Confessions intimes 8 : Owly

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Je vivais sur mon arbre, tranquille, sans me poser de questions depuis tant de saisons que je croyais que cela durerait toujours.

Tous mes jours, en tout cas.

Et puis un matin, j’allais aller me coucher, quand je vis cette ombre traverser le ciel.

Une ombre brune, aux reflets blonds.

Une ombre majestueuse qui fendait les nuages, plus élégante que la tourterelle.

Une ombre parfumée, plus sucrée que la première rose du printemps.

Je la suivis des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière le grand chêne.

Puis je rentrais me coucher, la nuit avait été rude, j’avais chassé deux mulots et trois musaraignes et elles commençaient à me peser sur l’estomac. il fallait que je dorme pour digérer un peu.

Cette nuit, il serait bien assez tôt pour me préoccuper de cette ombre.

Dans le noir, je vois toujours plus clair…

*

Le soir-même, je me levais frais et dispos, prêt pour de nouvelles aventures.

Je n’avais pas faim, j’allais pouvoir m’amuser un peu à explorer les grand bois. Il y avait une clairière, juste après le bosquet de bouleaux, où je n’avais jamais osé m’aventurer. Le Vieux sage nous avait appris à ne pas dépasser la lisière nord de la futaie. Au delà, vivaient les hommes et leurs fusils. Ils ne chassaient pas les chouettes, mais ils étaient si maladroits que parfois, ils tiraient n’importe où même sur leurs pieds ! Il valait mieux rester à couvert.  Je ne sortais que la nuit, ce qui était moins risqué, les hommes ayant peur de l’obscurité. Cependant, il leur arrivait de s’aventurer au fond des bois, pour quelques cérémonies très bizarres où ils dansaient autour du feu, invoquant des  dieux inconnus, récoltant des baies ou du gui. Je me demande bien ce qu’ils pouvaient en faire.

Ce soir-là, je me posais à la cime du grand mélèze. Il n’y avait pas un bruit. Le vent était tombé. L’air était plus doux depuis quelques jours.

Ce fut la première fois que je la vis…

Jamais je n’oublierai cet instant.

La lune l’éclairait, habillant son plumage d’éclats argentés. Elle leva son beau regard vers le ciel, et elle m’aperçut. Elle eut un mouvement de surprise et s’envola d’un coup d’ailes en poussant un léger cri. C’était la plus belle voix que je n’avais jamais entendu.

Elle passa près de moi dans une nuée odorante, mélange d’aiguilles de pins et de mousse. Ce parfum était si envoûtant…

Je décidais de la suivre, et il me sembla qu’elle avait ralenti pour m’attendre. Nous volions au milieu les plus hautes branches, quand soudain, elle monta droit vers les nuages. Je ne la lâchais pas d’une plume. Cela dura des heures, puis épuisés nous nous posâmes sur le Rocher aux fées pour reprendre notre souffle. J’étais heureux, comme jamais auparavant et je lui dis. Elle ne répondit rien, mais hocha la tête les yeux mi-clos.

J’avais peur qu’elle ne s’envole avant que je sache où je pourrais la revoir. Je lui demandai de m’attendre un instant, allai cueillir un pétale du vieux rosier sauvage qui pousse au bord de l’étang, et revins à tire d’ailes, le cœur saignant de crainte qu’elle ne soit partie. Mais elle m’avait attendu…

Je lui offris mon cadeau et lui dis que je l’attendrai sur ce rocher chaque jour au lever du soleil. En guise de remerciements elle posa sa tête contre la mienne et me gratifia d’un petit coup de bec à la base du cou, qui me fit l’effet d’un coup de tonnerre. Je fermais les yeux pour savourer son parfum mais quand je les rouvris, elle avait disparu.

*

Depuis, chaque matin, je suis là immobile, tombant de sommeil.

Mais je ne peux me décider à aller dormir, de peur de la manquer si elle revenait.

Aujourd’hui, le ciel est bas, il va pleuvoir et il fait froid. Je crois que je vais renoncer à mon rêve. Elle a probablement trouvé ailleurs le bonheur que je croyais avoir lu dans ses yeux, dans ce rayon de lune.

Je suis un incorrigible rêveur.

Owly l’étourdi … c’est ainsi que l’on m’appelait à l’école.

Quelque chose a dû m’échapper..

Bon, je vais aller me coucher, le soleil est déjà haut dans le ciel.

Une ombre passe entre moi et le soleil. Une ombre parfumée.

Quelque chose s’est posé près de moi, une feuille d’automne qui a fini sa course sur mon rocher. Mais non, ce n’est pas une feuille, c’est un pétale de rose, un pétale du vieux rosier sauvage.

Je lève la tête vers l’ombre qui me cache le soleil. L’ombre pousse un petit cri et tournoie autour de moi. C’est la plus belle voix que je n’ai jamais entendu. L’ombre passe près de moi dans une nuée odorante, mélange d’aiguilles de pins et de mousse. Ce parfum est si envoûtant…

Elle se pose sur le pétale de rose, tout contre moi, elle plonge ses magnifiques yeux dorés au fond des miens et dit :

  • Je suis venue …

 

–> Fin <–

 

12 réflexions sur “Confessions intimes 8 : Owly

  1. Parfois les nuages sont également roses, le soir surtout…

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  2. Est-ce ma mémoire qui m’a fabriqué un vécu anticipé mais n’ai-je pas déjà parcouru ce texte très chouette (pardon!) que je retrouve avec plaisir? Belle surprise ou trop d’ énergie dans mes relais?
    Belles heures à vous !

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    • Ce texte était paru sur le blog de Jan Doets, les cosaques, pour lequel j’écris un texte de cette série chaque mois. Cet exercice décrivant les sentiments intimes de personnages fictifs animaux, végétaux, ou minéraux, soit disant dépourvus de conscience, me plaît beaucoup.
      Je fais de nouveau paraître les textes ici, après leur parution sur les cosaques, pour ceux qui auraient envie de les lire, s’ils n’ont pas lu le blog des cosaques, ou de les relire, ici.
      Merci de votre question.

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  3. Vivas pour les épousailles de Monsieur et Madame Owly ! La mariée, dans sa robe argentée, était vraiment délicieuse. Les noces ont été célébrées la nuit dans la forêt au clair de lune.

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  4. Merveilleux oiseau, ses ululements nocturnes ont bercé mon enfance..des sanglots émouvants activant mon imaginaire.
    Bien rendu

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