ne sers plus qu’à distraire un vieux pin en mal de course au large.
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Ce soir, le vent a tourné. La pression est tombée brusquement et le ciel a noirci.
Le pin secoue sa ramure comme un moulin à vent. Je lui crie de se calmer pour qu’il ne perdre pas ce qui lui reste d’aiguilles. Il est déjà à moitié dégarni, à son âge. Mais il ne m’écoute pas, il continue sa gymnastique débridée. On dirait le sémaphore de la pointe Saint-Matthieu. Il est peut-être devenu fou.
Je me sens soulevée par une espèce de tourbillon et je me retrouve coincée entre ses branches basses. Le vent redouble de violence et de gros nuages couvrent l’horizon. Je ne vois même plus la dune qui est à cent mètres de nous. Les autres pins craquent de tout leur bois. Le mien plie si fort que je me demande s’il ne va pas s’envoler comme moi. Il me crie de m’accrocher à lui, que la tempête arrive. Les éclairs zèbrent le ciel et le tonnerre éclate presque à la même seconde. Il a raison d’avoir peur, l’orage nous encercle et le vent hurle, s’enroule autour de nous et nous étouffe. Je n’ai jamais assisté à un ouragan, mais je crois que ça y ressemble, d’après ce que les pêcheurs racontaient quand ils me réparaient en cale-sèche. Leurs histoires étaient effrayantes, mais ce qui arrive en cette seconde est pire encore !
Je n’entends plus rien à part les hurlements du vent, les craquements sinistres de mon pin et le roulement des vagues monstrueuses. Elles se rapprochent et à chaque assaut elles rognent un peu plus de la dune. Le sable glisse sous leurs attaques, il se retire dans un crissement strident. Il revient à l’attaque puis repart plus loin encore. Je vois la dune s’effondrer peu à peu pas pans entiers. Des tonnes de sable seront ravies à la côte cette nuit et demain les hommes trouveront un désert plat à perte de vue à la place de la dune et de la pinède, si cette tempête ne se calme pas…
Mon ami semble effrayé, il a déjà perdu beaucoup de branches. Il tremble très fort. Peut-être a-t-il froid, tout nu comme ça. J’essaye de le rassurer, de lui dire que je ne l’abandonnerai pas, que l’on restera ensemble. Mais moi, j’ai déjà connu des tempêtes et je sais bien que quand l’eau décide de passer, elle passe. Que rien ne l’arrête !
Je ne le laisserai pas, c’est mon ami, le seul qui me reste !
Regarde cette vague monstrueuse qui nous arrive dessus. Ne résiste pas, sinon tu casserais ta cime. Laisse-toi faire, elle s’insinue entre tes racines, t’emporte d’un seul coup et moi avec. Ne tente rien. Laisse-là choisir…
Regarde ! On vogue !
Tu sens l’odeur des embruns et la fraîcheur des flots autour de nous.
Ta fée avait raison. Regarde, on est partis pour les îles sous le vent. Reste avec moi, tu flottes très bien pour un grand pin sans étrave et sans quille. Je te trouve très doué !
Allez, on y va ! Toi et moi jusqu’au bout de l’horizon. Ton rêve d’océan, c’est tout droit par là…
Texte et photo : M. Christine Grimard
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En Grèce, chaque arbre était habité par une Dryade, aujourd’hui au Japon par un Kami.
Bel imbroglio de verdure, où doivent se cacher bien des esprits de la Nature, qui nous observent derrière les feuillages…
Eh bien ! Laissons là notre morgue, et entamons très simplement le dialogue !
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J’aime beaucoup écouter les arbres me raconter leur histoire (comme vous le savez déjà)…
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Ils ont tant de choses à nous apprendre, déjà par leur immobilité plutôt que par notre agitation; ils ne gaspillent pas l’eau, ne polluent pas le sol et servent d’habitat pour les animaux…Nous sommes les seuls à les couper en tranches…Ils ont servi de manne nourricière à nos lointains aïeuls…Les oiseaux les comprennent toujours bien puisqu’ils utilisent leurs généreux bras pour faire des nids (n’empruntant que les bribes de branchages morts pour faire naitre de nouvelles vies)…Ils colorent nos saisons et s’inclinent sous la foudre quand ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes…Sans parler ni faire de grands discours, ils se mettent d’accord entre eux pour partager les rayons du soleil…Quand ils sont heureux (ce qu’ils sont souvent), ils nous offrent leurs fruits ou leurs fleurs…Bref…un exemple à suivre!…
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Je suis bien d’accord avec votre vision des choses, j’avais beaucoup aimé « l’histoire d’un arbre » de Didier Van Cauwelaert à ce propos !
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Auprès de mon pin, hein
Qu’il fait bon, fait bon, fait bon
Auprès de mon pin, hein
Qu’il fait bon dormir !
Et ses jolies aiguilles
Et ses bien belles pignes
Son pot et sa résine
Font sonner mes matines !
Auprès de mon etc … 🙂
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Le mien chante beaucoup moins fort ce matin et dégouline beaucoup plus…
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Ah oui pardon il est en nage de résine le vôtre.
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Non il est en nage de pluie !
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J’ai son odeur dans les narines…
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🙂
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Malgré les crues, la barque (revenue) est toujours au sec. On embarquerait bien dedans…
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Il serait plus prudent de nager à côté vu l’état de sa coque !
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@ mchristinegrimard : même en enfilant un gilet de sauvetage ?
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Le monde étant en crue, il est préférable de rester sur les berges.
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@MC pourtant écoutez dans notre Gascogne le bruit du vent dans les pins, c’est le chant bleu nostalgique du temps où l’océan recouvrait le sable où ils se tiennent serrés et droits bien trop au sec aujourd’hui. La plainte des vieux moulins d’écorce sans eaux.
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Je connais bien ce chant et l’ai beaucoup apprécié il y a quelques années, ainsi que la danse des cimes se perdant dans les nuages. En Vendée qui est ma seconde patrie, le chant des pins est plus sauvage mais tout aussi beau !
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Oh mais moi aussi j’aimais bien les pins Vendéens avant de finir au cloître chez les bons pères de Saint-Laurent… A se prendre quelques déculottées et chant du clairon à l’eau froide de bon matin. Brrr!
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C’était au moyen-âge ?
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C’était à une époque pas si lointaine (plus ou moins 45 ans) ou dans certaines écoles (rouges ou noires)les maitres et leurs commis nocturnes aux basses-oeuvres avaient tous les Droits sur leurs élèves (les parents signaient une décharge)Les temps ont changé parait-il, maintenant les rapports sont inversés et le prolétariat scolaire en voudrait aux patrons du savoir ? Cela doit-être cela la fameuse barque de l’histoire, parfois l’élève dépasse le maitre, malheureusement en pire.
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La roue tourne
🙂
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Montaigne, le régional de l’étape, disait « Mettre au rouet », comme tourner autour d’un pin.
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@ phil : Merci de me faire découvrir cette expression.
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J’aime bien suivre les délires de votre imagination à partir d’une photo… Toujours très réussi.
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Merci beaucoup, vos mots me touchent 🙂
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« Si tu veux savoir où en est le monde, vas-y demande aux arbustes » interview de Jean-Louis MURAT ans Victoire (supplément du journal Le Soir du week-end)…
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Merci Patrick pour cette citation, mais je crains que les hommes soient désormais devenus incapables de déchiffrer le langage des arbres…
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Espérons qu’il y ait toujours des oiseaux pour le faire…car eux…ont bien tout compris!
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Oui espérons-le !
Cette année il y a des nuées de mésanges ici mais très peu d’autres oiseaux, je n’ai encore vu aucun rouge-gorge !
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Un très beau texte…et belle photo….Bon dimanche….Bises
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Merci beaucoup Georges et bon dimanche !
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Ravie de savoir que je ne suis pas seule à parler aux arbres ! 🙂 J’ai même une complicité très particulière avec un très grand cèdre bleu dont le cri a arrêté mon bras le jour où, dans sa petite enfance et alors qu’il était malade et agonisant, j’ai voulu scier son tronc dégarni pour abréger ses souffrances et libérer l’espace.
J’étais stupéfaite, il me réclamait être douché avec le tuyau d’arrosage ! Ce fut miraculeux, c’est un fan de la douche …
Alors ? de l’imagination ? rien n’est moins certain 😉
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Céder au cèdre sans le scier c’est s’aider soi Sorcière et suivant le succès de vos soins qui se succèdent il nous douchera doucement de son ombre reconnaissante les jours caniculeux. Oui le fut du cèdre est miraculeux, comme la cour au paradis de son ombre. 😉
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OUI. Mais Chuuut ! c’est un savoir secret 😉
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@ Sorcière : Trop tard ! On a tous entendu…
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@ Sorcière : Les arbres ont leurs désirs mais c’est un beau don que le vôtre d’être ainsi sensible aux langages invisibles. Bravo !
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…superbe photo, imbroglio de toutes les sortes de vert…
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Merci Alex !
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