Confessions intimes 15 : Pila

DEC 2015 002

Photo M. Christine Grimard

Mon temps est revenu.

Celui des cris d’enfant, celui des paillettes et des guirlandes étincelantes. Celui des longues nuits et des jours de givre. Celui où l’air est chargé d’espoir. Je l’ai toujours su, mais sans bien comprendre ce qui se passe autour de moi.

Je sais simplement que décembre est le temps des espoirs, je l’ai entendu si souvent…

C’est mon temps aussi. Chaque année durant un petit mois, on m’exhibe. J’ai le droit d’exister après de longs mois de silence et d’obscurité. J’ai le droit de sentir sur moi le regard pétillant des enfants.

C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.

*

 

Chaque année, des mains me ressortent de ma prison de soie. Des mains lisses parfois, des mains fripées d’autres fois. Des mains de tous âges. J’aime sentir ces mains douces et chaudes se poser sur moi, elles me réchauffent le cœur. J’aime sentir le regard des enfants sur moi, ils me réveillent l’âme. La première fois, c’était il y bien longtemps, près d’un siècle. C’était un regard bleu, profond, presque turquoise. Sa mère venait de nous acheter, moi et mes sœurs et il avait ouvert la boîte où nous étions toutes rangées soigneusement ; soudain son regard s’est chargé d’étincelles et il m’a prise dans petite main. Sa mère lui a recommandé de faire bien attention, lui expliquant que j’étais faite d’une pâte de verre très fine recouverte d’un peu de peinture et de quelques paillettes, et que j’étais très fragile. Il a fait très attention, et chaque année en janvier il m’a rangée dans ma petite case bien protégée dans ma gaine de soie pour me ressortir en décembre. Je l’ai vu grandir peu à peu, mais son regard a toujours gardé le même éclat quand il me regardait.

C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.

*

 

Puis un autre petit garçon qui lui ressemblait beaucoup a pris la relève, il avait le regard grave des enfants soucieux mais il a pris grand soin de moi comme lui a recommandé sa mère. J’aurais bien voulu que ce regard s’éclaire, alors j’essayais de briller de mille feux mais je crois que je ne l’ai jamais vu sourire. Pourtant je suis faite seulement pour cela, pour faire sourire les enfants…

C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.

*

 

Durant les années suivantes, on ne m’a plus sortie de ma boîte. J’interrogeais mes sœurs qui ne comprenaient pas plus que moi pourquoi on nous laissait dans le noir. Même l’ange de la crèche qui était sur l’étagère du haut était incapable de nous dire ce qu’il se passait. Pourtant, il était dans les secrets du ciel !

Cela a duré plusieurs décennies il me semble, et un jour on nous a déménagées. Il m’a semblé que le voyage était très long. Au loin on entendait gronder les canons. Nous avons été ballotées sur des routes cabossées, nous avons été maltraitées. Après de nombreuses heures de ce régime difficile, notre boîte est tombée au milieu d’un amas d’ustensiles et de valises. Plusieurs de mes sœurs n’y ont pas résisté. Moi, j’ai tenu le choc en m’accrochant à ma soie protectrice. Elle et moi on a survécu. Mais désormais nous étions seules, mes sœurs étaient réduites en éclats de cristal. Je pensais que mon heure avait sonné, mais une petite fille aux boucles brunes m’a retrouvée. Je reverrai toujours son regard quand elle a déplié ma gaine de soie, en criant à sa mère qu’elle avait trouvé une boule intacte. En un instant, son sourire m’a fait oublier toutes les frayeurs que je venais de vivre.

C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.

*

Puis la petite fille a grandi et d’autres sont venues la remplacer. Le temps des humains passe si vite.

Mais générations après générations, je reconnais leur regard bleu pétillant de plaisir, le même regard que celui du petit garçon qui m’a appris comment briller et tenir mon rang au milieu de ces branchages. Il faut dire que sans moi, ils seraient bien tristes et d’un vert affligeant ces sapins avec leurs aiguilles dégoulinantes de résine !

C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.

*

 

Demain, ils ressortiront ma boîte et je reverrai la lumière de ce nouvel hiver. Je le sais, parce l’odeur du sapin a envahi mon espace. La roue a tourné une année de plus.

Mon temps est revenu.

Je me demande quelle sera la petite main qui me sortira de ma cachette cette année. J’aime avoir la surprise. Un petit garçon au regard malicieux, une petite fille au regard curieux, peu m’importe, je serai heureuse de les voir me contempler. Je serai heureuse de faire naître leur sourire. Je serai heureuse de partager leur espoir.

Il faut que je me prépare pour être la plus belle lorsqu’ils écarteront mon écharpe de soie et qu’ils s’émerveilleront de ma couleur. Il faudra que je me prépare au nouveau choc de me voir briller dans leurs yeux. J’aime tant ces regards d’enfants heureux.

C’est magnifique, le regard émerveillé d’un enfant. C’est unique.

*

 

Texte et photo de M. Christine Grimard

18 réflexions sur “Confessions intimes 15 : Pila

  1. Tout un symbole, la boule de Noel…fragile et étincelante…Et si elles ressemblaient un peu à notre boule bleue sur laquelle nous marchons…

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  2. Aussi cette comptine tant de fois entendue ,comme vos petites et précieuses boules de verre si joliment racontées
    « Dans une boîte en carton sommeillent les petits santons
    Le berger, le rémouleur….. L’enfant Jésus rédempteur ….le ravi qui le vit est toujours ravi!!  »
    Et ne m’en souviens plus ….l a la la la

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  3. Il est bien de se mettre à la place des autres, sans perdre la boule.
    Je crois avoir déjà lu ce texte ailleurs mais il garde son pouvoir d’émerveillement.
    Bonnes fêtes !

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    • J’ai écrit de texte pour le blog des cosaques de Jan Doets comme toute cette série des « confessions intimes » et j’en profite pour le remercier de m’accueillir ainsi depuis un an. Je les publie ici un peu plus tard pour ceux qui me font le plaisir de me lire de temps en temps et qui ne l’auraient pas vu.
      Quant à « perdre la boule » tous ceux qui me suivent régulièrement savent bien qu’en ce qui me concerne, c’est déjà fait depuis longtemps !
      Bonnes fêtes à vous aussi.

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  4. Quel joli texte !!! Bravo, je suis d’un peu plus près votre blog depuis quelques semaines et… je suis émerveillé par tant de douceur et d’imagination.
    Belle journée et Bonnes fetes !

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  5. Même à ceux qui sont dans la précarité et la tristesse – La boule de Noël scintille de mille feux dans la nuit, pour donner à tous l’image du bonheur parfait.

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    • Les lumières de la fête font briller des yeux des enfants et des grands qu’ils sont devenus aussi. À nous de les associer au bonheur des partages. Le plaisir de se retrouver ensemble est ce qui compte vraiment.
      Et quelques boules de chocolat aussi ! 🙂
      Belles fêtes à vous aussi chère Alex et merci de votre présence quotidienne ici 🙂

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  6. Un très charmant conte de noël ! Joyeuses fêtes !

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  7. Toujours du plaisir à lire ce texte
    rond
    comme une boule de Noël
    de joie.

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