Train de nuit (Partie 7 et fin)

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Le reste du voyage fut banal, et j’en profitais pour repasser dans ma mémoire, le film des évènements de la nuit.

Tout s’était déroulé si vite, que j’avais besoin de laisser décanter mes sensations, pour comprendre ce qui était arrivé. Ce que je ne parvins pas à faire. Cette nuit restait confuse dans mon esprit, et j’avais l’impression que l’histoire n’était pas finie…

A l’arrivée à Vienne, je fus prise par l’ambiance si particulière de la ville, et me consacrais au travail pour lequel j’étais venue. La musique imprégnait les pavés de cette ville, et c’était l’endroit idéal, pour faire des recherches sur un compositeur, ce qui était le but de mon voyage. Il s’agissait d’authentifier une lettre qui avait été retrouvée dans les écrits personnels de ce compositeur célèbre, auteur de plusieurs concertos et opéras qui avaient marqué leur temps. Il avait été reconnu de son vivant, ce qui est rare, et avait laissé une empreinte majeure sur la musique. J’aimais son œuvre, même si la musique classique n’était pas ma spécialité, et que je n’étais qu’historienne et pas musicienne moi-même.

La conservatrice du musée consacré à la musique viennoise, me conduisit à la pièce où le bureau du compositeur avait été reconstitué. On avait ajouté une pièce maîtresse, le bureau personnel du maestro, depuis quelques mois seulement ; le dernier membre de la famille de l’artiste qui venait de mourir, ayant légué ce meuble au musée, par testament. Elle m’indiqua qu’on avait trouvé à l’intérieur, dans une cachette secrète, ce qui était fréquent dans ces meubles, un bon nombre de papiers, couverts d’une écriture serrée, et que l’on attendait de moi que je les déchiffre, et surtout que je les authentifie.

Je m’attaquais à la tâche avec plaisir, ce genre de mystère était ce qui me faisait vibrer. Je connaissais bien les écrits de cet homme, mieux que sa musique, et je reconnus immédiatement son écriture serrée et torturée. Plusieurs essais de livrets et partitions inachevés étaient là, que je rangeais dans une pochette pour les confier à un de mes amis, musicologue. Ce qui m’intéressait, c’était surtout ses papiers personnels, qui me serviraient à étoffer sa biographie. J’avais commencé ce projet d’écriture il y a quelques années, puis abandonné, n’ayant que peu d’informations à son propos, en dehors de ce qui avait été officiellement écrit sur lui, lorsqu’il était compositeur officiel de la cour de l’empereur.

J’étais sûre que j’allais trouver cette nuit là, de quoi finir d’étoffer mon ouvrage. Je travaillais jusqu’à l’aube, et n’avais trouvé que des écrits d’une banalité navrante, jusqu’à des listes qu’il faisait pour son personnel de service.

Je commençais à désespérer, quand je trouvais un paquet de lettres dissimulées dans un petit tiroir réservé aux plumes et encriers. Les lettres étaient étroitement roulées, entourées d’un ruban mauve, et le papier avait durci, aussi je pris d’infinies précautions pour extraire ce rouleau de son étroite prison.

Quand j’y parvins, un parfum de violette m’enroba toute entière, et je sus …

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Tout ce que je sentais maintenant, c’était cet étrange frisson qui glissait le long de mon cou….

Je regardais autour de moi, j’aurais été heureuse de la revoir, comme on accueille une vieille amie, mais j’étais seule. Cependant, je savais ce que je devais faire.

Je déroulai lentement les lettres, et découvris son écriture ronde et joyeuse, dans les premières lettres, puis plus fine, et enfin tremblante et presque torturée sur le dernier billet, celui dont elle m’avait parlé, celui qu’elle lui avait adressé avant de prendre ce train. L’encre était mauve de la teinte exacte de la robe qu’elle portait dans le train, et du ruban que j’enroulais autour de mon doigt.

J’avais l’impression de la voir penchée sur ce billet, avec son beau sourire éteint par l’anxiété, et ses magnifiques yeux tristes. Je caressais ses mots, comme si je les avais écrits moi-même.

« Je sens que quelque chose te préoccupe, que tu ne veux pas m’écrire, aussi je te rejoindrai demain, je prends le Trans-Express ce soir pour Vienne. Tu m’expliqueras en me regardant au fond des yeux, pourquoi tu ne veux plus me voir, ou plutôt tu Nous l’expliqueras. »

Je savais ce qu’elle attendait de moi, que la vérité apparaisse, et que le monde connaisse son existence et celle de son enfant, celui que j’avais senti palpiter au fond de moi, cette nuit là, et qui s’était envolé avec elle. Je rassemblais tous les papiers, et n’eus de cesse, alors que d’écrire cette biographie revisitée par la vérité.

Cela me prit près de deux ans de ma vie, et l’ouvrage fut accueilli de deux manières diamétralement opposées, les uns étant très intéressés par cette nouvelle facette de la vie d’un personnage historique présenté bien différemment jusque là, les autres choqués et par les allégations qu’ils jugeaient outrageantes pour la mémoire de ce compositeur célèbre et adulé. Je reçus même plusieurs lettres de menaces de mélomanes qui m’accusaient de salir sa mémoire. Je n’en avais cure. Tout ce que je voulais, c’est que cette souffrance immense que j’avais ressentie au fond de mon âme, cette nuit là, soit levée.

En fait, ce qui choquait le plus les âmes bien pensantes, était la dernière page du livre, où j’avais inséré la copie d’une page, manuscrite par le compositeur, où il lui demandait pardon de l’avoir abandonnée ce soir là, au profit de sa carrière, elle et son enfant. Il l’avait écrite quelques mois avant sa mort seulement, et l’avait repliée au beau milieu du rouleau retenu par le ruban mauve, et elle s’était imprégnée de l’odeur des violettes, comme les autres lettres. Il finissait par ces phrases :

« Je voudrais que tu me pardonnes cet immense égoïsme qui a détruit nos deux vies et notre amour. J’espère que là où tu es, tu entends ces mots parce que je n’ai jamais aimé que toi. Je souhaite te retrouver enfin, où que tu sois, pour tenter de vivre ensemble, ce que j’ai détruit, ici. »

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Je sus qu’elle avait trouvé la paix, le jour de la parution de mon livre.

En rentrant après la présentation officielle à la presse, j’ouvris la boite où j’avais rangé la correspondance à l’origine de ce livre, et comme chaque fois que je l’ouvrais, la fragrance de violette vint chatouiller mes narines.

Puis quelques minutes plus tard, ce parfum familier se dissipa, se volatilisa, comme un voile qui s’envole dans le vent.

Tout ce que je sentais maintenant, c’était cet étrange frisson qui glissait le long de mon cou …

Comme la caresse d’une main froide qui m’effleura et disparut comme elle était venue ….

FIN

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6 réflexions sur “Train de nuit (Partie 7 et fin)

  1. C’était donc ça, « le parfume de la dame en violet »… Musique en effluves.

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  2. De nos vanités il ne restera rien, pas même un parfum, nous ne sommes que poussière d’étoile et le souvenir de ce que nous étions s’envolera dans le vent de l’espace, quand ceux que nous aimions et qui nous aimaient, auront aussi disparu.

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  3. ambiance où l’évanescence devient plus présente que la réalité…Finalement, ne laisse-t-on pas une trace « inexacte » de notre passage? Le passé est toujours interprété par un présent « en décalé »…

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  4. nos souvenirs sont des leurres qui conditionnent fort nos vies…

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