Une Image…une histoire: Lettres (3/3)

Photo d'un auteur inconnu

 

 

Les semaines passèrent et Léa oublia cette histoire de boîte aux lettres, prise par les formalités de son installation. Elle s’adaptait à sa nouvelle vie sans trop de difficultés mais la solitude commençait à lui peser, même si elle s’était inscrite à des cycles de conférences, avait pris un abonnement au théâtre local, à la bibliothèque et à la salle de sport à la mode. Il était évident qu’elle tentait de construire un barrage à l’ennui, bien qu’elle eût toujours aimé apprendre et bouger, elle sentait bien que ce qu’elle préférait c’était partager ses découvertes et ses plaisirs avec quelqu’un de proche, et maintenant qu’elle avait choisi de vivre seule, les échanges étaient devenus rares.

Elle avait beau avoir rempli ses journées d’activités diverses, les soirées étaient souvent longues et mornes. Un soir, assise devant son écran de télévision où défilaient des images sans intérêt, elle laissa son esprit s’évader. Elle aimait bien cela, se sentir légère comme un papillon et imaginer qu’elle s’envolait par-dessus les toits de son quartier. Elle ferma les yeux et se vit flotter d’un immeuble à l’autre, suivant mentalement le dédale des rues. Elle aimait bien cette ville finalement, aux allures anciennes et à la tranquillité désuète.

Elle pensa aux gens qu’elle avait rencontrés depuis son arrivée, ce qui la renvoya à cette histoire de Boîte aux lettres.

Après tout, se dit-elle, pourquoi ne pas essayer ?

Elle ne sut jamais si c’était par défi, par curiosité ou par ennui qu’elle se lança dans cette histoire. Ce soir-là, elle ne se doutait pas que ce qui en résulterait, modifierait à jamais sa vision simpliste de la vie.

Elle réfléchissait à toutes les erreurs qu’elles avait faites dans sa vie, aux relations désastreuses qu’elle avait partagées, et à ce qu’elle aurait dû faire pour s’améliorer. Elle décida de s’inventer une nouvelle vie avec un nouvel amour, et d’échanger avec lui une correspondance fictive, via cette boîte aux lettres mystérieuse. Elle savait bien qu’elle n’aurait jamais de réponse puisque son correspondant n’existait pas, mais cela l’aiderait à réfléchir, et elle se réjouissait à l’avance de ce défi.

Ce qui était un jeu devint vite une nécessité. Chaque soir, elle écrivait une partie de ses missives, en forme de journal. Elle avait baptisé son correspondant Tom, puisque la boîte était anglophone, et lui racontait ses joies, ses attentes et ses déceptions. Elle se faisait douce ou coquine, en fonction de son humeur ou de ses envies, et se disait qu’elle n’avait jamais écrit autant de phrases pour ces précédents petits amis, aussi réels fussent-ils. Tom lui devint peu à peu indispensable. Chaque matin, elle glissait sa lettre dans la boîte bleue, comme on jette une bouteille à la mer.

Au bout de quelques semaines de ce manège, elle réalisa qu’elle s’enfermait progressivement dans un monde onirique. Cette histoire ne la mènerait nulle part. Aussi elle décida d’y mettre fin, et écrivit une lettre de rupture, aussi douce qu’elle put le faire, et par jeu ou par remord, elle donna rendez-vous à Tom au « Café des amis », le samedi suivant, pour « ne pas que l’on se quitte comme ça.. ».

Elle postait sa dernière lettre avec l’impression qu’elle tournait cette page avec regrets, quand elle vit Max s’approcher d’elle. Il l’aborda avec un sourire:

« Je vous ai vu poster du courrier dans cette boîte désaffectée tous les jours depuis presque un mois. Vous savez que personne ne lira ces lettres ? demanda-t-il.

« Bien sûr, dit-elle, on m’a raconté plusieurs choses sur cette boîte, mais l’essentiel est que personne ne sait pourquoi elle est là, ni à quoi elle peut servir. Alors, je m’en sers comme exutoire, et cela m’a fait du bien. mais rassurez-vous je postais aujourd’hui la dernière. »

« Je comprends, répondit Max. Enfin, il paraît que pour certaines personnes, cette boîte a eu des effets inattendus … enfin ce que j’en dis ! » ajouta-t-il en s’éloignant.

Léa le regarda en souriant, décidément les superstitions avaient la vie dure en province !

Le samedi suivant, elle se réveilla avec une sorte d’impatience, sans savoir vraiment pourquoi. Puis elle se souvint de la conclusion de sa lettre, ce qui l’amusa d’elle-même. Elle était restée une vraie midinette. Voilà qu’elle songeait à ce rendez-vous qu’elle avait inventé comme s’il allait avoir lieu. Elle n’en revenait pas d’être toujours aussi bête à son âge. Elle ne ferait jamais aucun progrès. Il fallait qu’elle fasse le deuil de cette histoire pour aller plus loin, et pas plus tard qu’aujourd’hui. Elle allait se rendre à ce rendez-vous, pour bien comprendre la différence entre réalité et rêve.

Elle entra dans le bar des amis, dix minutes avant l’heure de son rendez-vous imaginaire, et s’installa à la même table que la dernière fois qu’elle y était venue. Aussitôt, Justine, la jeune serveuse s’approcha d’elle, ravie de la revoir, pour prendre sa commande. Elles échangèrent quelques mots amicaux, Justine lui glissa à voix basse qu’elle avait des « tas de choses » à lui raconter si elle avait un peu de temps plus tard .. Léa sourit, mais n’osa lui répondre qu’elle aurait voulu avoir aussi beaucoup de choses à lui raconter.

Elle laissa infuser son thé, en faisant la moue. Il faudrait qu’elle se secoue, songea-t-elle. Se laisser ainsi envahir par la nostalgie de ce qui aurait pu exister si elle avait laissé un peu de magie entrer dans sa vie au lieu de ce matérialisme quotidien,  était vain. Il fallait qu’elle se contente de ce qu’elle avait et qu’elle regarde vers l’avenir. Elle finirait de boire son thé, et quand elle sortirait de ce bar, elle tournerait la page sur ses regrets. Le bar se remplissait peu à peu. C’était l’heure de l’apéritif, et toutes les tables étaient occupées. Le joyeux brouhaha qui en résultait montait peu à peu.

Elle remarqua à peine la porte qui s’ouvrait. De nombreuses têtes se tournèrent, dévisageant l’étranger qui était entré, et Léa suivit leurs regards. L’homme sans âge, avança dans la pièce, cherchant du regard une table libre. Il n’y en avait aucune. Il allait renoncer et sortir, lorsqu’il avisa la place libre en face de Léa. Ils échangèrent un regard, alors il s’approcha et demanda:

« Bonjour, accepteriez-vous que je m’installe à votre table, il n’y a plus aucune place libre ? »

Léa détailla son allure un instant, prête à lui dire qu’elle avait fini et qu’elle lui laissait sa table, mais sans savoir pourquoi, elle se ravisa et répondit :

« Avec plaisir, veuillez vous assoir, je m’appelle Léa. Enchantée de vous connaître. »

Elle rougit soudain de son audace, et se recula sur sa chaise en baissant les yeux.

L’homme lui tendit la main, et avec un grand sourire, il répondit:

« Merci beaucoup ! Je suis enchanté aussi, merci de votre accueil. Je m’appelle Tom … »

 

4 réflexions sur “Une Image…une histoire: Lettres (3/3)

  1. Ces lettres qui donnent par magie* à la rêverie
    une consistance inattendue
    et ce TOM qui remplace le MOT
    ___
    (*Tout lecteur d’ André Dhotel sait que la réalité est gorgée d’instants magiques)

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    • Merci infiniment pour ce commentaire d’une finesse d’interprétation qui me comble !
      Je laisse souvent la magie s’insinuer dans mon esprit (trop cartésien au quotidien) et elle affleure dans les histoires, comme une amie qu’on aime revoir. Quand quelqu’un l’apprécie avec moi comme vous le faites, la vie me sourit… Merci encore pour ce beau commentaire 😉

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