La Porte (Partie 2)

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Photo M. Christine Grimard

Je déposai mon sac dans un coin, et redescendis en vitesse, sans détailler plus le décor magnifique, une visite du vignoble étant prévue dans l’après-midi, ce qui serait une première pour moi. Je retrouvai quelques collègues sur l’esplanade du château, et nous échangeâmes nos impressions sur la beauté du site en attendant que notre guide n’arrive. Même mon amie, habituellement toujours blasée et dubitative, semblait impressionnée par la magnificence des lieux.

Notre guide, qui sans être vigneron, était un amoureux de la région, nous brossa en quelques mots, les particularités du vignoble bourguignon. Il était passionné et passionnant. En quelques heures nous comprîmes pourquoi ce pays avait produit un vin célèbre dans le monde entier, fruit de la combinaison unique d’un terroir très particulier, de cépages historiques et du savoir-faire des hommes.

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Photo M. Christine Grimard

Pour commencer à nous imprégner de ce pays et de sa passion contagieuse, il nous entraina sur les terres du Château du Clos Vougeot. Son récit nous fit comprendre à quel point les racines de ce vignoble étaient lointaines, remontant au XIIe siècle, où les moines de Cîteaux cultivaient déjà la vigne. Le travail des moines donna la note pour la suite de l’histoire du vignoble, les moines sélectionnant les plants, les élevant avec patience et améliorant sans cesse les méthodes de taille et de culture. Il nous brossa un portrait vivant du château depuis sa construction par les moines en 1115, jusqu’à nos jours où il abrite encore l’ordre de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Nous vîmes défiler les rois de France qui avaient légiféré sur la qualité de la viticulture en Bourgogne, depuis Philippe le Hardi, jusqu’à la révolution. Puis il s’arrêta sur la personnalité du prince de Conti  qui en 1790 acquit La Romanée qui porterait son nom, et dont la croix emblématique brille encore au soleil au milieu de ses vignes chargées histoire.

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Photo M. Christine Grimard

Entendre l’histoire de ce pays, contée par un homme que ce terroir, qui a traversé le temps, passionnait, fut un enchantement. Il nous expliqua que la nature du sol était un des éléments clés, des couleurs, saveurs et arômes du vin. En fonction de l’exposition de chaque parcelle, de son altitude, de la profondeur de son sous-sol, de sa pente et donc du drainage qu’il en découle, des conditions climatiques de l’année de récolte, on obtenait un vin différent. Les crus étaient donc classés différemment, en fonction de leur parcelle d’origine, même si celles-ci n’étaient séparées que de quelques mètres. La dernière inconnue dont il fallait tenir compte dans l’équation, était le rôle des hommes qui de la culture de la vigne, de sa taille, jusqu’aux vendanges, puis au travail en cave, élèveraient le vin jusqu’à le sublimer. Certains seraient récompensés de leurs efforts par des prix décernés par des confréries de connaisseurs, ce qui donnerait une valeur supplémentaire à leur vin.

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Photo M. Christine Grimard

« Ainsi, la Confrérie des Chevaliers du Tastevin célèbre la Bourgogne et son vin dans une tradition d’accueil, de chaleur humaine et de générosité, et offre à la France l’une de ses plus belles « tables d’hôtes ». » conclut-il.

L’après-midi touchait  sa fin, et le coucher de soleil en fut l’apothéose, flamboyant derrière la côte, et se découpant derrière l’ombre des clochers. Nous regagnâmes notre chambre, la tête pleine d’images mêlant l’histoire et la modernité de la région, avec la promesse de participer le lendemain à une dégustation, pour comprendre plus concrètement comment se déclinaient les différences et les particularités de chaque parcelle.

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Photo M. Christine Grimard

Chacun devait regagner sa chambre, pour se préparer avant la conférence du soir qui serait suivie d’un dîner, servi dans un ancien cellier voûté, comme une chapelle.

Je découvris alors la chambre que l’on m’avait attribuée plus en détail. Cette chambre était décorée dans un style d’époque renaissance, et les détails modernes avaient été habilement dissimulés derrière des morceaux de décor anciens. Le plafond était à lui tout seul une œuvre d’art, et même si des fissures en complétaient l’harmonie, je restais bouche bée à l’admirer en entrant dans la pièce. Les poutres à la Française finement décorées, évoquaient une dentelle d’images inspirées de la nature. Je ne pus m’empêcher d’imaginer la main de l’artiste qui l’avait peint, cinq siècles auparavant, et ce qu’il penserait en me voyant béate d’admiration devant son travail, ce soir. Je parcourus la pièce des yeux, me demandant combien d’êtres humains avaient dormi ici avant moi, et s’il en restait une trace, un souvenir accroché aux volutes du baldaquin. Les murs étaient très épais, et le silence était lourd.

Château de Gilly

Photo M. Christine Grimard

Je m’approchai de la fenêtre, seul rectangle de lumière, découpé sur les ombres de la fin de l’après-midi. Les petits carreaux dessinaient leur silhouette sur le sol inégal, filtrant les derniers rayons de ce soleil d’hiver. L’atmosphère était étrange, comme si l’on était entre parenthèse dans une niche du temps. La fenêtre donnait sur un parc magnifiquement entretenu, et l’on s’attendait à voir surgir une dame enrubannée des bosquets taillés au cordeau. Il n’y avait pas un chat, on aurait pu être dans le décor du château de la bête, ou chaque objet était figé dans le passé, attendant qu’une belle vienne secouer la poussière du temps.

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Photo M. Christine Grimard

Je suivais des yeux la ligne des remparts, où quelques pigeons avaient élu domicile, faisant briller leur plumage dans les rayons du couchant, quand j’entendis un bruit derrière moi. On aurait dit un soupir. Je me retournai, brusquement, pensant que quelqu’un était entré dans la pièce, mais dans la pénombre, je ne distinguai rien. J’avançai dans la pièce, lorsqu’un second soupir se fit entendre. Le son venait de la gauche. Je me retournai vers lui, mais ne vis rien de plus. Il commençait à faire sombre dans la pièce, et l’inquiétude me gagnant, je me précipitai vers le commutateur pour éclairer.

Le plafonnier ne s’éclairait pas, sans doute pour ne pas ternir la belle harmonie de la fresque, mais un lampadaire inonda la pièce de lumière, me soulageant du même coup. Je jetai un coup d’œil circulaire, et ne vis rien d’anormal. Décidément, il fallait que je me calme, mon imagination me perdrait.

Je décidai de défaire mes bagages, m’occuper concrètement me ferait reprendre pied dans le présent. Cela me prit quelques minutes, et j’étais dans la salle de bain, lorsque j’entendis distinctement une voix qui chantait. Je tendis l’oreille, pour distinguer d’où venait le chant, mais il semblait venir de partout, ou de nulle part. Je me demandai s’il y avait des haut-parleurs dissimulés derrière les tentures du lit. Mais lorsque je m’en approchai, la voix se tut.

Je me demandai si je préférais le silence, ou les bruits insolites, mais je n’eus pas l’occasion de me poser la question plus avant, parce qu’on frappa à la porte. Je fus soulagée, en ouvrant, de me trouver devant une femme de chambre, tout à fait contemporaine, qui me souriait aimablement. Elle me demanda si j’avais besoin de quelque chose pour la nuit, et m’offrit une petite boite colorée contenant quelques bonbons au Marc de Bourgogne, en guise de cadeau de bienvenue.

Je n’osais pas lui poser des questions, craignant qu’elle me croie folle, mais j’aurais bien voulu qu’elle s’attarde un peu et qu’elle me rassure. Je lançai en hésitant un peu :

-Chantiez-vous à l’instant ?

Elle me regarda en souriant, et répondit sans hésitation :

-Oh, non, Madame, je ne chantais pas, j’en serais bien incapable, je chante tellement faux, si vous saviez !  Je vous souhaite une agréable soirée, la salle à manger se trouve au sous-sol, le dîner vous sera servi vers 21 heures.

Sur ces paroles, elle sortit gracieusement, me laissant sur mes questions, et sur ma faim. Je regardais les bonbons, en me demandant quelles hallucinations allaient encore m’envahir si je les goûtais, déjà que j’entendais des voix, sans avoir rien bu !

A suivre …

Croix de la Romanée Conti

Photo M. Christine Grimard

4 réflexions sur “La Porte (Partie 2)

  1. belle explication historique…en plus de l’intrigue…

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  2. Un simple bonbon (au marc de Bourgogne) pourrait faire tourner la tête !

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