Une image… une histoire : Lierre (1/4)

iphone oct 174

auteur inconnu

 

Lucia avait mis sa vie entre parenthèses depuis si longtemps, qu’elle ne savait plus quoi faire de sa liberté nouvelle. Elle n’avait aucune compétence particulière mais elle avait voué sa vie au confort de ses proches et des autres en général. Toujours présente lorsqu’on avait besoin d’elle, la famille et les amis avaient usé et abusé de sa bonne volonté. Elle n’avait jamais su dire non. Aujourd’hui, ils avaient tous disparu, et elle était libre de vivre sa vie. Mais sa vie, ce n’était rien et elle ne savait plus quoi en faire, justement. Elle essaya de se remémorer ce qui lui plaisait dans sa jeunesse. Elle aimait l’Art sous toutes ses formes, mais cela pouvait-il remplir une vie ?

Sa tante, pianiste professionnelle, lui avait donné des cours de piano, mais elle ne la trouvait jamais assez bonne. Le regard navré qu’elle portait sur elle, l’avait dissuadée de continuer, et en guise de progrès, elle avait perdu peu à peu ses acquis. Lorsque la vieille dame avait perdu son autonomie, elle était venue vivre avec elle pour lui éviter une hospitalisation définitive. Elle avait soigné sa tante jusqu’à son dernier jour, et c’est seulement quand ses troubles de mémoires étaient devenus majeurs qu’elle avait daigné sourire en l’entendant jouer. Son compositeur préféré était Erik Satie, et Lucia était devenue une spécialiste des Gnossiennes. La vieille dame battait la mesure d’un doigt pointé, autoritairement brandi, mais elle ne s’offusquait plus des fautes, et il lui arrivait même de fredonner lorsque les cascades de notes touchaient son âme embrumée. Lorsque elle disparut, Lucia eut la surprise de découvrir chez le notaire qu’elle lui avait légué son piano, ainsi qu’une coquette somme d’argent provenant de l’héritage de son mari américain. Elle vivait dans le même appartement qu’elle louait à la ville depuis cinquante ans, et ses neveux n’avaient aucune idée de la petite fortune qu’elle avait en banque.

La plus grande surprise de Lucia, fut celle de découvrir qu’elle était propriétaire d’une immense maison située dans la banlieue la plus bourgeoise de la ville. Lorsque le notaire lui en remis les clés, il lui expliqua que la maison avait été louée à un couple de retraités jusqu’à l’année précédente, et qu’elle était libre depuis qu’ils avaient rompu leur bail pour aller vivre en maison de retraite sur un rivage ensoleillé.

La maison était surprenante, très bien entretenue, entièrement couverte de lierre, comme une cantatrice drapée dans son boa. Lucia l’aima au premier regard. Le jardin était très bien entretenu comme si ses locataires l’avaient quittée la veille. La porte d’entrée s’ouvrit sans grincer et sans laisser échapper d’odeur de moisi. Lucia fut agréablement surprise, chaque pièce était meublée à la mode du siècle dernier. Elle décida d’emménager sans délais. Entretenir une maison pareille, serait sans doute un travail à plein temps.  La maison était si grande qu’elle pourrait sans mal ouvrir des chambres d’hôtes, ce qui lui permettrait  de ne pas vivre totalement seule. Cette aubaine lui redonna l’énergie qui lui manquait depuis le décès de sa tante.

La première nuit qu’elle passa dans la maison fut riche en émotions. Elle n’avait jamais dormi dans une maison ancienne et les craquements continuels qui provenaient de tous les étages, l’effrayaient. Elle entendait des frôlements dans le lierre et s’imaginait quelques êtres fabuleux grimpant sur les lianes. Le lendemain matin, elle sourit de ses craintes, le soleil inondant la façade lui donnait une allure rassurante bien éloignée de son masque nocturne. Elle décida de s’installer dans la chambre principale de l’étage, qui était tapissée de crème, lumineuse et chaude. Si ce n’était le piano demi-queue qui trônait devant la baie vitrée, l’ambiance de la pièce lui aurait été très sympathique. Elle imaginait sa tante jouant sur ce clavier, les lèvres pincées et l’air sévère et cela lui gâchait son plaisir. Qu’à cela ne tienne, il suffirait de déménager l’instrument dans le salon du rez-de-chaussée.

Cette nuit-là, elle fit un cauchemar répétitif qui la laissa épuisée au réveil. Elle rêva qu’une jeune fille vêtue à la mode des années folles, jouait sans relâche le même morceau, jusqu’à ce qu’un homme au regard sévère surgisse et referme le couvercle du piano d’un geste sec, en lui montrant le placard du doigt. Sans un mot, la jeune fille quittait sa place devant l’instrument, entrait dans le placard, s’asseyait sur le plancher la tête cachée dans les mains, et l’homme refermait la porte d’un mouvement brutal puis donnait un tour de clé.

Elle se réveilla en sueur et à bout de souffle, tourna la tête vers la porte du placard de sa chambre. Celle-ci était grande ouverte, alors qu’elle était sûre qu’elle l’avait fermée à double tour la veille au soir…

<– A suivre –>

9 réflexions sur “Une image… une histoire : Lierre (1/4)

  1. This is a Paradise – I am speechless! C’est pour toi

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  2. Gloser sur les Gnossiennes s’impose. Certains pianistes se sont en effet retrouvés mis au placard…

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  3. Bonjour Chris, belle ambiance de début de journée…Le lierre, refuge des mésanges…Mon voisin vient de couper le mien au dessus d’un muret…je râle…il a au moins 70 ans!

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    • Je comprends bien que cela vous énerve… et je n’approuve pas que l’on coupe les arbres en général. Notre voisin veut que l’on coupe les peupliers que j’ai plantés il y a 25 ans sous prétexte qu’à l’automne, ils perdent leurs feuilles (!) qui vont se noyer dans sa piscine …. Comme vous pouvez le comprendre, je trouve ça assez surréaliste 🙂

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  4. Vous aimez (comme moi d’ailleurs) les maisons anciennes…Je pense souvent à celle de mes grands parents (à la place se trouve…un supermarché! et « mon » école …a survécu en face!!

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    • J’aime les maisons anciennes pleines de souvenirs et de caractère, comme les humains qui les ont occupées. Les murs de vos grand-parents ont disparu, mais vos souvenirs demeurent bien vivants et leurs couleurs sont plus belles ainsi. Merci de laisser la trace de vos pensées sur cette page, cher Patrick 🙂

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