Le dernier vrai Noël dont elle se souvenait, remontait à une dizaine d’années.
C’était juste avant que sa vie bascule dans ce néant épuisant qui remplissait son temps désormais. Depuis dix ans, elle prenait toutes les gardes des jours fériés, et surtout celle du soir de Noël, ses collègues s’étaient habituées à cette aubaine, et ne l’en remerciaient même plus. Elles avaient fini par trouver cela normal, après tout, elle n’avait pas d’enfants, pas de mari et sans doute pas de famille non plus. En fait, elle n’en parlait jamais, et peu à peu on avait cessé de l’interroger. Elle était là, voilà tout, et cela arrangeait tout le monde.
Elle préférait travailler, ce qui lui avait fourni un bon prétexte pour éviter la fête familiale. Depuis trois ans, sa belle-mère ne prenait plus la peine de l’inviter sachant qu’elle refuserait. Si maman était encore là, les choses auraient été bien différentes, sans doute. De toute manière, elle ne pourrait oublier qu’il avait choisi ce soir-là, pour leur annoncer son départ, lançant à la cantonade, à minuit pile, lorsque chacun levait sa coupe de champagne :
« Je lève mon verre à ma nouvelle nomination, demain je serai à Bamako. J’ai signé pour trois ans, félicitez-moi, ce poste n’a pas été facile à obtenir ! »
Lorsqu’ils avaient tous applaudi, elle était restée muette, son verre à la main, les yeux pleins de larmes. Il avait regardé son visage défait puis avait tourné la tête et trinqué avec son meilleur ami en éclatant d’un rire qui résonnait encore à ses oreilles. Son monde s’effondrait, emportant ses espoirs dans le fleuve de l’amertume. Elle avait cru que leurs vies étaient liées, mais ce n’était qu’illusion, elle était montée seule dans cette barque finalement…
Quelques jours plus tard, à l’aéroport où elle l’avait accompagné en espérant qu’il changerait d’avis au dernier moment, elle avait vraiment réalisé son erreur, lorsqu’il avait dit que l’Afrique lui offrirait cette liberté sans laquelle il ne pouvait pas vivre. Elle n’avait pas parlé de son secret, et elle avait bien fait puisque quelques jours de chagrin avaient suffi à le dissoudre dans le néant.
Elle avait tourné la page, depuis si longtemps, du moins le pensait-elle. Mais il suffisait que cette période des fêtes revienne pour que la plaie se remette à saigner. Ce qui aurait pu être, et qui n’était pas lui brisait le cœur. Elle avait beau se répéter que les regrets étaient stériles, elle ne parvenait pas à l’oublier. Pourtant, elle avait essayé, allant de déceptions en désillusions.
Cette année, elle avait renoncé à se faire du mal. Elle n’avait pas pris la garde de Noël, irait à la soirée donnée par sa belle-mère, elle affronterait ses vieux démons avec le sourire, et tournerait la page. Forte de ses bonnes résolutions, elle avait posé sa semaine de vacances, en essayant de ne pas remarquer l’air interrogatif de sa supérieure.
Elle allait se donner l’illusion d’un « vrai Noël », elle ferait tout ce qu’il fallait pour entrer dans le moule, à commencer par courir les magasins des grands boulevards à la recherche du cadeau idéal pour des gens qu’elle n’avait pas vu depuis des lustres et dont elle ne connaissait pas les goûts actuels. La foule qui se pressait sur les trottoirs lui donnait le vertige. Elle s’arrêta contre une vitrine pour reprendre son souffle, où tournait un train électrique. Son trajet circulaire parcourait une campagne enneigée où des animaux en peluche côtoyaient des poupées fabuleuses, et des automates sortis tout droit d’un conte de Dickens. Elle était fascinée par la scène, qui la replongeait trente ans en arrière lorsqu’elle était venue voir les vitrines de Noël pour la première fois. Son visage arrivant à peine à la hauteur de la vitrine, papa avait dû la prendre dans ses bras, tandis que maman lui détaillait le nom de chaque personnage.
A l’évocation du visage de maman, si flou dans ses souvenirs, deux grosses larmes perlèrent au coin de ses yeux, qu’elle chassa d’un revers de main. Une vieille femme qui passait s’arrêta près d’elle, la regardant fixement, et lui tendit son mouchoir en disant :
« Ma petite, Noël n’est pas fait pour remplir les yeux de larmes, mais plutôt les visages de sourires. Que vous arrive-t-il de si grave ? »
–> A suivre <–
Si son collège est parti pour s’attaquer à Ebola, on ne saurait lui en faire reproche… 🙂
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On ne peut jamais reprocher à quelqu’un de vouloir vivre son rêve…
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joie au monde
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Merci beaucoup pour ce partage, j’aime beaucoup les chants traditionnels de Noël, il font partie du rêve dans tous les langages 🙂
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Une nouvelle porte ouverte vers
des pas dans une vie
dans la vie
des pas lourds d’un passé
que
(je lui fais confiance, c’est le temps de Noël (sourire)²)
l’auteure saura
au fil des épisodes (?)
alléger.
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Le chemin est sinueux mais il suffit de regarder la lumière pour ne pas s’égarer. Merci de m’accompagner sur mes chemins de traverse avec autant de gentillesse et d’indulgence !
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Vite, la suite !
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Merci pour ces mots et votre passage ici ! 🙂
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Chez certains, Noël ravive de belles images; d’autres attendent de meilleurs Noël et chez d’autres encore, ils font comme si c’était Noël tous les jours…Certains, dont je ne suis pas! …ont horreur des fêtes…Si on peut motiver les gens dans le sens du bonheur, on a déjà fait quelques pas dans le bon sens…
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Les fêtes sont l’occasion de se réunir, parfois de se rapprocher, et de regretter les absences. Ce ne sont que le reflet de nos vies, et une des graines de nos souvenirs. Pour qu’ils soient heureux, il faudra n’en garder que les sourires.
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Poignant cette histoire..la réalité dépasse souvent la fiction..n’est-ce pas Chris?
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Merci Bernard ! La réalité est souvent le meilleur des scénaristes, et la fiction n’est que son apprentie bien maladroite, n’est-ce-pas ?
Merci d’être passé par cette histoire…
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