Une image…une histoire : La roue tourne (2/2)

iphone novembre 027

Frédéric passait chaque mercredi sous la roue, en revenant de son travail. Depuis un mois, il restait là, tournant autour du marchand de gaufres, dévisageant la foule qui venait admirer la roue, restant assis pendant des heures sur son banc fétiche, attendant en vain que le hasard lui offre la joie de revoir la jeune femme. Après leur petit goûter improvisé, il l’avait accompagnée au pied de l’immeuble qu’elle cherchait, et là, soudain intimidé, il l’avait saluée et était reparti à grand pas vers son propre quartier. Il n’avait pas osé lui demander son nom ou son numéro de téléphone, et depuis il s’en voulait chaque jour un peu plus. Quel imbécile, il faisait. Cette foutue timidité lui gâchait la vie une fois encore !

Le seul détail qu’il avait pu glaner était son prénom: Liane.

Il passait dans la rue où il l’avait laissée pour rentrer chez lui, bien que cela lui fasse faire un grand détour et restait parfois quelques minutes à attendre sur le trottoir d’en face, scrutant chaque fenêtre en espérant l’apercevoir. Les gens du quartier avaient fini par le repérer, dont une vieille dame qu’il avait croisée plusieurs fois lorsqu’elle revenait de ses courses avec son cabas plein. Un jour, il avait voulu l’aider à traverser la rue, elle l’avait regardé avec méfiance et en brandissant son parapluie dans sa direction, lui avait dit:

« Mon petit gars, je vous conseille de ne pas approcher. Je vous ai repéré avec vos airs de petit garçon sage. Si vous en avez  après mon porte-monnaie, vous en serez pour vos frais ! Je ne me balade plus avec du cash, je ne suis pas tombée de la dernière pluie ! »

Frédéric, un peu vexé avait reculé, reprenant son poste d’observation en marmonnant  quelques mots dans sa barbe.

« Parlez plus fort, jeune homme. Un peu de respect pour mes cheveux blancs, continua la vieille femme. Ne marmonnez pas ainsi, ce que vous avez à répondre, dites-le distinctement ! »

« Je voulais seulement vous aider à traverser, répondit Frédéric. Mais je vois que vous n’avez pas besoin de moi… »

« On a toujours besoin des autres dans ce monde, répliqua-t-elle, vous devriez le savoir. Et vous, plus que moi, il me semble. Je vous vois attendre au pied de ce platane depuis plus d’un mois. J’avoue que votre présence silencieuse m’intrigue. J’ai toujours été curieuse, et je connais tout le monde dans cette rue. J’aimerais savoir ce qui vous intéresse tant dans cet immeuble, pour que vous le surveillez comme ça. »

Elle était beaucoup plus petite que lui, mais elle le fixait sans ciller,  le nez en l’air. Intimidé malgré lui par son regard d’aigle, il baissa les yeux.

« Si je vous le dis, vous allez bien rire » commença-t-il d’une voix hésitante.

« Essayez toujours ! » Insista la vieille femme d’une voix autoritaire. « Qui ne tente rien, n’a rien ! »

Cette dernière phrase le décida à parler. Il lui raconta toute l’histoire en une longue tirade, sans reprendre son souffle. Lorsqu’il se tut, elle le dévisagea, un sourire dans le regard. Elle hocha la tête, et dit:

« Je crois que cette jeune femme vit effectivement dans cet immeuble, je la connais. Elle est magnifique, à tout point de vue, très attachante et très méritante aussi. Elle est très seule aussi, pour une aussi jolie jeune femme. Il me semble que vous êtes un brave garçon. Ce qu’il vous faut, c’est un petit peu plus d’audace. Vous devriez mettre un mot sur le panneau d’affichage qui est dans le hall de l’immeuble, à droite des boîtes aux lettres. Soyez créatif et laissez parler votre cœur. Je pense que vous en êtes capable. Bon chance, mon petit ! »

Sur ces mots, elle tourna les talons, traversa la rue d’un pas alerte, laissant Frédéric à son étonnement, le cœur plein d’espoir.

*

Le mercredi suivant, il s’installa sur son banc fétiche une heure plus tôt qu’à son habitude. Il sentait son cœur battre à toute volée dans sa poitrine. Pour se calmer il tenta de se concentrer sur le jeu de la roue, respirant lentement au rythme des rouages. Les cabines tournoyaient sur un fond de nuages légers, le ciel était bleu cobalt, de la couleur exacte de ses yeux. Il y voyait un beau présage. Mais plus le temps avançait, plus son espoir s’amenuisait.

Vers quatre heure, il faillit se lever et partir, lorsqu’il la vit s’avancer vers lui. Elle était encore plus belle que dans son souvenir, le regard toujours aussi doux, les cheveux un peu plus long, la démarche chaloupée. Il sentit son cœur s’arrêter lorsqu’elle se planta devant lui. Elle le regardait en silence, le sourire aux lèvres, puis sortit de sa poche une feuille pliée en quatre qu’elle lui tendit en disant:

« J’espère que je ne t’ai pas fait trop attendre… »

Il déplia le message où il reconnut les mots qu’il avait tracé en tremblant la semaine précédente :

« Liane,

si tu souhaitais déguster de nouveau une gaufre avec moi,

je t’attendrai chaque mercredi à 16 heures,

au pied de la roue argentée qui nous a réunis.

Frédéric »

La voix et les genoux tremblants, il répondit:

« J’aurais pu attendre toute la vie, pour le plaisir de te revoir… »

6 réflexions sur “Une image…une histoire : La roue tourne (2/2)

  1. Effet d’optique : en descendant la photo, on voit réellement la roue tourner… comme une vidéo en photo (à faire breveter)…

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  2. La roue tourne et nous entraine dans son mouvement
    pour peu que l’on prenne place dans une nacelle .

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  3. encore encore des histoires à épisodes !!! cela vous réussit si bien

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